(Ottawa) La ministre des Finances, Chrystia Freeland, rejette l’idée que le budget qu’elle a déposé aux Communes, qui annonce l’équivalent de 36 milliards de dollars de nouvelles dépenses en cinq ans, risque d’alimenter l’inflation et de miner le travail de la Banque du Canada visant à stabiliser la hausse des prix.

Ce budget, qui maintient les déficits sous la barre des 40 milliards au cours des deux prochaines années, respecte en tout point les ancrages budgétaires qu’elle avait fixés dans son énoncé économique de novembre dernier, a-t-elle affirmé dans une entrevue accordée à La Presse au lendemain du dépôt de son plan budgétaire.

Ces ancrages – un déficit à 40 milliards pour le dernier exercice financier qui a pris fin le 31 mars et des déficits en dessous de 1 % du PIB en 2026-2027 et sur une trajectoire descendante les années suivantes – ont été salués par le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, l’automne dernier, a-t-elle souligné.

Avant même le dépôt du dernier budget fédéral, le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, accusait le premier ministre Justin Trudeau de se comporter comme un « pompier pyromane » qui « jette de l’essence sur le feu inflationniste » en dépensant sans compter.

Et mercredi, le ministre des Finances du Québec, Eric Girard, a tenu des propos également critiques, soutenant que sa collègue fédérale avait déposé un budget « dépensier » et « incohérent » avec la politique monétaire de la Banque du Canada pour mater l’inflation.

« Complètement faux »

Mme Freeland a répliqué que ces analyses ne résistent pas à l’épreuve des faits.

« C’est complètement faux », a rétorqué la grande argentière du pays. « C’est juste un fait, c’est juste la réalité que la politique fiscale de notre gouvernement n’est pas juste responsable, mais elle très, très responsable. Dans l’énoncé économique de l’automne, j’ai pris une décision très intentionnelle et une décision très risquée. J’ai publié trois objectifs fiscaux très précis et très faciles à mesurer. […] Ce sont des objectifs qui ont été choisis avec beaucoup de prudence. Et nous les avons atteints, et même plus », a exposé la ministre.

« Ces objectifs visaient à démontrer à la Banque du Canada qu’on fait attention à l’inflation et qu’on va aider la Banque du Canada dans la lutte contre l’inflation. Et M. Macklem a dit après la publication de ces objectifs qu’ils étaient très utiles. Mon but était d’avoir une politique fiscale soutenable. En ce qui me concerne, ce n’est pas une bonne idée de faire quelque chose qui sera apprécié aujourd’hui, mais qui ne serait pas soutenable à long terme. C’est pourquoi le ratio dette/PIB est si important », a-t-elle ajouté.

Depuis qu’elle occupe les fonctions de ministre des Finances, Mme Freeland aime rappeler que le Canada est l’un des rares pays à obtenir encore une cote AAA de la part des principales agences de notation. Selon elle, il s’agit d’une preuve irréfutable que le gouvernement Trudeau gère les finances de l’État d’une manière responsable.

Elle a d’ailleurs avancé qu’elle n’aura aucune gêne à défendre son quatrième budget devant les financiers de ces mêmes agences.

« On peut bien avoir des débats sur différents enjeux. Mais on ne peut pas avoir un débat sur les faits. C’est pour cette raison que je cite souvent les agences de notation. Ce ne sont pas des partisans libéraux. Ce ne sont pas non plus des gens très, très progressistes qui y travaillent. C’est la réalité. Mais ces mêmes gens ont réaffirmé après l’énoncé économique de l’automne la cote de crédit AAA. Ils ont dit que nos ancrages budgétaires étaient importants et qu’il était important que le gouvernement les atteigne. On l’a fait ! »

En entrevue, la ministre a aussi salué le dernier relevé de Statistique Canada sur le taux d’inflation pour le mois de mars, qui s’est établi à 2,9 %. « C’est le troisième mois que le taux d’inflation est dans la fourchette de la Banque du Canada. C’est une très bonne nouvelle et on peut faire un contraste avec les États-Unis où le taux d’inflation en mars était à 3,5 % et où il y a une politique fiscale différente de la nôtre. »

Logements et gains en capital

Dans son budget, la ministre a confirmé une série de mesures qui visent à accélérer la construction de logements dans l’ensemble du pays. Mme Freeland a affirmé que ces investissements sont essentiels pour s’assurer que le Canada ne pénalise pas une génération entière qui serait incapable de se payer un logement.

Pour respecter les ancrages budgétaires tout en augmentant les dépenses, le gouvernement Trudeau a décidé de puiser davantage dans la poche des contribuables fortunés ainsi que dans celle des fumeurs. Il a aussi été bien servi sur le front des revenus par une croissance économique légèrement plus forte que prévu il y a six mois à peine.

Mme Freeland a en effet annoncé qu’à partir du 25 juin, la portion des gains en capital qui est imposable passera de 50 % à 66 % pour les personnes qui déclarent annuellement plus de 250 000 $ en gains en capital. Cette mesure, qui toucherait 40 000 contribuables, devrait rapporter 19,3 milliards sur cinq ans, dont 6,9 milliards cette année et 3,37 milliards en 2025-2026.

Mercredi, son prédécesseur libéral Bill Morneau a vertement critiqué cette mesure, estimant que cela risquait de nuire aux investissements privés et à la croissance économique. Mais le Congrès du travail a salué la décision d’Ottawa d’aller de l’avant avec cette ponction. « Nous apprécions la décision d’augmenter les taxes des Canadiens les plus fortunés et des sociétés rentables », a fait savoir le Congrès.