J’ai été renversé par ce que j’ai découvert sur la fréquentation scolaire des jeunes du Québec. Une seule conclusion s’impose : chapeau, les jeunes et le personnel en éducation.

Je me suis mis le nez dans ce dossier après des commentaires critiques de la part de lecteurs, notamment des économistes, au sujet de la forte proportion des jeunes Québécois qui travaillent, dont je faisais état dans une récente chronique.

En gros, j’y expliquais que le marché du travail au Québec était guidé par les jeunes, entre autres, ces derniers étant proportionnellement bien plus nombreux qu’ailleurs au Canada à travailler. Au Québec, 64 % des 15-24 ans travaillaient en décembre 2023, contre 51 % en Ontario1.

Mais selon les critiques, ce fort taux d’emploi est de nature à nuire à la fréquentation scolaire. Le Québec n’a-t-il pas un gros problème de décrochage comparé au reste du pays, notamment chez les garçons ?

Or voilà, à ma grande surprise, des données de Statistique Canada disent tout le contraire : les jeunes Québécois sont nettement plus nombreux qu’ailleurs à fréquenter un établissement scolaire, toute proportion gardée 2.

En fait, non seulement ils sont plus nombreux, mais ils ont rattrapé puis dépassé le reste du Canada il y a une dizaine d’années et l’écart s’accroît depuis. Globalement, 68 % des 15-24 ans disaient fréquenter un établissement scolaire en 2023 (secondaire, cégep, université) contre 62 % ailleurs3.

Le rattrapage est aussi manifeste dans la sous-catégorie des 15-19 ans, le groupe perçu comme au cœur du décrochage. Depuis 5 ans, le Québec a rattrapé la championne du taux de fréquentation scolaire – l’Ontario – avec un taux atteignant près de 88 % en 2023 chez les 15-19 ans. Wow !

La Colombie-Britannique et l’Alberta sont loin derrière, puisque seulement 82 % des 15-19 ans ont dit fréquenter un établissement scolaire en 2023. La Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick sont à 82 % et la Saskatchewan, à 80 %, est au dernier rang.

Depuis 20 ans, c’est au Québec que le taux de fréquentation a le plus augmenté (de 5,5 points) parmi les 10 provinces. Un graphique vaut mille mots.

La base de données d’où sont tirées ces conclusions est la même que celle qui traite de l’emploi, soit l’enquête sur la population active (EPA). Statistique Canada fait un sondage mensuel auprès de 56 000 ménages canadiens – la participation est obligatoire – et leur demande qui travaille, qui étudie, etc.

Les données sur la fréquentation d’un établissement d’enseignement sont une moyenne des 8 mois pertinents (janvier à avril et septembre à décembre). L’échantillon change partiellement chaque mois4.

Le problème des gars ? Effectivement, la fréquentation scolaire des garçons de 15-19 ans (85 %) est moindre au Québec que celle des filles (91 %), mais l’écart est très semblable ailleurs. À ce sujet, la tendance pancanadienne à long terme est inquiétante pour les garçons.

L’un des économistes qui m’ont écrit me suggérait que les garçons devaient être proportionnellement plus nombreux à travailler que les filles, expliquant leur décrochage plus grand.

Or, encore une fois, les données de Statistique Canada démontrent l’inverse, du moins au Québec. Les filles de 15-19 ans du Québec sont non seulement plus nombreuses à étudier (91 %) que les garçons, mais aussi à travailler (67 % ont travaillé en 2023 à temps partiel ou à temps plein, contre 63 % chez les garçons). Étonnant !

Et que se passe-t-il après 19 ans pour les deux sexes ? Nos jeunes jettent-ils l’éponge des études en comparaison du reste du Canada ?

Pas du tout. Au contraire, l’écart de fréquentation scolaire du Québec s’accroît par rapport à nos voisins, probablement en raison des cégeps – inexistants ailleurs – et du faible coût relatif des études.

