Les défis financiers de Groupe TVA sont majeurs. À tel point que l’actionnaire de contrôle, Québecor Média, a dû venir à la rescousse du télédiffuseur pour lui permettre de boucler son budget courant, récemment, une première dans l’histoire de TVA.

Durant la première moitié de 2023, les activités courantes de TVA ont débouché sur un déficit de liquidités de 88 millions de dollars, indiquent les documents financiers de l’entreprise. La somme est costaude, bien que le premier semestre de l’année soit historiquement moins rentable que le second.

Le déficit s’explique par les pertes de l’entreprise, mais aussi par le remboursement d’arrérages de droits de diffusion⁠1.

Pour payer les activités courantes, TVA a donc dû emprunter 91 millions à long terme auprès de Québecor Média, fin juin. Le télédiffuseur avait déjà emprunté des fonds à Québecor Média, en 2014, mais c’était dans le contexte d’une acquisition, et remboursable à court terme.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Le patron de Québecor, Pierre Karl Péladeau

Ce n’est pas tout. Toujours en juin, la marge de crédit que les banques accordent à TVA pour lui permettre de gérer ses activités courantes a été fortement réduite. Elle a été renouvelée pour une somme de seulement 20 millions, alors que cette facilité bancaire a toujours été de 75, voire de 150 millions au cours des 10 dernières années. Le prêteur de cette marge de 20 millions est la Banque Nationale.

C’est Québecor Média, de Pierre Karl Péladeau, qui s’est substitué aux banques pour assurer la facilité de crédit à court terme de TVA. En plus des 91 millions, Québecor Média a donc accordé une facilité rotative de 29 millions à TVA. Les deux montants sont garantis par une hypothèque sur le siège social de TVA et par les biens meubles de l’entreprise.

On comprend mieux pourquoi Pierre Karl Péladeau a annoncé l’abolition de 140 postes chez TVA en février. Et pourquoi il a brusquement coupé l’émission de Stéphan Bureau, récemment, et suspendu le paiement du loyer à l’Assemblée nationale.

Cette bourrasque financière a coïncidé avec le départ de grands noms chez TVA. Il y a deux semaines, le chef de l’exploitation de Groupe TVA, Martin Picard, annonçait son départ, après avoir passé 21 ans au sein de l’entreprise. Cinq mois plus tôt, en mars, la vice-présidente des finances de TVA, Anick Dubois, démissionnait, après avoir travaillé 15 ans pour l’entreprise.

Comment expliquer cette avalanche d’encre rouge ? Cette injection financière de Québecor Média ? Cette présence moindre des banques ? En réponse, le service des affaires publiques de Québecor m’a simplement transmis le communiqué de juin annonçant le refinancement⁠2.

Plusieurs reprochent à celui qu’on appelle PKP d’avoir payé trop cher les droits de diffusion des matchs du Canadien de Montréal et de la LNH, en 2013.

Ils n’ont pas tort. À l’époque, les observateurs étaient tombés en bas de leur chaise en apprenant l’entente de 700 millions sur 12 ans. Et PKP lui-même ne l’a pas nié, dans une récente conversation avec Paul Arcand⁠3.

Le poids de ces droits est tel que TVA Sports a perdu entre 9,3 et 22 millions par année depuis 5 ans. En 2022, la perte de TVA Sports (9,3 millions) équivaut même à celle de l’ensemble de Groupe TVA (8,9 millions), selon les données du CRTC⁠4. Dit autrement, sans TVA Sports, le groupe serait rentable, essentiellement⁠5.

Pendant quelques années, le Groupe TVA n’en a pas trop souffert, puisque la télévision généraliste empochait les profits, mais ce passé semble révolu.

Le printemps dernier, les résultats du secteur Télédiffusion ont été « grandement affectés par la décroissance de nos revenus publicitaires », indique le communiqué du Groupe TVA. La grève des scénaristes et des acteurs à Hollywood a également fait fondre les revenus du secteur des Services cinématographiques et audiovisuels (MELS studios).

Est-ce le ralentissement économique qui a réduit les revenus publicitaires ? Certainement. Mais Pierre Karl Péladeau répète aussi que TVA fait face à une « concurrence déloyale de la Société Radio-Canada (“SRC”) qui, lancée dans une course aux cotes d’écoute non prévue à son mandat, s’accapare une part importante des revenus publicitaires auxquels s’ajoutent les frais qu’elle exige pour les abonnements à Tou.TV Extra » ⁠6.

L’homme d’affaires demande au gouvernement que Radio-Canada se retire du marché publicitaire sur toutes les plateformes.

Sa demande restera un vœu pieux. Le fédéral a entrepris une série de compressions, comme annoncé dans le budget de mars dernier, et il serait surprenant, dans ce contexte, qu’il empêche Radio-Canada d’engranger des revenus publicitaires et compense le manque à gagner. Il n’est pas impossible, même, que Radio-Canada voie ses propres subventions du fédéral réduites dans le contexte des compressions.

