Impossible d’évoquer le nucléaire sans penser à la catastrophe de Tchernobyl, en Ukraine, sous l’ex-URSS. Et à ces volontaires qui ont littéralement sacrifié leur vie pour maîtriser la situation, en 1986.

Je revois ces pompiers éteindre le feu, entre autres, sans savoir que d’importantes radiations émanaient de la centrale à la suite de l’explosion, tel que le présente l’excellente minisérie Tchernobyl. Et qui en sont morts, après d’horribles souffrances1.

Cette catastrophe et celle de Fukushima, au Japon, en 2011, ont marqué les esprits. Et elles rendent plus difficile l’atteinte de la nécessaire acceptabilité sociale de projets d’énergie nucléaire au Québec – contrée plus contestataire que d’autres –, d’autant que la province compte sur l’hydroélectricité.

Tout de même, lundi, le ministre de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, disait ne pas vouloir fermer la porte au nucléaire, dans le contexte des immenses besoins énergétiques du Québec, selon ce que rapporte La Presse Canadienne.

Entre autres, Hydro-Québec a commandé une étude pour évaluer les possibilités techniques et financières de rouvrir la centrale Gentilly-2, à Bécancour. L’analyse a commencé la semaine dernière par la firme SNC-Lavalin.

La côte sera difficile à remonter, car le déclassement de Gentilly-2, dès 2012, n’a pas été fait dans la perspective d’une éventuelle relance, mais seulement pour une fermeture définitive.

Et même si la chose était techniquement faisable, il faut voir si la réouverture permettrait de produire de l’énergie à coût concurrentiel par rapport aux sources semblables, qui génèrent de fortes puissances, comme le harnachement de grandes rivières ou la construction de stations nucléaires innovatrices appelées PRM (pour petit réacteur modulaire).

Chose certaine, le réchauffement climatique et la nécessité de faire disparaître les gaz à effet de serre (GES) rendent pratiquement indispensable l’utilisation accrue du nucléaire. Si un pays comme la France a un si beau bilan de GES, c’est surtout parce que son énergie provient à 71 % du nucléaire, qui n’émet pratiquement pas de GES.

Au Canada, le gouvernement fédéral appuie d’ailleurs les provinces qui veulent développer cette industrie, dans le contexte des objectifs climatiques. En octobre dernier, le sous-ministre de Ressources naturelles Canada (RNC), John Hannaford, a fait un vibrant plaidoyer en faveur du nucléaire.

« L’énergie nucléaire occupe une place importante dans les efforts que nous déployons pour atteindre la carboneutralité. Les nouvelles technologies, comme les PRM, ont un potentiel prometteur de production d’électricité et de chaleur, de contribution à la décarbonisation de l’industrie lourde et de remplacement du diesel dans les collectivités éloignées », a écrit M. Hannaford comme représentant de Ressources naturelles Canada et président du Forum du leadership du Plan d’action des PRM.

Ottawa a débloqué des centaines de millions de dollars dans les récents budgets pour soutenir le développement des PRM. Ces petits réacteurs auront une puissance maximale de 300 mégawatts, contre 700 pour les grandes centrales, en moyenne, selon ce qu’indique l’Agence internationale de l’énergie atomique. Ils prendront moins d’espace et peuvent être fabriqués en usine plutôt que sur place, notamment.

Quatre provinces se sont alliées pour en faire le développement. En plus de l’Ontario, dont l’électricité vient à 59 % du nucléaire, l’alliance regroupe depuis 2019 le Nouveau-Brunswick et la Saskatchewan ; l’Alberta s’y est ajoutée en 2021.

Le groupe espère faire du Canada un précurseur mondial de cette technologie, ajoutant aux avantages de décarbonation les retombées économiques qui en découleraient.

Le rapport stratégique du groupe, présenté en mars 2022, projette de construire un premier projet PRM d’ici 2028 sur le site Darlington, en Ontario. Suivraient d’autres projets au Nouveau-Brunswick en 2029 (Point Lepreau), puis en Saskatchewan (2034). Un mini-PRM de 5 MW, développé à Chalk River, en Ontario, sera mis en service en 2026⁠2.

Bref, ce n’est pas pour rien que Pierre Fitzgibbon a maintes fois mentionné les PRM devant les journalistes, lundi. Et on peut parier que le nouveau PDG d’Hydro-Québec, Michael Sabia, connaît cette technologie, puisqu’il était sous-ministre des Finances au fédéral quand Ottawa a débloqué des fonds pour son développement.

Ce que j’en pense ? Qu’une province comme l’Alberta doit légitimement envisager le nucléaire comme option pour remplacer les énergies fossiles, malgré ses risques et ses déchets. Après tout, le problème de ce siècle – le réchauffement – ne se réglera pas avec la seule énergie éolienne ou la simplicité volontaire, malheureusement.

Au Québec, où les ressources hydriques abondent, le nucléaire devrait cependant être loin dans le bas de la liste. Son développement pourrait être envisagé si un échec se dessine dans les négociations avec Terre-Neuve pour l’énergie de Churchill Falls, ce qui apparaît peu probable. Ou afin d’avoir une meilleure position stratégique dans ces négociations, justement, quitte à abandonner lorsqu’il y aura une entente.

Autrement, il faut en repousser l’utilisation à grande échelle autant que faire se peut.

1. Selon Wikipédia, « l’accident a provoqué entre 43 et 4000 décès selon les rapports des agences onusiennes publiés dans les revues scientifiques, ou beaucoup plus selon les diverses analyses d’agences ou d’ONG non publiées dans les revues scientifiques ».

Consultez la page Wikipédia sur la catastrophe de Tchernobyl 2. Consultez le Plan stratégique pour le déploiement des petits réacteurs modulaires de l’Ontario