Son parcours était tout tracé. Elle devait étudier en sciences, devenir médecin et avoir quatre enfants. Et surtout pas gérer l’éventuelle filière majeure du Québec, les batteries pour véhicules électriques.

Mais ce parcours, souhaité par un père vietnamien exigeant – lui-même médecin –, n’était pas celui dont rêvait Bicha Ngo (prononcé « no »). Elle a donc fait à sa tête, bifurquant vers l’histoire de l’art, puis la finance, pour finalement aboutir, à l’âge de 51 ans, à la tête d’Investissement Québec.

Pas si mal pour cette fille débarquée au Québec avec sa famille en 1975, à l’âge de 3 ans, après la chute de Saïgon aux mains des communistes.

Pas si mal, d’autant que Bicha Ngo est la première femme à diriger cette société d’État, et l’une des femmes de plus en plus nombreuses à briser le plafond de verre en finance, avec Janie Béïque (Fonds FTQ), Geneviève Morin (Fondaction CSN) ou encore Nadine Renaud-Tinker (RBC Banque Royale au Québec), entre autres.

« Ma mère m’a toujours soutenue. Et mon père est maintenant très fier de moi », me dit la nouvelle PDG du bras investisseur du gouvernement, dans une entrevue dans les bureaux d’Investissement Québec, à Montréal.

Bicha Ngo a remplacé Guy Leblanc au début de février. Avant son entrée comme vice-présidente principale des placements privés à Investissement Québec, en décembre 2019, Bicha Ngo travaillait chez Domtar. Elle y avait abouti après un début de carrière en « Investment Banking » (banque d’affaires), notamment chez Merrill Lynch, à la suggestion de son mentor, le défunt professeur Jacques Bourgeois, de HEC Montréal.

Aujourd’hui, Bicha Ngo aura besoin de toute la discipline de son père et de la souplesse de sa mère pour faire aboutir les nombreux projets de la filière batterie signés ces derniers mois, notamment.

Investissement Québec agit à titre de mandataire pour les quelque 2 milliards de dollars que s’est engagé à investir le gouvernement du Québec dans les 15 milliards de projets annoncés à ce jour.

Et ce n’est pas terminé. Investissement Québec continue de négocier avec plusieurs acteurs de l’industrie souhaitant compléter la filière. Les nouveaux projets sur la table – qui ne se réaliseront pas tous – avoisinent encore les 15 milliards de dollars.

Pas de réticences des investisseurs

À ce sujet, ne sent-elle pas une réticence de la part des investisseurs étrangers avec les manifestations provoquées par le projet de Northvolt, en Montérégie ? La crédibilité du Québec est-elle entachée, comme le craint le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon ?

« Je n’ai pas eu de commentaires directs d’une société étrangère me disant qu’elle ne viendrait pas au Québec à cause de ce qui se passe avec Northvolt », me répond-elle.

« Il y a plusieurs avantages majeurs à être ici, que ce soit l’énergie verte, les minéraux critiques ou l’éventail de talents du Québec. C’est sûr que la photo actuelle pour Northvolt, ce n’est pas évident. Ça rend le contexte plus difficile de faire des affaires. »

Il faut toutefois voir le portrait d’ensemble, dit-elle. « Northvolt a beaucoup fait les manchettes, mais personne ne parle de GM-Posco, de Ford-EcoPro, de Nemaska, qu’on est en train de bâtir aussi. Je pense que les choses doivent avancer et que les autorités et les experts doivent guider Northvolt pour mener à terme ce projet-là », dit Mme Ngo.

Ces derniers temps, le marché est devenu moins flamboyant pour les véhicules électriques, avec l’incapacité des constructeurs de rendre leurs produits plus abordables, notamment, ou de les doter d’une meilleure autonomie.

Bicha Ngo ne sent pas ce ralentissement. « Bécancour n’est pas à risque, on ne le sent pas. Ce sont des projets de longue haleine », dit-elle.

La nouvelle PDG croit toujours aux vertus de cette filière. Ultimement, le Québec fera l’extraction de minéraux, mais aussi la transformation, ce qui est rare au Québec. Les batteries représentent 40 % du coût des véhicules, rappelle-t-elle.

Depuis quatre ans, Investissement Québec a doublé de taille. L’organisation a investi 4 milliards de dollars au cours de la dernière année, dont la moitié en participation dans des entreprises.

De ces 4 milliards, environ la moitié a été faite pour le compte du gouvernement, comme mandataire, et l’autre moitié, pour des projets choisis par l’organisation. Parmi les 4000 entreprises qui ont reçu l’appui d’Investissement Québec, mentionnons Coveo, Hopper, Lumenpulse et Solotech.

La moitié des 7,5 milliards de fonds propres de l’organisation a été injectée en capital, et l’autre moitié, en prêts.

Le plan de match de la nouvelle PDG ? En plus de bien exécuter le développement de la filière batterie, Bicha Ngo compte voir à la croissance des entreprises du portefeuille (exportation, productivité, innovation), en plus de renforcer la chaîne d’approvisionnement locale des entreprises et de favoriser l’accès à la main-d’œuvre.

Secoué par les départs

Pour y arriver, elle annoncera dans quelques jours le nouvel organigramme de l’organisation, qui a été secoué ces derniers mois par des départs.

En novembre, le VP du réseau régional, Jocelyn Beauchesne, a été congédié pour avoir enfreint une règle de gouvernance. Son départ s’ajoute à celui, aussi récent, de David Stréliski, ex-directeur principal de la gestion des risques.

La VP responsable de la stratégie, Sylvie Pinsonnault, n’a pas été remplacée, pas plus que le VP financement corporatif, Alexandre Sieber.

Bicha Ngo s’appuie pour l’instant sur son VP finances, Laurent Naud, et sur son responsable des affaires internationales, Hubert Bolduc. D’autres postes clés sont occupés par intérim.

Que se passe-t-il chez Investissement Québec ? « L’organisation a beaucoup évolué au cours des dernières années, passant de 500 à 1200 employés. C’est normal qu’il y ait des mouvements. Les gens sont partis pour différentes raisons. Je suis en train de revoir la structure de l’équipe de direction et de m’assurer d’être bien entourée », m’a dit Mme Ngo.

À voir son parcours, il est permis d’espérer qu’elle parviendra à ses fins.