Que des écologistes barbus le disent, comme c’est le cas depuis 30 ans, soit. Mais qu’un ministre vedette d’un gouvernement de centre droit le déclare, ministre pourtant associé au développement économique à tout crin, c’est impressionnant !

Essentiellement, Pierre Fitzgibbon a dit qu’il fallait réduire le parc automobile de moitié pour atteindre la carboneutralité en 2050. Que les ménages devaient changer leur comportement, en consommant moins et mieux. Il a même parlé de l’importance de réduire nos voyages en avion et notre consommation de viande. Wow1 !

PHOTO STÉPHANE LESSARD, LE NOUVELLISTE

Le ministre Pierre Fitzgibbon, jeudi, lors d’une annonce concernant la filière batterie, à Bécancour

À voir la croissance du parc automobile depuis 30 ans (+ 32 % par habitant) et compte tenu de l’augmentation actuelle de la population, l’objectif apparaît très ambitieux2. Mais peu importe, l’important, c’est qu’un décideur brise le tabou, soit que la carboneutralité exige des efforts majeurs de chacun, en plus de ceux des pouvoirs publics.

Concrètement, ça veut dire quoi ? Chaque ménage a sa propre consommation de GES, selon ses comportements, son mode de vie, ses revenus et l’endroit où il habite. Bref, chacun devrait être en mesure de gérer son propre budget carbone avec pour objectif de le réduire significativement. L’objectif national est une baisse de 45 % d’ici 2030.

Au Québec, les ménages consomment l’équivalent de 8,4 tonnes de GES par habitant. Il ne s’agit pas de la production de GES au Québec divisée par la population, mais bien des GES que chaque habitant engendre avec son mode de vie et sa consommation de biens, en moyenne, que ces biens soient produits au Québec, en Chine ou en Californie.

Ce bilan carbone sophistiqué de notre consommation a été estimé par l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) et publié à la fin de 20223.

Le budget carbone des Québécois

Sans surprise, ce sont les déplacements dans vos voitures qui produisent le plus de GES, soit 2,1 tonnes par habitant, en moyenne. Suivent l’alimentation (1,8 tonne), l’habitation (1,1 tonne) et tout ce qui touche aux autres aspects de vos transports, comme les voyages en avion, les courses en taxi ou les GES produits par la construction de votre véhicule (0,9 tonne pour cet ensemble).

Réduire son bilan carbone de 45 % d’ici 2030, pour commencer, passe donc inévitablement par une diminution majeure des émissions de nos véhicules, comme le dit Pierre Fitzgibbon.

Ce peut être l’abandon de l’une des deux voitures, la réduction de moitié du nombre de kilomètres parcourus, le remplacement de sa voiture par un véhicule nettement moins énergivore, l’utilisation des transports en commun ou le recours aux services de type Communauto.

Un exemple ? Produire 2,1 tonnes de GES par habitant, c’est l’équivalent du ménage moyen au Québec (constitué de 2,1 personnes) qui roule 20 000 km par année avec une Subaru Outback.

En changeant pour une Toyota Camry hybride, le bilan est réduit à 1,1 tonne par personne, selon les données de Ressources naturelles Canada. Et avec une voiture électrique, évidemment, la consommation courante de GES tombe à zéro au Québec.

Bien sûr, il faudrait tenir compte des GES nécessaires pour produire les véhicules – d’où l’importance de réduire le parc –, mais le plus gros vient de la combustion d’essence.

L’alimentation est l’autre gros poste. Impossible de cesser de manger, bien entendu, mais une baisse significative des mets avec viande rouge réduit rapidement les GES de votre alimentation.

Dans un dossier de 2017, j’avais estimé que la viande de bœuf représentait près de la moitié des GES de l’assiette moyenne des familles. Pour un même apport nutritif, la production de bœuf émet six fois plus de GES que le poulet, le porc ou le poisson. Et 45 fois plus que les légumineuses ou le tofu, dont le nombre de recettes succulentes a explosé ces dernières années.

Enfin, pour les mordus des voyages, rappelons qu’une personne qui se déplace en avion entre Montréal et Paris émet environ 1,3 tonne de GES (aller-retour). Pour dégonfler leurs émissions, les voyageurs doivent donc réduire significativement le nombre de leurs voyages ou compenser en abandonnant la voiture à essence, par exemple.

Le Québec et l’Alberta

Maintenant, comment se compare le Québec avec ses voisins ? L’ISQ n’a pas fait l’exercice, mais il est possible de faire la comparaison pour les véhicules et la maison, grâce aux données de Statistique Canada.

Le chauffage à l’hydroélectricité plutôt qu’au mazout ou autrement fait en sorte que le Québec se classe très bien pour la consommation de GES de l’habitation (1,1 tonne par habitant contre 1,5 tonne pour la moyenne canadienne).

Le Québec est aussi le 2e plus petit consommateur de GES pour les véhicules. Seule la Colombie-Britannique fait mieux (2 tonnes par habitant). Les deux derniers de classe sont Terre-Neuve-et-Labrador et la Saskatchewan.

Avant de bomber le torse, il faut savoir que la consommation de GES des ménages pour leur véhicule est étroitement liée au niveau d’urbanisation des provinces.

Dans les provinces maritimes, plus de 40 % de la population vit en région rurale, où la voiture est souvent une nécessité, contre 19 % au Québec et moins de 14 % en Ontario et en Colombie-Britannique.

Ce n’est pas pour rien que les environnementalistes répètent qu’il faut changer l’aménagement du territoire pour réduire notre empreinte carbone, tout en haussant les services de transport en commun, surtout dans les régions métropolitaines.

Tout de même, les Québécois émettent 23 % moins de GES par habitant que les Albertains avec leurs voitures, alors que la proportion qui vit en région rurale au Québec (19 %) est plus élevée qu’en Alberta (15,2 %), selon les données de Statistique Canada.

Comme quoi le respect de l’environnement est aussi une question culturelle… Ce n’est pas demain matin que le ministre conservateur de l’Économie de l’Alberta suggérera à ses électeurs de changer de comportement et de voiture…

1. Lisez l’article « Fitzgibbon persiste et signe, Legault tempère »

2. Le nombre de véhicules personnels a augmenté de 61 % depuis 30 ans au Québec. Pour 1000 habitants, le nombre atteint aujourd’hui 612, un bond de 32 % depuis 30 ans, selon l’État de l’énergie au Québec de HEC Montréal.

3. La mise à jour de juin 2023 ramène la consommation de GES à 8,1 tonnes par habitant pour 2018, mais l’ISQ n’a pas encore ventilé ce nouveau bilan pour chaque poste de dépenses des ménages.