À cette concurrence de Radio-Canada s’ajoute maintenant celle de multinationales redoutables qui s’appellent Netflix, Paramount ou Disney. Ces diffuseurs sur demande réduisent l’audience des télédiffuseurs généralistes et des chaînes spécialisés et attirent un public envié, les jeunes, qui boudent la télé traditionnelle.

« On a vu les journaux disparaître en grande partie. En plus de la question des revenus publicitaires, on fait face aux géants américains, qui ont des milliards de capitalisations boursières », a expliqué Pierre Karl Péladeau à Paul Arcand.

L’ex-directeur général de l’information à Radio-Canada, Alain Saulnier, résume bien la situation. « La télévision est en train de vivre ce qu’ont vécu les journaux il y a un certain temps », me dit l’auteur des Barbares numériques, un essai massue sur les géants du web.

Ce bouleversement ne risque pas de nuire seulement à TVA, mais aussi à la culture du Québec. TVA encourage le contenu local depuis longtemps, que ce soit avec les séries, les émissions à grand déploiement (La voix, Star Académie, etc.) ou avec le Club Illico.

Pendant des années, les exigences de contenu, de diffusion et d’information du CRTC ont certainement soutenu la culture locale. Mais aujourd’hui, avec le bouleversement de l’écoute, ces contraintes minent la rentabilité d’entreprises comme TVA et risquent de nuire au contenu d’ici, par ricochet.

« Comme télévision généraliste, nous sommes réglementés. Ça fait des années que nous demandons d’avoir de [meilleures] conditions », a expliqué Pierre Karl Péladeau à Paul Arcand.

Le CRTC a fait un petit pas, cette semaine. Il accepte que les chaînes spécialisées de TVA, comme celles de ses concurrents, diffusent davantage de publicités, constatant l’érosion de leurs revenus de télédiffusion au profit des services de vidéo sur demande, comme Netlflix et autres. Mais il a fallu trois ans au CRTC pour trancher la demande de Québecor.

Le gouvernement fédéral a aussi répondu aux critiques de l’industrie. D’abord, la loi C-18 vise à aider les médias à obtenir une indemnisation lorsque leur contenu est publié par les Facebook, Google et autres géants numériques. Mais les deux géants refusent de s’y plier et bloquent la diffusion de nouvelles locales.

Il y a également la très importante loi C-11, adoptée le printemps dernier. Elle impose aux diffuseurs sur l’internet les mêmes contraintes qu’aux télédiffuseurs comme TVA. Les AppleTV et autres Netflix seront donc tenus de produire et de diffuser un minimum de contenu canadien, sous peine de sanctions, ce qui rétablira un certain équilibre.

Cette révolution en devenir attend toutefois que le CRTC adopte les règlements pour appliquer la loi, aux termes d’une consultation qui se termine le 28 septembre.

Mais ces lois arrivent-elles trop tard, comme le pensent certains, et permettront-elles vraiment de soutenir la culture locale ?

En attendant, des entreprises comme TVA devront probablement prendre des décisions difficiles, impliquant de possibles autres mises à pied, ce que n’a pas nié Pierre Karl Péladeau au 98,5 de Cogeco Media.

Pas facile quand même…

1. Le déficit de liquidités de l’exploitation s’explique entre autres par la réduction importante des « droits de contenu à payer » au passif. TVA avait laissé ces droits impayés augmenter à un niveau record au 31 décembre 2022. Comme ce passif a été nettoyé, la situation pourrait s’améliorer au cours des prochains mois, d’autant que le 2e semestre de l’année est historiquement toujours meilleur que le premier. Tout de même, la perte nette comptable de 36 millions du premier semestre, qui s’ajoute à la perte de 8,9 millions de 2022, pèse lourd sur les liquidités de TVA.

2. Consultez le communiqué de presse de Groupe TVA sur la conclusion de nouvelles facilités de crédit 3. Écoutez l’entrevue de Pierre Karl Péladeau au micro de Paul Arcand 4. Consultez les relevés du CRTC

5. La coûteuse transaction sur les droits de diffusion était notamment justifiée par une autre décision risquée, celle d’essayer de faire revivre les Nordiques à Québec. Le marché de Québec est jusqu’à 8 fois plus petit que celui d’autres villes concurrentes qui veulent un club de hockey et donc commercialement moins attrayant. À ce sujet, voir ici :

Lisez « LNH : six destinations pour les Coyotes »

6. Ces propos de M. Péladeau viennent du communiqué sur les résultats du 4e trimestre de 2022.

Consultez le communiqué de Groupe TVA sur les résultats du 4e trimestre de 2022