Y a-t-il un vent de changement qui souffle sur la Société des alcools du Québec ? Alors que ses ventes sont en baisse – une première en 10 ans – et qu’elle a fait subir un régime minceur aux rabais accordés à son enseigne Dépôt, voilà que la société d’État a décidé de fermer sa succursale du CF Carrefour Laval, de réduire les heures d’ouverture de certains magasins et de supprimer 64 postes.

Des changements se font également sentir sur les tablettes, où les produits à faible teneur en alcool n’ont jamais été aussi présents. La société d’État s’attaque ainsi à un marché déjà occupé par les grandes surfaces.

Ces récentes décisions sont en quelque sorte une « adaptation à l’inflation », résume Frédéric Laurin, professeur d’économie à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).

Fermeture de succursale

Les clients qui achetaient leurs bouteilles de vin en allant faire leurs emplettes au CF Carrefour Laval devront trouver une autre adresse à partir de juin, puisque la succursale de la SAQ située dans le populaire centre commercial fermera ses portes définitivement et ne sera pas relogée ailleurs, ce qui portera à 409 le nombre total de magasins de la société d’État. La raison : la succursale n’atteignait pas les objectifs de rentabilité fixés, explique la porte-parole de la SAQ, Geneviève Cormier.

« Lorsqu’un bail d’une succursale arrive à échéance, la SAQ évalue toujours la pertinence de son emplacement et si celle-ci dessert bien nos clients, a-t-elle mentionné par courriel. L’ensemble des éléments et des indicateurs observés par nos équipes pour cette succursale démontrent qu’elle n’atteint plus les niveaux de rentabilité escomptée.

Donc, avec quatre succursales SAQ à moins de trois kilomètres de la succursale du Carrefour Laval, nous avons pris la décision de la fermer définitivement.

Geneviève Cormier, porte-parole de la Société des alcools du Québec

Aucun employé ne perdra toutefois son emploi, puisqu’ils seront « réaffectés dans les succursales environnantes, et ce dans le respect de la convention collective », a assuré Mme Cormier. Trois employés y occupent un poste « régulier », les autres sont tous à temps partiel, selon le Syndicat des employés de magasins et de bureaux de la Société des alcools du Québec (SEMB-SAQ-CSN).

La dernière fermeture de succursale – sans déménagement – remonte à mars 2023 : celle de la Plaza Laval située sur le chemin Sainte-Foy.

Horaire réduit pour certaines succursales

Les amateurs de vin et spiritueux sont moins nombreux à aller acheter leurs produits en soirée. C’est du moins le constat qu’a fait la société d’État dans certains marchés. Résultat : à compter du 7 avril, les 10 magasins Dépôt fermeront leurs portes à 19 h les jeudis et vendredis au lieu de 21 h. Et dans le réseau de succursales, sur les 36 qui sont ouvertes tous les jours jusqu’à 20 h, 18 verront leur horaire révisé à la baisse. Impossible de savoir pour l’instant à quel moment elles fermeront leurs caisses ni de quels magasins il s’agit.

« Le comportement d’achat de nos clients évolue constamment et nous cherchons toujours à nous adapter pour mieux répondre à leurs attentes. Après l’analyse de certains indicateurs (principalement les ventes et l’achalandage), nous avons remarqué – pour un certain nombre de succursales – que leur achalandage ne justifiait plus des heures de fermeture aussi tardives », souligne Geneviève Cormier.

Selon le professeur Laurin, ces décisions permettent à la SAQ « de faire des économies sachant que ses bouteilles, elle va probablement les vendre quand même ».

« Les gens vont y aller quand même », croit-il.

En ce qui concerne les suppressions de 64 postes, 48 sont actuellement « vacants », tient à souligner la SAQ. « Nous avons procédé à la révision des besoins de main-d’œuvre pour l’ensemble de notre réseau pour l’année 2024-2025, ce qui nous amène à réduire le nombre de postes réguliers permettant ainsi une répartition de nos effectifs en fonction de nos besoins. »

Négociations

Sans convention collective depuis le 31 mars 2023, le Syndicat des employés de magasins et de bureaux de la Société des alcools du Québec (SEMB-SAQ-CSN) – en négociation depuis un an – a pris connaissance de ces décisions concernant les succursales et les coupes de poste le 10 janvier.

« Tout ça, c’est de l’économie de bouts de chandelle qui va avoir des répercussions autant sur les employés que sur les clients », dénonce la présidente, Lisa Courtemanche.

Elle souligne que les postes supprimés étaient « réguliers », contribuant à augmenter une fois de plus le nombre d’emplois précaires. « On est déjà à 70 % d’employés à temps partiel chez nous », rappelle Mme Courtemanche.

À la table, la présidente assure néanmoins que le syndicat négocie de bonne foi et que certains dossiers « évoluent ».

Promouvoir des produits… faibles en alcool

L’image est frappante : « De l’alcool 0,5 %, on en a », peut-on lire dès que l’on entre sur la page d’accueil du site saq. com. L’internaute n’a ensuite qu’à cliquer pour découvrir les produits offerts. Des visites en magasin ont également permis de constater que les cocktails prêts à boire et autres gins réduits en alcool étaient beaucoup plus visibles qu’auparavant.

« Il y a un engouement pour les produits faibles en alcool à la SAQ, confirme Geneviève Cormier. Au cours des trois dernières années, les ventes de cette catégorie ont plus que doublé. C’est pourquoi nous avons lancé une campagne promotionnelle sur nos produits faibles en alcool qui a débuté dès novembre dernier et s’échelonnera jusqu’à la fin février 2024. » Une quinzaine de nouveaux produits ont été ajoutés à l’offre cette année.

Nicolas Duvernois, l’homme d’affaires derrière les boissons Pur Vodka et Romeo’s Gin, calcule que maintenant, près de la moitié de ses produits sont sans alcool ou à faible teneur en alcool.

« C’est cinglé, la croissance rapide », lance-t-il spontanément au bout du fil.

M. Duvernois a également noté que la société d’État avait une plus grande soif pour cette catégorie. « En succursale, on le voit que les produits faibles en alcool sont mieux positionnés. Il y a des nouvelles tablettes qui apparaissent qui sont consacrées à cette catégorie-là. »

« En même temps, la SAQ ne peut pas vraiment passer à côté de cette catégorie-là. C’est là pour rester, soutient-il. C’est un retailer, la SAQ. Ils seraient fous de ne pas [embarquer]. »

« Sauf que là, la SAQ va devoir se battre contre Super C, Maxi, Metro, IGA, Couche-Tard… »

« À la SAQ – avec son système assez complexe d’appels d’offres et de campagnes promotionnelles –, ça prend beaucoup de temps avant de lancer un produit, alors que dans le privé, ça peut prendre trois semaines. »

« Est-ce qu’ils vont pouvoir être aussi compétitifs que le privé ? », se demande-t-il. Impossible pour le moment de répondre à cette question.

La SAQ en bref

  • Président et chef de la direction : Jacques Farcy
  • Nombre de succursales : 410 (incluant la succursale du CF Carrefour Laval ouverte jusqu’en juin)
  • Nombre d’agences : 426
  • Nombre total d’employés : 7223
  • Ventes au premier trimestre de l’exercice 2023-2024 : 902,5 millions (en baisse de 1,2 %)
  • Ventes au deuxième trimestre de l’exercice 2023-2024 : 945,7 millions (en baisse de 0,6 %)