Daniele Oppizzi, l’entrepreneur derrière le projet en faillite des maisons écologiques Iland, qui se présente aussi comme un expert en énergie solaire et a été embauché comme consultant par le controversé projet GéoLAGON, mise sur un curriculum vitae qui suscite de nombreuses interrogations.

Son usine de Val-David à peine fermée, en juillet 2022, Daniele Oppizzi s’est présenté à Radio-Canada⁠1 comme le « partenaire d’affaires » de Louis Massicotte, promoteur du GéoLAGON, dans Charlevoix et d’autres régions du Québec. L’homme originaire de la Suisse avait évalué la capacité du site à produire suffisamment d’énergie renouvelable pour chauffer les chalets et le lagon à 38 °C. À son avis, il était possible d’y arriver en combinant quatre technologies.

Dix mois plus tard, au printemps 2023, Louis Massicotte a diffusé un communiqué de presse dont l’objectif était de réfuter le rapport très critique de la Réserve de la Biosphère de Charlevoix (RBC)⁠ 2 concernant son projet. Ses auteurs jugent que le GéoLAGON ne respecte pas les principes de développement durable, contrairement à ce qu’affirme son promoteur.

Mécontent d’être associé aux déboires d’Iland, Louis Massicotte a tenu à préciser mardi qu’Oppizzi est « un des nombreux consultants externes » qu’il a embauchés et que le cabinet-conseil d’ingénieurs Akonovia a aussi publié une étude énergétique sur son projet en septembre 2022. Mais son récent communiqué visant à contredire la RBC ne citait que Daniele Oppizzi, présenté comme « expert en énergie solaire, architecte et ingénieur en environnement, ancien directeur national des parcs d’importance nationale et des Réserves de la Biosphère de la Suisse ». 3

PHOTO TIRÉE DU SITE D’ATELIER ATTITUDE

Daniele (Dan) Oppizzi et son livre L’architecture solaire sauvera la planète

En entrevue au téléphone, Daniele Oppizzi m’a aussi mentionné qu’il exerce ces deux professions. Après la « vente » d’Iland, m’a-t-il raconté, « j’ai repris mes activités professionnelles que j’avais autrefois, c’est-à-dire que, comme je suis ingénieur en environnement et architecte, j’ai repris mes activités en architecture et en gestion des énergies dans la construction ».

En réalité, son entreprise de maisons usinées est fermée depuis l’été 2022 et en faillite depuis la mi-mai, au grand dam de certains clients, comme je l’ai rapporté mardi⁠. 4

Vérification faite, Daniele Oppizzi n’est ni architecte ni ingénieur en environnement. Ainsi, il n’a pas le droit au Québec d’utiliser ces titres protégés, rappellent les deux ordres professionnels concernés qui prévoient agir en conséquence. L’homme de 56 ans est toutefois membre de l’Ordre des technologues du Québec.

Quant à son passé en Suisse, une représentante de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) m’a écrit qu’Oppizzi avait occupé un simple poste de « chef de projet pour les parcs d’importance nationale » et non pas de directeur national comme le démontre une publication officielle de l’OFEV en 2006. En fait, le titre inscrit dans le communiqué de presse du GéoLAGON « n’existe pas en Suisse », atteste la Dre Elena Havlicek.

IMAGE TIRÉE D’UN DOCUMENT PUBLIÉ PAR L’OFFICE FÉDÉRAL DE L’ENVIRONNEMENT (OFEV)

En 2006, Daniele Oppizzi a coordonné un projet pour les Parcs d’importance nationale, en Suisse

Invité à commenter le CV de Daniele Oppizzi, Louis Massicotte a soutenu qu’il ne voulait surtout pas « induire quiconque en erreur » et qu’il n’avait pas l’impression que son expert lui avait « fait de fausses représentations ». « J’ai fait des vérifications, j’ai vu des documents », m’a-t-il dit avant de préciser qu’il avait été « très satisfait des services et des recommandations » de Daniele Oppizzi. « J’ai lu son livre et il a une vision extraordinaire de l’énergie solaire. » Louis Massicotte promet toutefois de rectifier le tir. « Je vais d’ailleurs émettre une précision sur notre site web pour mentionner que nous aurions dû indiquer que ses formations sont valides en Suisse », m’a-t-il écrit.

