Profs, vous ne m’aimerez pas. Ou du moins, vous n’aimerez pas les comparaisons entre le Québec et les autres provinces au sujet de l’éducation.

Beaucoup de nuances doivent être faites, mais en bref, voici le constat. Les dépenses d’éducation par élève sont plus élevées au Québec qu’ailleurs, malgré les salaires moindres des enseignants.

La raison ? Les enseignants du primaire et du secondaire passent beaucoup moins de temps en classe à enseigner que dans les autres provinces, si bien qu’il faut bien plus de personnel pour offrir les mêmes services.

Ces comparaisons exigent des nuances, je le répète, mais le portrait tiré des données de Statistique Canada est pour le moins intrigant, dans le contexte.

D’abord, le Québec vient au 2rang pour l’argent consacré à l’éducation primaire et secondaire au Canada, toutes proportions gardées. La dépense par élève est de 17 411 $, soit 12 % de plus que la moyenne canadienne. L’Ontario est à 15 034 $ et l’Alberta, à 14 467 $. Le public et le privé sont inclus1⁠.

Selon mes recherches, l’une des raisons qui expliquent l’écart est la part des dépenses consacrées à la rénovation et à la construction d'écoles, plus grande au Québec que partout ailleurs, probablement en raison du rattrapage.

Cependant, même en retranchant cet écart attribuable aux immobilisations, les dépenses par élève demeurent plus élevées que la moyenne, passant à environ 16 000 $, comparativement à la moyenne canadienne de 15 600 $.

Autre nuance : les données du Québec englobent la formation professionnelle et la formation générale des adultes, précise Statistique Canada. Les services de garde au primaire au Québec y seraient aussi inclus, ce qu’on retrouve moins ailleurs.

Il reste que le grand effort consacré par le Québec est étonnant, vu les salaires moindres des enseignants pour une même formation typique. Au sommet, soit après 13 ans, un enseignant à temps plein du Québec a touché 88 652 $ durant l’année scolaire 2021-2022, contre une moyenne de 96 464 $ au Canada, soit un écart de 8,1 %.

L’écart s’est rétréci l’année suivante – non publiée encore par Statistique Canada –, les enseignants du Québec ayant obtenu des augmentations leur permettant d’atteindre 92 027 $ au sommet, pendant que l’Alberta et l’Ontario vivaient des restrictions budgétaires.

Cette rémunération moindre, donc, devrait se traduire par des dépenses par élève moindres au Québec, mais ce n’est pas le cas. Comment est-ce possible ?

La réponse semble se trouver dans le temps passé en classe par les enseignants. Au Québec comme dans le reste du Canada, les élèves du primaire doivent recevoir un nombre assez semblable d’heures d’enseignement (900 heures au Québec)⁠2.

Le hic, c’est que les enseignants passent beaucoup moins de temps en classe qu’ailleurs. Au primaire, le temps d’enseignement des enseignants en classe est de 738 heures par année au Québec, contre 878 heures en Colombie-Britannique et 895 heures en Alberta, par exemple.

L’écart est de 21 % avec l’Alberta au primaire et il grimpe à 46 % au premier cycle du secondaire (612 heures au Québec contre 895 en Alberta).

La différence fait en sorte qu’il faut plus de personnel au Québec pour offrir le même nombre d’heures de cours aux élèves, selon ce qui ressort des données de Statistique Canada.

Autre façon de tirer la même conclusion : le nombre d’élèves par enseignant est plus petit au Québec. Le rapport est de 11,1 au Québec, contre 13,5 en Ontario et 16,7 en Alberta. La moyenne canadienne est de 13,3 élèves par éducateur⁠3.

Si le Québec avait le même ratio élèves-éducateur qu’en Ontario, il faudrait environ 17 000 enseignants à temps plein de moins ici.

Encore une fois, l’analyse fine des données exige des nuances. Bien que les enseignants québécois passent moins de temps en classe, ils travaillent le même nombre d’heures à l’école qu’ailleurs et même un peu plus (1280 heures par année, contre 1200 heures en Alberta), selon Statistique Canada.

Partant de ce constat, il faut s’interroger sur l’organisation du travail. Les enseignants passent beaucoup de temps à l’école à faire autre chose qu’enseigner dans leur classe, davantage qu’ailleurs au Canada, selon les données. Au 1er cycle du secondaire, les enseignants passent seulement 48 % de leur temps en classe, contre 75 % en Alberta.

Font-ils davantage d’activités parascolaires qu’ailleurs ? De préparations de cours ? De suivis individuels ? De réunions ? De corrections ? De périodes de surveillance (qu’ils détestent bien souvent) ?

Le temps hors classe est-il sous-estimé ailleurs au Canada et plus conventionné au Québec ?

Autre élément à considérer : la lourdeur des classes dites régulières au public, surtout au secondaire. Se peut-il que l’écrémage des écoles privées et des écoles à volet particulier (internationales, sportives, etc.) exige globalement plus de ressources, au bout du compte, pour l’ensemble du réseau, public et privé ?

Cet aspect singulier du Québec, où il y a beaucoup plus d’écoles privées qu’ailleurs au Canada, est au cœur des négociations. Les enseignants exigent plus de ressources pour les classes où il y a des cas plus lourds, ou encore la création d’un plus grand nombre de classes spécialisées. Le gouvernement réplique qu’il y a pénurie de personnel.

En somme, malgré les nuances, les comparaisons n’indiquent pas que le système d’éducation québécois est sous-financé, au contraire. À moins que nos enfants soient bien plus difficiles qu’ailleurs… ou que l’organisation soit déficiente…

1. Les dépenses par élève comprennent aussi les frais payés par les parents au privé.

2. Le Québec est dans la basse moyenne au primaire (900 heures par année contre 924 pour la moyenne canadienne). Au secondaire, ce temps d’instruction au Québec reste à 900 heures (à l’âge de 14 ans), et la moyenne canadienne recule à 907 heures. L’écart Québec-Canada s’explique notamment par le nombre moindre de jours de classe (180 au Québec contre 182 en Alberta et 187 en Ontario).

3. Ce calcul est fait, entre autres, à partir de trois bases de données de Statistique Canada portant sur les éducateurs (37-10-0153-01), la proportion de temps partiel parmi les éducateurs (37-10-0153-04) et le nombre d’élèves (37-10-0153-01), le tout au secteur public.