Le prix des aliments ne cesse de grimper. Et pour bien des consommateurs, les épiciers en sont les grands responsables, permettant à leurs actionnaires de se remplir les poches à leur détriment.

Mais est-ce bien le cas ? Oui et non, répond un rapport du Bureau de la concurrence sur le prix des aliments en épicerie, rendu public mardi matin.

Partout dans le monde, le prix des aliments a grimpé depuis deux ans, en raison des problèmes d’approvisionnement liés à la pandémie et à la guerre en Ukraine, rappelle le Bureau.

Les consommateurs canadiens sont même plutôt choyés à cet égard, l’inflation annuelle de l’alimentation étant de 8,3 % ici, pendant qu’elle excède 14 % en France et en Allemagne et même 18 % au Royaume-Uni !

Mardi, d’ailleurs, Statistique Canada avait des nouvelles pas trop mauvaises à ce sujet – quoiqu’encore préoccupantes – soit que le taux d’inflation des aliments achetés en épicerie poursuit son ralentissement amorcé en janvier au Canada.

Le taux est passé à 9 % en mai, lorsque comparé au même mois de 2022, alors qu’il était de 11,4 % en janvier. Et pour les aliments dans les restos, la hausse a été de 6,8 % en mai.

L’ensemble de l’alimentation (épicerie et restos) a donc vu ses prix grimper de 8,3 % en moyenne, en mai, le plus bas taux depuis un an. C’est encore bien trop haut, mais ça ralentit.

Il reste que l’inflation alimentaire de 8,3 % au Canada est bien supérieure à la moyenne de tout le secteur (3,4 %). Et qu’elle est aussi bien plus élevée qu’aux États-Unis (6 %).

Selon le Bureau de la concurrence, la hausse supérieure des prix alimentaires s’explique en partie par le manque de concurrence du secteur de l’épicerie au Canada.

Pour tirer une telle conclusion, le Bureau a analysé les finances des trois grandes chaînes que sont Loblaws, Metro et Sobeys, entre autres. Il constate que « les marges brutes sur les produits alimentaires des épiciers canadiens ont généralement augmenté de façon modeste, mais significative au cours des cinq dernières années ».

Sans donner les marges précises, le Bureau indique que ces « marges ont généralement augmenté d’un ou deux points de pourcentage depuis 2017, ce qui équivaut à 1 ou 2 $ pour chaque tranche de 100 $ que les Canadiens dépensent en épicerie ».

Ces augmentations paraissent modestes, mais comme les marges de profit sont très petites, ces hausses relatives sont significatives, fait valoir le rapport. Si bien qu’entre 2019 et 2022 – avant et après la pandémie –, les profits des trois grands sont passés de 2,4 milliards à 3,6 milliards.

Notez que les profits englobent les produits non alimentaires de ces entreprises, devenus plus importants au fil des ans. Les renseignements sur Costco et Walmart ne figurent pas dans le rapport.

Bref, au vu de ces profits plus élevés, notamment, le rapport conclut que la concurrence n’est pas assez forte pour les chaînes d’alimentation. Il explique ce phénomène par le fait que le secteur est essentiellement concentré entre cinq grands acteurs, mentionnés plus haut.

Cette grande concentration, pourtant, le Bureau aurait pu la freiner davantage. Au fil des ans, le Bureau a accepté sans trop rechigner les fusions et acquisitions dans le secteur, quoiqu’en imposant aux protagonistes de céder certains magasins à des tiers, faut-il dire.

Le nombre de grands acteurs est ainsi passé de huit en 1986 à cinq aujourd’hui. Steinberg a été absorbé en 1986, comme Provigo en 1998, Adonis en 2011 et Jean Coutu en 2017.

Le rapport discute de cinq options qui rehausseraient la concurrence dans le secteur de l’épicerie, prélude à une baisse de prix. Et parmi eux, surprise, il est question de la venue d’un nouveau concurrent de l’étranger.

Certains épiciers internationaux étudient ou ont étudié l’option, selon le rapport, mais ils tardent à passer à l’action parce que le marché canadien est relativement petit et parce que les géants canadiens sont considérés comme des « concurrents redoutables ». Le désastre de Target au Canada est frais dans leur mémoire.

Le Bureau se tourne vers les gouvernements, jugeant qu’ils « devraient prendre des mesures pour encourager les épiciers internationaux à entrer dans l’industrie canadienne dans l’optique de contribuer à réduire les prix et à accroître la concurrence ».

Le Bureau suggère ainsi d’abolir tout obstacle à la venue d’un concurrent étranger. D’accord, mais encore ? Difficile pour le gouvernement Trudeau d’intervenir directement dans le marché.

Par ailleurs, le Bureau suggère aux gouvernements de n’accorder des subventions et autres mesures incitatives qu’aux épiciers indépendants, en plus de favoriser le développement des épiceries en ligne, notamment pour de nouveaux acteurs.

Autres suggestions aux gouvernements : imposer l’affichage des prix unitaires partout au Canada (au kilo, au millilitre, etc.), comme au Québec, et intervenir pour limiter les clauses des centres commerciaux qui restreignent l’implantation d’un épicier concurrent dans le même centre.

Ce que j’en pense ? Que le Bureau avance de belles idées, mais qu’au bout du compte, il serait surprenant que leur impact change considérablement la donne, du moins avant quelques années.

Heureusement, la plus grande part de l’inflation alimentaire s’explique autrement, et son rythme commence à s’essouffler…