Ils rêvaient d’une maison écoénergétique « sans tracas et facile à vendre » pour leurs enfants qui en hériteront. C’est tout le contraire qui s’est produit. Ils y ont englouti leurs économies pour réparer les malfaçons. L’expert en énergie solaire qui leur a vendu cette propriété continue à recruter des clients malgré la faillite de son entreprise. Hélène Parent et Robert Lefebvre racontent leur cauchemar.

Pour leur dernière maison, Hélène Parent et Robert Lefebvre voulaient faire pour le mieux. Soucieux de l’environnement et adeptes d’efficacité énergétique, ils ont suivi une formation sur la construction de bâtiments écologiques. Ils ont aussi lu de nombreux articles afin de trouver le bon entrepreneur. Leur choix s’est arrêté sur Constructions Iland, de Daniele Oppizzi, après avoir visité l’usine à trois reprises et posé « beaucoup de questions ».

Le site d’Iland est convaincant : « Bien que le Centre de Développement ILAND soit une jeune entreprise, l’équipe ILAND est composée d’experts en construction (RBQ), de spécialistes de l’immobilier, d’ingénieurs en énergie et d’architectes. »

Le contrat a été signé à l’automne 2020. La maison usinée a été installée le printemps suivant sur les fondations construites par l’entreprise DeuxMax (devenue Brave Écoconstruction), qui leur avait été recommandée chaudement par Iland en raison de ses « valeurs ». « J’ai, bien entendu, vérifié que Brave détenait une licence RBQ valide et ne faisait pas l’objet de réclamations », précise Hélène Parent. Un seul contrat a été conclu, Brave étant considéré comme un sous-traitant.

Iland possédait la certification CSA, mais aucune licence de la Régie du bâtiment du Québec (RBQ). « J’ai consulté le site de la RBQ pour en savoir plus. C’est parfaitement légal, mais les informations données ne permettent pas de bien en évaluer la portée », déplore l’ex-enseignante.

Toutes ces précautions auront été vaines.

La maison est mal construite des fondations jusqu’au toit, comme en témoignent trois rapports d’inspection. Si bien qu’elle est devenue un gouffre financier sans fin pour ses propriétaires. Les fenêtres, mal installées, ont provoqué d’importantes infiltrations d’eau, la porte-fenêtre qui tenait dans le vide s’est affaissée, le toit et la douche ont coulé, le calfeutrage est mal fait, le coffrage déformé a dû être scié. C’est sans compter que les panneaux solaires, au cœur du projet, n’ont jamais été installés.

« On est rendus à 500 000 $. Qui va vouloir payer 500 000 $ pour cette maison qui est grande comme ma main ? Personne ! Ce n’est pas normal de faire refaire le toit après un an ! », s’exclame avec frustration Hélène Parent, devant trois cartables pleins de documents classés méthodiquement.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Hélène Parent

Au départ, le couple, qui ne roule pas sur l’or, s’était donné un budget de 350 000 $ et devait rembourser sa petite hypothèque en cinq ans. Ce plan ne tient plus la route.

À 72 ans, sans régime de retraite d’un ex-employeur, Robert Lefebvre aimerait se la couler douce, mais tous les travaux qu’il doit faire sur sa maison neuve l’en empêchent. « Je travaille, comme un étudiant, du 24 juin au 1er septembre, comme guide du patrimoine à Repentigny. Notre vieux gagné, il y en a une partie qui est partie dans les inspections et les travaux. On fait attention à ce qu’on dépense… »

Selon Daniele Oppizzi, cette histoire est « un cas typique de problème entre l’usiné et la RBQ ». Il explique qu’une fois les modules livrés et posés, « on transfère légalement la propriété et les finitions à la compagnie RBQ », celle qui a fait les fondations, soit Brave, dans ce cas-ci. Hélène et Robert ne peuvent donc rien lui reprocher.

« Tout ce qui est sorti d’usine était parfaitement conforme à la demande du client. Il y a trois niveaux de contrôle qui sont faits dans notre pratique. Il y a 850 points de contrôle sur une maison. Je peux vous dire qu’en usine, on fait rarement défaut », affirme avec assurance l’entrepreneur déchu.

Dépôts de 180 000 $ évaporés

Hélène et Robert ne sont pas les seuls à avoir déchanté après avoir rencontré Daniele Oppizzi, qui prétend avoir vendu « une centaine de maisons » écoénergétiques.

Un couple a perdu ses dépôts totalisant 180 000 $. La somme de 100 000 $ a été versée directement à Brave (pour les fondations et l’installation), le reste à Iland.

« Ça m’a causé énormément de stress physiquement et mentalement. Je ne suis pas prête à en parler, car ça me donne beaucoup d’anxiété. Je prends des pilules à cause de ça. Ça me serre la gorge. C’est beaucoup d’argent pour moi. Depuis le 4 février que ça se passe », m’a raconté Anna Maronne. Avec son conjoint Danillo Perin, ils ont embauché le cabinet d’avocats Boavista Services Juridiques « pour démêler tout ça ».

