Selon les enseignants, nos classes régulières sont devenues plus lourdes, notamment au primaire, et les ressources sont insuffisantes. Dur constat.

Mais comment expliquer ce présumé phénomène, inquiétant, et comment le régler ? Notre réseau est-il déficient ? Nos enfants sont-ils plus difficiles qu’ailleurs ? Les parents sont-ils en cause ?

Cet enjeu de la composition de la classe a été au cœur des négociations patronales-syndicales, mais il n’a pas été réglé à la satisfaction de bien des enseignants, à voir les résultats serrés des assemblées syndicales.

D’abord, évacuons un point majeur : au primaire, ce n’est pas l’écrémage des élèves qui serait responsable de l’alourdissement des classes.

Au secondaire, oui, la part du privé et des écoles à vocation particulière (international, sport, etc.) est manifeste. Selon des données de Statistique Canada, 22 % des élèves d’âge secondaire du Québec ne fréquentent pas l’école publique, préférant le privé. C’est le double de la moyenne canadienne (11 %).

Aucun doute que ce phénomène a un impact sur la composition de nos classes dites régulières au secondaire⁠1.

Ce n’est pas le cas au primaire. Ici, seulement 6 % fréquentent le privé au primaire, la même proportion qu’il y a 10 ans. Et la part des enfants sélectionnés dans le programme d’éducation internationale au public n’est pas dramatique (moins de 2 %).

Le Québec n’est guère différent du reste du Canada. Les enfants d’âge primaire qui ne fréquentent pas le public s’élèvent à 7 % en moyenne au Canada. La Colombie-Britannique est au sommet, avec une proportion de 15 % au privé.

Mais alors, si ce n’est pas l’écrémage, qu’est-ce qui rendrait nos classes du primaire plus difficiles ?

Il y a autant de ressources ici qu’ailleurs – sinon plus – selon ce que je rapportais dans une précédente chronique⁠2. Faut-il déduire que nos enfants de 5 à 11 ans sont plus turbulents, troublés, et anxieux qu’ailleurs, et donc plus exigeants pour les enseignants ?

Pas selon ce qu’on peut conclure des chiffres disponibles de Statistique Canada.

Selon l’agence, le Québec est la province qui compte la plus faible proportion d’enfants du primaire avec des problèmes de santé mentale (2,1 %, contre 3,9 % en Ontario et 5,5 % en Colombie-Britannique en 2019). C’est une bonne nouvelle⁠3.

Les troubles d’anxiété ? Au primaire, la proportion au Québec est semblable à celle du reste du Canada (3 % en 2019, contre 3,1 % en Ontario et 4 % en Colombie-Britannique). Et bien que cette part ait augmenté depuis la pandémie, elle demeure un peu plus basse au Québec, selon les recoupements de données disponibles⁠3.

Mais alors quoi ?

Ce qui est clair, c’est que le nombre d’enfants qui a reçu un diagnostic de EHDAA (élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage) a bondi ces dernières années.

En une décennie, le nombre de ces EHDAA intégrés aux classes ordinaires a augmenté de 46 %. Il est passé de quelque 125 000 à 183 000 entre 2013 et 2022, primaire et secondaire confondus, selon des données de l’Institut de la statistique du Québec⁠4. Un tel bond est de nature à alourdir les classes.

Impossible de comparer spécifiquement cette donnée avec le reste du Canada. En revanche, un relevé de Statistique Canada indique que la proportion d’enfants du primaire qui a reçu un diagnostic de difficulté d’apprentissage par un professionnel de la santé est plus élevée au Québec (8,9 %) que la moyenne canadienne (7,2 %)⁠3.

Mais une question émerge : ce taux déclaré plus élevé au Québec, s’explique-t-il par de réels problèmes plus importants d’apprentissage ou par un système qui multiplie les diagnostics ? Y a-t-il surdiagnostic ?

C’est, en tout cas, ce que démontrent plusieurs études, notamment celles sur les TDAH.

