Sur papier, tous les projets sont beaux et réalisables. Dans l’action, tout est différent. Réno-réalité se veut un témoignage franc sur des projets heureux pour certains ou pénibles pour d’autres.

Témoignage : Geneviève* et Jean*, Verdun, Montréal

Professionnelle : Natacha Boivin, avocate et associée chez TCJ, Therrien Couture Joli-Coeur S.E.N.C.R.L

Début des travaux : Demande de permis, janvier 2020

Fin estimée des travaux : Automne 2024

* Prénoms fictifs, en raison des procédures judiciaires en cours

Le projet

Quel est le projet ?

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Le duplex a été acheté en 2016.

Geneviève : On a acheté le haut d’un duplex en 2016 : lumineux avec un balcon en avant, une terrasse en arrière et une place de stationnement, le Saint-Graal !, mais avec un minuscule salon. Quelques années plus tard, on a lu que le quartier encouragerait les propriétaires à agrandir en construisant une mezzanine sur leur toit (pour lutter contre les duplex transformés en résidences unifamiliales et les problèmes de logement des familles dans le quartier). On a estimé un budget. Ça coûtait cher, mais moins cher que racheter plus grand dans le coin. C’était notre chance ! Bon, comme la chance ce n’est pas notre truc, on a déposé notre demande de permis au début de 2020 et la COVID-19 nous est tombée dessus.

Quel type de contrat avez-vous approuvé ?

Geneviève : Un contrat à prix coûtant majoré (cost-plus). À vrai dire, on n’a pas tellement eu le choix, peu d’entrepreneurs ont répondu et il n’y avait plus personne dès qu’on mentionnait vouloir un devis détaillé. On nous a présenté deux budgets clés en main, la marge basse si tout va comme prévu autour de 202 000 $, et la marge haute, si on cumule des imprévus, approchant 350 000 $. La marge basse, bien qu’au-dessus de ce qu’on avait envisagé, n’était pas irréaliste, avec un réemprunt sur notre hypothèque. On nous a souvent répété qu’on pouvait mettre fin à notre contrat à n’importe quel moment et choisir de faire certaines choses nous-mêmes, de sorte qu’on pouvait en rester à notre limite et finir plus tard si jamais on dépassait les coûts. On nous a certifié qu’à chaque étape, toutes les options nous seraient proposées pour choisir ensemble en fonction de notre budget. Nous aurions des factures chaque vendredi soir pour avoir accès au coût réel et arrêter à temps si l’argent ne suivait plus. Cela nous semblait un bon compromis malgré ce genre de contrat sans « limite » a priori.

Les conseils de Stéphanie

Durant la pandémie, on a remarqué que plusieurs entrepreneurs n’acceptaient plus de contrat à forfait. Des contrats à l’heure ou à prix coûtant majoré sont devenus de plus en plus communs, mais offrent moins de contrôle aux consommateurs qui ne connaissent pas du tout la rénovation-construction. C’est difficile d’évaluer en toute conscience le temps des travaux pour un néophyte. Le contrat à forfait, quant à lui, engage les deux parties. Meilleur équilibre. S’il y a des imprévus ou encore des extras, une entente est prise conjointement.

Les imprévus

Quels sont les termes et les limites d’un contrat à prix coûtant majoré ?

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Le budget a été un élément déterminant.

Natacha Boivin : Dans un tel contrat d’entreprise à cost-plus, le risque repose sur les épaules du client, plutôt que sur celles de l’entrepreneur. Même si les parties déterminent ensemble un budget, à moins de convenir d’un prix maximum garanti, l’entrepreneur n’a pas d’obligation de le respecter. Il est toutefois possible de s’entendre sur un partage des écarts à partir du budget. Par exemple, on peut séparer moitié-moitié toute économie ou tout dépassement d’un budget convenu. Cela encourage l’entrepreneur à rester efficace. D’ailleurs, à moins de faire appel à un expert, cette efficacité reste difficile à évaluer pour un client. Est-ce que le nombre d’heures consacrées à une tâche est raisonnable ? Est-ce qu’on nous facture du travail qui a dû être repris parce qu’il était mal fait au départ ?

Pour éviter les litiges, le prix coûtant doit être bien défini, avec une liste des éléments qui le composent. La majoration sur le prix coûtant, qui correspond à l’administration et au profit de l’entrepreneur, peut quant à elle être un pourcentage ou un montant fixe. Il est important de s’entendre sur ce qui entre dans la majoration. Par exemple, le temps du chargé de projet qui travaille au bureau est-il inclus dans la majoration ou dans le prix coûtant ? Si le propriétaire de l’entreprise agit comme chargé de projet et surintendant au chantier, ses heures entrent dans quelle catégorie ? Cela doit être négocié.