Sans même que je nomme ces malheureux, Daniele Oppizzi les a identifiés par leur nom. Il se souvient très bien d’eux. « C’étaient mes clients auparavant. Je suis en train de les aider à se sortir de cette affaire », affirme-t-il. À son avis, ce couple est « pris en étau dans des transferts de compagnies, puis c’est vraiment pas agréable ».

Danillo Perin n’en croit pas un mot. « Il fait des démarches pour lui, Madame. Il ne fait pas des démarches pour nous. Il essaie de sauver sa peau ! »

Quatre dossiers de faillite en quatre ans

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Daniele Oppizzi, en 2019

Avec le recul, Hélène Parent se rend compte qu’elle aurait dû se méfier des belles promesses de Daniele Oppizzi, qui se targue d’avoir étudié dans plusieurs domaines et qui aurait accumulé les expériences professionnelles enviables en Suisse.

« Le premier plan qu’il nous a fait n’avait ni queue ni tête. Ça aurait dû me mettre la puce à l’oreille. L’abri d’auto donnait sur un terrain qui ne nous appartient pas. On y serait rentrés comment ? » C’est finalement son mari qui a fait le croquis, dit-elle.

L’escalier intérieur passait devant une fenêtre, ce qui en aurait grandement compliqué le nettoyage. Hélène Parent a soulevé le problème avant de trouver la solution elle-même en s’inspirant de la maison d’une connaissance. Daniele Oppizzi affirme pourtant être architecte, rappelle Hélène Parent, déconcertée.

Les trois rapports d’inspection payés par le couple n’ont fait qu’alimenter leur découragement. En l’absence de collaboration de la part d’Iland et de Brave, les travaux les plus urgents ont été entrepris. Jusqu’ici, tout cela a coûté quelque 56 000 $.

Le fabricant de fenêtres Métric confirme que ses produits étaient mal installés sur les maisons préfabriquées dans l’usine d’Iland, à Val-David. « C’était posé assez tout croche merci ! », se rappelle Patrick Cédilotte, vice-président et copropriétaire de l’entreprise.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Robert Lefebvre

Ses employés se sont même rendus chez Hélène et Robert. Ils y ont réinstallé les fenêtres sans frais, ce qu’ils ont aussi fait sur d’autres maisons d’Iland. « On a déjà vu deux fenêtres une à côté de l’autre qui avaient deux pouces de différence dans la hauteur. »

Même si Métric n’était pas responsable de la mauvaise pose effectuée en usine, il acceptait de refaire le travail pour sauver sa réputation. « Oppizzi ne se défendait pas. Il ne rappelait juste pas », rapporte Patrick Cédilotte, qui a fini par demander à être payé d’avance pour ses fenêtres. En tout, il estime avoir fait 10 livraisons à Iland. Au bout du compte, sa PME a perdu 55 717 $ qui ne seront jamais récupérés.

Construction Iland a déclaré faillite le 19 mai, soit 10 mois après la fermeture forcée de son usine parce que le loyer n’était pas payé, relate le syndic Sylvain Lapointe, chez Mallette. Daniele Oppizzi évoque plutôt « la fin du bail ».

Un mois plus tôt, le 13 avril, son sous-traitant Brave Écoconstruction avait aussi fait faillite. Son propriétaire, Nicholas Rousseau, qui se présente aujourd’hui comme « DJ animateur professionnel d’expérience », ne m’a pas rappelée.

Malgré les documents officiels, Daniele Oppizzi m’a d’abord raconté qu’Iland avait été vendue « par décision majoritaire des actionnaires » à une société qu’il refuse d’identifier. Il a fini par admettre qu’Iland avait été mise en faillite, mais il se bat – sans succès jusqu’ici – pour démontrer que cela a été fait de manière frauduleuse.

Parallèlement, Oppizzi a fondé une nouvelle entreprise, atelier attitude, qui opère aussi dans le domaine des maisons écoénergétiques depuis le début de cette année.

Faillites en série

Une recherche effectuée par le Bureau du surintendant des faillites (BSF) du Canada concernant Daniele Oppizzi a révélé l’existence de quatre dossiers en quatre ans. Ceux-ci s’ajoutent à la faillite, survenue en Suisse, en 2016, de l’entreprise ILAND green technologies SA qu’il avait fondée et qu’il présidait.

Au Canada, Constructions Iland a fait une proposition à ses créanciers en 2020. Le passif s’élevait à 1,4 million de dollars. L’offre a été acceptée, mais non respectée. Une seconde proposition a été acceptée par les créanciers en 2022, mais encore une fois, elle n’a pas été respectée, m’a précisé la firme Mallette, chargée du dossier. Ce scénario a été qualifié de « très rare ».

