Le milliardaire américain Rick Caruso possède des centres commerciaux parmi les plus achalandés et rentables de son pays. Leur architecture reproduit l’ambiance de centres-villes sympathiques avec des étangs, des espaces gazonnés pour pique-niquer, des terrasses et même un tramway.

Il y a 10 ans, j’ai assisté à une conférence de l’homme d’affaires qui s’inquiétait de voir les centres commerciaux devenir « des anachronismes », mais pas pour les raisons qu’on pense. Ça n’avait rien à voir avec le commerce en ligne. L’humain a tellement besoin de socialiser, avait-il dit, qu’Amazon et les autres sites web ne tueront jamais les magasins.

À son avis, les commerçants et les centres commerciaux provoquent leur propre déclin en ne créant pas suffisamment d’expériences excitantes pour les clients.

En cette ère où l’on peut tout acheter en ligne, c’est bien vrai qu’il faut donner des raisons aux clients de se déplacer en magasin. Encore plus maintenant qu’en 2014. Ça peut sembler gnangnan, mais la qualité du contact humain demeure un facteur clé pour créer une expérience agréable et de bons souvenirs, comme le démontre l’Indice WOW conçu par Léger. Publié depuis 14 ans, cet indice mesure la qualité de l’expérience client dans les magasins du Québec.

Certaines enseignes arrivent encore à épater, à surpasser les attentes.

C’est le cas de Nespresso, au sommet du palmarès. Ce résultat ne m’étonne guère. Les employés accueillent les clients comme s’ils venaient récupérer une Porsche. On les fait sentir importants, on leur propose des produits et surtout, on leur accorde une denrée rare : du temps. Tellement qu’on voit souvent des queues devant l’entrée même si les capsules peuvent être achetées sur le web et livrées à domicile.

Nespresso, c’est un des rares commerces où il y a des files d’attente en continu. Ça prouve que les gens sont prêts à attendre pour être considérés et pour être bien conseillés sur les produits.

Manuel Champagne, directeur général de Détail Québec, l’organisme de référence en matière de main-d’œuvre dans la vente au détail

Les contacts humains créent des relations qui font toute la différence. Les scores élevés d’Yves Rocher, Lindt, Imaginaire, Claire France et la Société des alcools du Québec en sont la démonstration, comme l’a écrit ma collègue Nathaëlle Morissette. Les clients y apprécient les conseils judicieux et les petites attentions. Mais il faut plus pour dépasser les attentes. Il faut que le commerce soit agréable, que les stocks soient sur place, que les prix soient justes.

Ce n’est pas une question de moyens financiers ou de notoriété internationale. De fait, de toutes les entreprises, celle qui se distingue le plus de ses concurrents est Chaussures Pop, une enseigne locale de taille relativement modeste. Son résultat (87) est bien au-dessus de celui de tous les autres détaillants de chaussures, Browns ayant 69 et Aldo, 62.

Le franchisé de Saint-Georges, en Beauce, David Lacasse, attribue la performance de l’enseigne au fait que ce sont des propriétaires qui s’occupent de leurs magasins, et non des gérants. « Dans les périodes de rush, je suis à quatre pattes et je vends de bottes ! » Il s’implique aussi dans sa communauté en soutenant le club de hockey et l’hôpital, m’a-t-il raconté, ce qui fait une différence pour les clients.

S’il y a un lieu où le contact humain compte, c’est bien dans une pharmacie. Pharmaprix obtient la pire note de sa catégorie, car les Québécois jugent que le lien de proximité avec les pharmaciens y est moins satisfaisant qu’ailleurs.

Bondés, mais décevants

Des commerces aux notes pitoyables peuvent tout de même être très populaires, révèle aussi l’étude de Léger. Prenez Sephora. C’est toujours bondé, tout est fait pour permettre aux clientes de tester les produits, on vous offre un cadeau à votre anniversaire, on vous maquille même gratuitement.

Pourtant, dans sa catégorie, Sephora obtient la pire note (79), ce qui se compare à 96 pour Yves Rocher, qui trône au sommet. Bath & Body Works suit de près avec 93,6. Léger constate que les pointages sont « phénoménaux chez les 15-34 ans », mais faibles parmi les clientes plus âgées. À la moindre ride, les femmes y seraient boudées par les employées, en somme. Gênant.

Le même phénomène s’observe avec Maxi. Les parts de marché ont crû selon NielsenIQ, grâce à l’inflation, mais l’enseigne affiche le score le plus faible (64) parmi les grands épiciers. Aucune autre chaîne ne suscite autant la grogne en raison du temps d’attente aux caisses. De toute évidence, ses prix compensent.