Avez-vous trouvé difficile de garder le contrôle du projet et du budget avec ce type de contrat ?

Geneviève : Au départ, nous avons été capables de suivre le budget efficacement avec des factures détaillées. Cependant, quand nous nous sommes approchés du montant limite établi, on s’est vite rendu compte qu’on était très loin d’avoir une mezzanine finie. On avait bien quatre murs et un plancher brut, une plomberie de base... mais rien sur le plan électrique et, surtout, pas d’isolation, de revêtement extérieur ni de toiture. Donc, l’enveloppe du bâtiment n’était pas protégée. En regardant les factures de plus près, on s’est rendu compte qu’on avait de gros écarts quant au temps de main-d’œuvre prévu pour les différentes tâches. Nous avions aussi des extras pour le retour de matériaux commandés en trop, du matériel posé plus cher ou en plus grand nombre que nécessaire, des tâches sur nos factures alors qu’elles devaient faire partie des factures des sous-traitants, etc. Ensuite, un retard systématique des factures a rendu le projet plus difficile à suivre. Nous étions dans l’inconnu.

Dans un contrat de construction ou rénovation, le client peut-il mettre fin à un contrat ? Que doit-il faire ?

Natacha Boivin : Le droit à la résiliation unilatérale du client, prévu dans le Code civil du Québec, peut être exercé en tout temps, en avisant par écrit l’entrepreneur de sa décision et en sommant l’entrepreneur de libérer le chantier et de fournir une facturation finale pour les travaux exécutés jusqu’à la date de la résiliation. À moins d’être en présence d’une clause dans le contrat d’entreprise prévoyant une pénalité en cas de résiliation, l’entrepreneur ne peut généralement réclamer que le paiement de travaux réalisés ou de matériaux commandés sur mesure, mais non encore installés et impossibles à retourner. Il ne peut réclamer la perte de profit.

Le client devrait obtenir une expertise (architecte, technologue, ingénieur, selon la nature des travaux) sur la qualité des travaux exécutés et leur valeur, avant de confier la suite des travaux à un tiers. Si des travaux correctifs sont requis ou une surfacturation est démontrée, le client devra mettre l’entrepreneur en demeure de corriger les travaux et d’émettre un crédit pour la surfacturation, à défaut de quoi il fera corriger les travaux par un tiers. La mise en demeure est obligatoire pour exercer tout recours en cas de mésentente.

Les solutions

Quelles ont été vos solutions ?

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Les travaux ont dû être stoppés pour éviter la catastrophe.

Geneviève : Pour freiner l’hémorragie de notre compte en banque, nous avons dû mettre fin aux travaux avant la fin. Mais il fallait que se terminent des essentiels, dont isoler pour l’hiver, même si la mezzanine n’était pas vivable. Ensuite, nous n’avons demandé qu’un seul ouvrier pour finir avec nous les travaux nécessaires. Mais ça n’a pas suffi pour combattre les factures oubliées soudainement retrouvées et les factures estimées sans justification. C’était apparemment difficile à évaluer puisqu’on avait cessé les travaux avant la fin. Puis sont arrivés les extras de fin de contrat, comme le nettoyage qui n’a pourtant pas été fait. Finalement, nous avons eu des fuites à chaque pluie jusqu’à ce que nous fassions venir un autre couvreur à nos frais...

Avec du recul…

Si c’était à refaire, que feriez-vous différemment ?

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L’argent est le nerf de la guerre. Un fonds d’urgence doit être prévu.

Geneviève : Tout d’abord, on attendrait clairement d’avoir plus de fonds. Je pense qu’avant de se lancer dans un gros projet, tout le monde devrait avoir non seulement les fonds disponibles pour son projet, mais également un peu plus afin de pouvoir avoir recours à un conseiller juridique si les choses tournent mal. Ensuite, nous aurions accepté le suivi de projet proposé par notre architecte. Après analyse, plusieurs choses ne suivaient pas les plans de notre architecte et expliquent en partie le dépassement en temps de main-d’œuvre pour tout reprendre, soit presque 60 000 $.

La conclusion de Stéphanie

Finalement, les travaux avancent maintenant doucement, mais sûrement. Et à défaut de partir en vacances, faute d’argent, le couple s’est découvert de nouvelles compétences en construction en terminant son projet lui-même !

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