En 2017, un rapport de l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESS) a secoué le milieu. Selon l’étude, 14 % des 10-12 ans du Québec prenaient alors des psychostimulants liés au TDAH, comparativement à 5 % ailleurs au Canada⁠5. L’écart est énorme.

La chercheuse Marie-Christine Brault, de l’Université Laval, a fait un constat semblable : en 2018, 18 % des jeunes Québécois avaient reçu un diagnostic de TDAH, sept fois plus qu’en Belgique (2,5 %).

Elle se demande si le Québec n’a pas poussé trop loin la prévention précoce. « On ne veut pas prendre de risques avec les enfants. À la maternelle, dès qu’un enfant ne répond pas aussi bien, par exemple en lecture, on identifie un problème. Lui laisse-t-on une réelle chance ? Tous ne se développent pas au même rythme », dit-elle.

Une autre équipe de chercheurs, dont fait partie l’économiste Catherine Haeck, a fait une découverte ahurissante après avoir analysé le cas de 800 000 enfants. Les diagnostics de TDAH sont nettement plus grands, dans une classe, chez les enfants qui sont plus jeunes.

Concrètement, la proportion est de 21 % chez les enfants plus jeunes (nés avant la date qui détermine le niveau scolaire, soit le 30 septembre), que les plus vieux, nés en octobre (15 %).

Dit autrement, le tiers des diagnostics est lié non pas à un réel TDAH, mais à l’immaturité des enfants⁠6. C’est beaucoup de pilules de trop. Le TDAH est le seul des 9 diagnostics recensés par les chercheurs (asthme, allergies, dépressions, etc.) à présenter de telles différences liées au mois de naissance.

Autre élément intrigant dans cette étude : la probabilité d’avoir un TDAH en région est beaucoup plus élevée qu’à Montréal (20 % contre 11 %). Il semble donc y avoir une culture du TDAH en région, que Catherine Haeck explique par des pratiques parentales différentes, liées possiblement à la plus forte proportion d’immigrants à Montréal.

Les parents auraient quelque chose à voir, donc, comme le réseau d’éducation, nommément les enseignants et les directions d’école.

Le sujet de la composition des classes au primaire est majeur. Il mérite qu’on s’y penche sérieusement dans un contexte plus serein que celui des renouvellements de convention collective.

Les chercheurs se plaignent toutefois du manque de données. Plusieurs autres questions sont sans réponses. Est-ce le niveau d’exigence à l’école qui a augmenté ? Est-ce les heures trop nombreuses passées devant les écrans ? Est-ce la moins grande disponibilité des parents, vu leur participation record au marché du travail ?

Et une question délicate : est-il possible que la fréquentation de la garderie en très bas âge, par exemple à 6 mois ou moins, ait une incidence sur l’anxiété des enfants et les difficultés éventuelles de comportement au primaire ?

À n’en pas douter, c’est un travail pour le nouvel Institut national d’excellence en éducation.

Dans en version précédente de ce texte, il était écrit que 27 % des 10-12 ans du Québec prenaient des psychostimulants liés au TDAH en 2017, comparativement à 10 % dans les autres grandes provinces. (5) Les proportions sont plutôt de 14 % et 5 % respectivement.

1. Cette proportion plus grande au Québec qu’ailleurs ne s’explique pas par le décrochage, puisque la proportion des 12-16 ans qui ne fréquentaient ni le public ni le privé en 2021-2022 (données les plus récentes) est semblable au Québec (2,1 %) et au Canada (2 %). Ces calculs sur la fréquentation scolaire ont été effectués avec données de Statistique Canada (37-10-0019-01 et 37-10-0174-01 et 37-10-0109-01 et 17-10-0005-01).

2. Lisez la chronique « Éducation Surprise, le Québec dépense plus qu’ailleurs »

3. Selon la perception des parents dans le cas de la santé mentale et selon l’avis d’un professionnel de santé tel que déclaré par les parents pour les troubles de l’anxiété et de l’apprentissage (Statistique Canada, 13-10-0763-01).

4. Consultez le site de la Banque de données des statistiques officielles sur le Québec 5. Consultez le site de L’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux 6. Consultez le rapport Confondre comportements immatures en classe et TDAH