Et que dire de Zara ? Avec son minime score de 46, le géant espagnol de la mode éphémère arrive en 227place du classement… sur les 228 commerces évalués. Pourtant, ce ne sont pas les clients qui manquent ! On lui reproche surtout le manque de service, la signalisation en magasin qui rend les produits difficiles à trouver et le temps d’attente aux caisses. En plus, il est difficile de bien identifier les employés.

Le bon dernier est Boom liquidation, une entreprise québécoise qui, comme son nom l’indique, liquide à bas prix des stocks disparates. Ça va des jouets aux vêtements en passant par l’alimentation et le maquillage. On ne peut pas dire que c’est propre et bien rangé. C’en est déstabilisant la première fois. L’accent est mis sur une chose : les prix, ce qui est légitime. Mais les clients apprécieraient un coup de balai.

Encore des défis dans la quincaillerie

Parlant de bas prix, Canac est la preuve ultime qu’on peut à la fois être abordable et agréable. Encore cette année, la chaîne de quincailleries de Québec arrive au premier rang de sa catégorie avec une note qui se démarque nettement (86) pour l’ensemble de son œuvre, mais ses bas prix en particulier. « Canac, c’est fou. Les commentaires sont très positifs », commente Hélène Crépin, vice-présidente, Consommation chez Léger.

À l’exception de Patrick Morin (77), une autre enseigne de moyenne taille née au Québec, les autres quincailleries font assez piètre figure. Sur les 228 détaillants évalués, Réno-Dépôt arrive au 211e rang. On lui reproche son service, le manque de disponibilité et d’accompagnement des employés, ainsi que les prix. Ce n’est pas une surprise.

Il n’est pas aisé pour les quincailliers de bien répondre aux clients qui ont 1000 questions disparates et techniques, mais le succès de Canac démontre qu’il est possible pour cette industrie de faire mieux.

À mesure que la popularité des Amazon, Temu, Shein et compagnie explose, il est quand même étonnant de constater à quel point l’expérience client est souvent négligée dans les magasins. On peut aussi voir ce laxisme comme le catalyseur des achats en ligne. Quoi qu’il en soit, on peut empêcher les commerces de se transformer en anachronismes, et les contacts humains sont trop précieux pour rester les bras croisés.

Qu’est-ce qu’un bon service à la clientèle ?

La Presse a demandé à quatre experts de résumer quoi consiste un service à la clientèle hors pair dans un commerce.

Jean-Luc Geha
Professeur et directeur associé de l’Institut de vente à HEC Montréal

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Jean-Luc Geha, professeur et directeur associé de l’Institut de vente à HEC Montréal

Dépasser les attentes

« Le principe de base consiste à dépasser les attentes des clients. C’est ce qui crée l’effet wow. Évidemment, il faut mettre ça dans un contexte. Si on va chez Dollarama, les attentes sont inférieures à celles qu’on a chez Saks Fifth Avenue. L’employé doit être empathique, il doit savoir poser des questions et connaître les produits. »

Manuel Champagne
Directeur général de Détail Québec

PHOTO TIRÉE DE LINKEDIN

Manuel Champagne, directeur général de Détail Québec

Être fiable et honnête

« C’est un service fiable, honnête et constant. La fiabilité, ça passe par des conseils intègres, par un employé qui connaît bien ses produits pour que le client ait confiance. Lorsqu’un client pose une question, il faut la bonne réponse honnête du premier coup. »

Lili Fortin
Présidente de Tristan, premier dans la catégorie « vêtements unisexes »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Lili Fortin, présidente de Tristan, premier dans la catégorie « vêtements unisexes »

S’adapter à sa clientèle

« Il faut s’adapter aux besoins et au rythme du client, voir s’il est pressé ou en repérage. Il n’y a pas une seule formule. Il faut s’adapter à l’humeur, à l’état d’esprit du client, se demander s’il faut être efficace ou être en mode inspiration. »

Louis Fabien
Professeur retraité de HEC Montréal spécialisé dans l’expérience client

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Louis Fabien, professeur retraité de HEC Montréal spécialisé dans l’expérience client

Être disponible

« C’est bien accueillir le client qui arrive sans nécessairement lui demander s’il a besoin de quelque chose, mais en lui disant qu’on est disponible. Il faut aussi savoir répondre aux questions du client. L’idée, c’est de s’occuper du client du début à la fin pour qu’il se sente écouté, encadré. »