En 2023, 50 % des 20-24 ans du Québec fréquentaient encore un établissement d’enseignement, contre 46 % en Ontario. Chez les 25-29 ans, les taux sont de 15,8 % au Québec et 12,4 % en Ontario5. La tendance est manifeste à long terme, comme l’indiquent les graphiques.

Les chiffres sur la fréquentation ne disent pas tout. C’est une chose d’être aux études, c’en est une autre de décrocher des diplômes. Il faut aussi tenir compte du temps qu’il faut pour y parvenir.

Bien qu’ils soient plus nombreux aux études, les 15-24 ans du Québec étaient un peu moins nombreux qu’ailleurs en 2023 à être titulaires d’au moins un diplôme (du secondaire, du cégep ou de l’université), soit 66,7 % contre 67,6 % dans le reste du Canada, selon Statistique Canada. Les Québécois prennent souvent plus de temps qu’ailleurs pour terminer leurs études, selon d’autres données.

La comparaison des 25-54 ans permet de mesurer l’effet du temps sur la diplomation. Au Québec, près de 80 % des membres de ce groupe déclarent avoir un diplôme postsecondaire ou universitaire, contre environ 75 % dans le reste du Canada. L’écart en faveur du Québec s’est accru avec le temps, probablement en raison des cégeps.

En revanche, les Québécois de 25-54 ans disant avoir un bac ou un diplôme supérieur au bac étaient moins nombreux qu’ailleurs en 2023 (37 % contre 41 %). Ce retard dure depuis longtemps.

Je pense toujours que les jeunes devraient consacrer l’essentiel de leurs énergies aux études avant tout. Passés 15 heures de travail, les résultats scolaires de bien des jeunes en souffrent, et possiblement le temps pour obtenir un diplôme également.

La hausse de fréquentation scolaire au Québec depuis 40 ans est néanmoins une excellente nouvelle. Elle signifie probablement que notre système d’éducation, malgré ses nombreux défauts, parvient à aider les moins favorisés à poursuivre leurs études, et c’est tant mieux. C’est de bon augure pour l’avenir.

Les constats soulèvent toutefois des questions. Est-il possible que la combinaison travail-études plus grande des jeunes du Québec depuis 10 ans explique, en partie, leur taux d’anxiété plus élevé ? Et celui, encore plus élevé, des filles ?

Autre question : est-il possible que la hausse de la fréquentation scolaire soit l’un des facteurs d’alourdissement des classes ? L’écart est très grand : en 1983, 70 % des 15-19 ans allaient à l’école, contre 88 % aujourd’hui. De quoi sont donc composés ces 18 points de pourcentage de plus ?

Et qu’en est-il de l’anxiété des Québécois par rapport au reste du Canada ?

1. Lisez la chronique « Emploi : le Québec, guidé par les femmes et les jeunes »

2. Grand merci à l’économiste Mario Jodoin pour m’avoir mis sur la piste de ces données sur la fréquentation scolaire.

3. En 2023, 93,4 % des élèves québécois de 15-24 ans disaient être inscrits à temps plein, une proportion semblable au reste du Canada (93,9 %).

4. Le taux de fréquentation scolaire des 15-19 ans du Québec issu de l’EPA de Statistique Canada et le taux de diplomation au secondaire calculé par Statistique Canada avec les données du Conseil des ministres de l’Éducation du Canada (CMEC) semblent contradictoires. Le premier est significativement plus élevé au Québec qu’ailleurs et le second, bien plus faible. Statistique Canada répond que les deux jeux de données ne sont pas comparables : le premier est une photo de la fréquentation scolaire chaque année et le second, la diplomation de cohortes suivie dans le temps.

5. Dans cette dernière tranche d’âge (25-29 ans), les étudiants à temps partiel du Québec constituent une part un peu plus élevée qu’ailleurs (28 % contre 24 % dans le reste du Canada).