Nouvelle entreprise sans usine

Malgré la faillite récente de son entreprise de maisons écologiques et solaires, Daniele Oppizzi continue de vendre ses services. Il utilise désormais le nom « atelier attitude ».

Cette « compagnie d’architecture » accompagne ses clients « vers une construction saine et naturelle, ainsi que vers l’indépendance énergétique des bâtiments ». Ses services sont offerts au Québec, au Canada, en France, en Italie, en Espagne et en Suisse.

Daniele Oppizzi s’y présente comme un « constructeur de maisons solaires net-zéro ». Mise en évidence sur la page d’accueil, sa biographie précise qu’il possède une maîtrise en sciences et géologie des sols de l’Université de Neuchâtel (Suisse) ainsi qu’un MBA de l’Institut de hautes études en administration publique (IDHEAP), à Lausanne. L’homme de 56 ans précise aussi être membre de l’Ordre des technologues du Québec, ce qui est vrai.

À l’Université de Neuchâtel, une employée clé du Centre d’hydrogéologie et de géothermie depuis 1995 qui se souvient bien de Daniele Oppizzi m’a précisé qu’il avait obtenu « une licence ès sciences sans spécification, certificat de géologie, certificat de botanique, complémentaire d’entomologie » en 1998. Cela « équivaudrait actuellement à un Master », m’a écrit la femme qui n’est pas autorisée à parler aux médias. L’IDHEAP n’a pas voulu confirmer ou infirmer qu’Oppizzi y avait étudié pour des raisons de confidentialité.

N’ayant plus d’usine, le passionné d’énergie solaire affirme qu’il a « des accords » avec des entreprises pour fabriquer les maisons de ses clients. « C’est les constructeurs de maisons usinées officiels du Québec, vous les connaissez, il y a Laprise, Côté, S. Turner, Confort Design, il y en a plein. En fonction de mes besoins, je leur dis : "j’ai besoin de 20 maisons, peux-tu me les faire ? J’ai besoin de 12 maisons de ce type-là, peux-tu me les faire ?" »

J’ai contacté ces quatre entreprises : aucune n’a déjà travaillé pour Daniele Oppizzi ou atelier attitude.

Brevets introuvables

Sur le site de son ancienne entreprise, Iland, Daniele Oppizzi affirmait par ailleurs détenir « plus de 15 brevets solaires internationaux », une information reprise par certains médias ces dernières années.

CAPTURE D’ÉCRAN

Site de l’entreprise en faillite Constructions Iland

À ma demande, l’ex-policier et expert en propriété intellectuelle Daniel Paquette en a vérifié la véracité. « Jusqu’à preuve du contraire, ce monsieur ne détient aucun brevet actif en ce moment », conclut-il.

Les registres publics font état de cinq demandes déposées en Chine, mais rejetées, deux en France dont les taxes de maintien n’ont pas été payées, trois au Canada qui sont restées au stade de demandes et dont les délais pour demander leur examen sont expirés, un brevet aux États-Unis obtenu, mais abandonné pour non-paiement de la taxe de maintien et un dessin industriel aux États-Unis qui est expiré, détaille Daniel Paquette.

D’ex-partenaires d’affaires et d’ex-collègues de travail ou employés racontent tous la même chose au sujet de Daniele Oppizzi : c’est un beau parleur, quelqu’un qui a beaucoup de bonnes idées, mais un piètre gestionnaire qui met toujours la faute sur les autres pour ses malheurs.

« Il prétend que tout le monde est crosseur sauf lui, résume le syndic Sylvain Lapointe, responsable du dossier d’Iland chez Mallette. Il a déjà fait une tempête incroyable, un spectacle extraordinaire dans lequel j’ai été obligé de lui donner le choix : "Vous me laissez gérer la réunion ou je vous expulse." Finalement il s’est calmé. »

Peu importe l’issue de cette « guerre », au moins deux couples ont perdu des milliers de dollars avec leur projet de maison écoénergétique. De tristes histoires qui démontrent, encore une fois, à quel point les consommateurs manquent de protection en matière d’immobilier et qu’il faut faire preuve d’une vigilance extrême.

1. Consultez le texte de Radio-Canada 2. Consultez l’article du Journal de Montréal 3. Consultez l’article du Charlevoisien 4. Lisez « Leur rêve de maison écoénergétique vire au cauchemar »