Entre ces deux propositions, une autre entreprise d’Oppizzi, Iland Énergies renouvelables Canada, a fait faillite. C’était en 2021.

Daniele Oppizzi tente parallèlement d’éviter une faillite personnelle. Il a fait une proposition à ses créanciers en 2021. À l’époque, ses dettes totalisaient 253 000 $, selon le document du BSF.

Garantie faussement facultative

Vous aurez compris que les recours d’Hélène et de Robert sont inexistants, ou presque.

Les maisons construites par Iland ne pouvaient pas être garanties par la Garantie de construction résidentielle (GCR) vu la perte de son accréditation et de sa licence RBQ, au printemps 2020, pour une raison « confidentielle », selon la Régie du bâtiment du Québec (RBQ).

Cela n’a toutefois pas empêché Daniele Oppizzi, à la signature du contrat quelques mois plus tard, de mentionner aux acheteurs que l’adhésion à la GCR était « facultative ». C’est même écrit noir sur blanc dans le contrat. De plus, Daniele Oppizzi a prétendu que cette garantie coûtait un extra de quelques milliers de dollars.

Hélène et Robert ne voyaient pas l’utilité de payer pour la GCR, car Iland offrait déjà une garantie de cinq ans. De plus, le couple n’avait jamais entendu parler de cette garantie. Il en a découvert l’existence et le fonctionnement des mois plus tard, lors de la faillite médiatisée de Bel-Habitat.

C’est là qu’ils ont compris que leur contrat clochait.

Daniele Oppizzi continue de croire que la garantie de la GCR est optionnelle. « C’est une garantie supplémentaire que vous prenez ou que vous ne prenez pas en fonction de votre situation personnelle, m’a-t-il expliqué. Mais nous, on couvrait, on faisait la demande à chaque client qui voulait la GCR ou pas. C’est pas nous qui décidons, c’est le client qui décide. »

Autrement dit, si vos clients la voulaient, ils pouvaient payer pour l’obtenir ? « Absolument ! », m’a-t-il répondu.

Ces réponses auraient dû faire bondir la GCR. Mais ce ne fut pas le cas, ce qui en soi est assez inquiétant. Son porte-parole François-William Simard m’a plutôt écrit, dans un courriel, les grandes lignes du règlement.

« Lorsqu’un entrepreneur perd son accréditation auprès de GCR, celui-ci n’a plus le droit de construire et de vendre des bâtiments résidentiels neufs assujettis au plan de garantie obligatoire. » À l’inverse, « un entrepreneur qui veut construire un bâtiment assujetti au plan de garantie obligatoire doit être accrédité chez GCR. Ce n’est pas une option. Et le bâtiment construit doit être enregistré également ».

Dans le cas qui nous occupe, sans accréditation, Iland n’aurait jamais pu faire enregistrer ses maisons, même si ses clients lui avaient donné la somme exigée.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Une maison construite par ILand

La certification CSA, pour sa part, n’est d’aucun secours pour les consommateurs et ne doit absolument pas être vue comme un substitut à la RBQ ou à la GCR.

Pour ce qui est des problèmes de fondation, c’est plus compliqué. Brave détenait une licence RBQ, mais Hélène et Robert n’ont pas signé de contrat directement avec cette entreprise. Iland l’avait embauchée comme sous-traitant, indique le contrat.

Une réclamation au cautionnement a été déposée à la RBQ il y a près de trois mois. Une somme de 40 000 $ pourrait ainsi être récupérée. S’il y a d’autres réclamations, un partage pourrait être effectué. Mais le couple n’a jamais eu de nouvelles. « À quoi sert donc cet organisme censé protéger le public ? », se demande-t-il, impatient. Selon la RBQ, le délai moyen de réponse est de « plus ou moins trois mois si la demande est non recevable » et de « plus ou moins 8 mois si la demande est recevable ».

Hélène Parent et son mari ne peuvent pas changer le passé. Mais ils tenaient mordicus à mettre en garde tous ceux qui seraient tentés d’acheter une maison usinée construite par une entreprise sans licence de la RBQ. Même si cela est parfaitement légal au Québec, l’aventure est en effet risquée.

Ceux qui se sont déjà tournés vers la GCR pour être indemnisés parce que leur maison est mal construite vous diront que le parcours peut être extrêmement frustrant et que la RBQ est loin d’être un gage de qualité. C’est vrai. Mais acheter une maison sans protection aucune est encore bien pire.

Quant à Daniele Oppizzi, on n’a sans doute pas fini d’entendre parler de lui, puisqu’il agit comme expert en énergie solaire pour les projets de GéoLAGON, ces villages autosuffisants qui pourraient être construits dans quatre régions du Québec.

Lisez l'article « Le CV magnifié de Daniele Oppizzi »