Il y aura beaucoup de latitude pour calculer les retombées économiques découlant de l’achat des 88 avions de chasse F-35 par Ottawa pour 19 milliards. Selon une présentation gouvernementale consultée par La Presse, les ententes entre le Canada et les constructeurs des avions de combat sont « non contractuelles », donc pas régies par un contrat.

Ces informations figurent dans le résumé d’une « séance d’information » qui s’est déroulée le 5 juin dernier. On y précise notamment que l’entente avec Lockheed Martin ainsi que Pratt & Whitney n’est « pas contractuelle », mais que l’on « s’attend des entrepreneurs principaux à ce qu’ils atteignent les objectifs industriels ».

Depuis qu’il a officialisé, en janvier dernier, sa commande pour 88 chasseurs pour remplacer les CF-18 vieillissants, le gouvernement Trudeau répète que les retombées économiques au pays seront équivalentes à la valeur du contrat. Cependant, plusieurs questions demeurent sans réponse.

« Les objectifs seront atteints dans le cadre d’efforts commerciaux raisonnables et les contrats seront accordés à l’industrie canadienne selon le principe du meilleur rapport qualité-prix », peut-on lire dans ce document de 60 pages.

Ce genre d’engagement demeure flou pour bon nombre d’acteurs de l’industrie aérospatiale, concentrée au Québec. Depuis le début de l’année, on se demande par exemple où sera situé l’atelier de réparation des F-35 et qui formera les pilotes qui s’installeront aux commandes des chasseurs.

Plusieurs sources de l’industrie, qui souhaitent ne pas être identifiées par crainte de représailles commerciales, ont déploré à La Presse l’absence de lignes directrices établies par le gouvernement Trudeau en matière de retombées économiques.

« Je ne vois pas de stratégie coordonnée avec l’industrie pour aller effectuer des demandes, explique l’une d’elles. On ne voit pas beaucoup de volonté politique pour le moment. »

Différent

Les accords conclus avec Lockheed Martin ainsi que Pratt & Whitney marquent une rupture avec les façons de faire habituelles. Ils ne sont pas assujettis à la Politique des retombées industrielles et technologiques (RIT), qui impose des exigences aux entreprises ainsi qu’une méthode pour calculer l’impact des retombées. En ce qui a trait au F-35, on ne sait pas encore comment tout cela s’articulera.

« Dans le cadre de l’entente, l’équipe des fournisseurs du F-35 devra fournir un compte rendu annuel sur les progrès accomplis par rapport à ses obligations en matière de retombées économiques », a fait savoir Laurie Bouchard, directrice des communications du ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne.

Selon cette dernière, d’autres annonces seront éventuellement faites au sujet de l’entretien de ces appareils modernes ainsi que la formation des pilotes. Selon le document que La Presse a consulté, les constructeurs du F-35 disent avoir conclu des ententes supérieures à 2,7 milliards US avec l’industrie canadienne depuis que les travaux sur le programme ont débuté.

À travers le pays, on retrouve « 36 entrepreneurs actifs » qui participent de près ou de loin. Au Québec, le spécialiste des trains d’atterrissage et des composants d’aéronautique Héroux-Devtek fabrique les systèmes de verrouillage des portes pour les trains d’atterrissage de l’avion de combat. Lockheed Martin fait valoir que plus il y aura de F-35 vendus à travers le monde, plus les fournisseurs généreront des revenus grâce à la flotte en service à travers le monde. Les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie et l’Australie exploitent ou se sont engagés à acheter le chasseur militaire.

Des contrats, mais lesquels ?

Richard Shimooka, chercheur à l’Institut canadien Macdonald-Laurier, qui se spécialise notamment dans les dossiers en matière de défense, s’attend à ce que le F-35 génère des retombées au pays. Le hic, c’est que ce sont les lois du marché qui décideront des vainqueurs. Les ententes ne seront donc pas garanties à l’avance et saupoudrées à travers l’industrie. Elles risquent ainsi d’être partagées à travers les entreprises qui seront sélectionnées.

Il y a un risque. Si vous gagnez l’un des contrats, les bénéfices seront probablement plus élevés que s’il avait été obtenu par l’entremise de la Politique des retombées industrielles et technologiques. Ce qu’on dit, avec le F-35, c’est que nous n’allons pas vous distribuer de l’argent automatiquement.

Richard Shimooka, chercheur à l’Institut canadien Macdonald-Laurier

Dans la saga entourant le remplacement des CF-18, l’unique concurrent de Lockheed Martin était Saab, le constructeur des Gripen. La multinationale suédoise avait offert des garanties préalables plus fermes en matière de retombées économiques. Elle promettait entre autres la création de 6000 emplois qui seraient maintenus tout au long du cycle de vie de 40 ans de la flotte.

Le Québec aurait obtenu la moitié de ces nouveaux emplois.

« Nous demeurons le seul soumissionnaire qui s’est engagé à ce que des Canadiens construisent, entretiennent et modernisent la flotte de chasseurs dans le pays, offrant au Canada la propriété et le contrôle de ces actifs de défense majeurs », a indiqué Patrick Palmer, vice-président exécutif de Saab Canada.

Il a aussi indiqué que Saab s’était engagé à établir le Centre Gripen, le principal centre de soutien et de mise à niveau des chasseurs, dans la région de Montréal. Saab comptait également créer plusieurs centres de recherche et développement, dont un centre de R-D en aérospatiale au Québec qui serait un incubateur de nouvelles technologies en innovation aérospatiale.

En savoir plus
  • 16
    Nombre d’appareils F-35 qui doivent être livrés au Canada d’ici 2028
    Source : gouvernement du Canada
  • 2032
    Année où Lockheed Martin devrait avoir terminé les livraisons
    Soucre : gouvernement du Canada