Pour encourager la réutilisation de briques sur les chantiers montréalais, une nouvelle plateforme permet de jumeler donateurs et acheteurs. Lancée lundi, Web-Recyc s’attaque à deux freins majeurs dans la mise en place d’une économie circulaire en construction : le maillage entre l’offre et la demande et le coût de la main-d’œuvre.

Vous entamerez prochainement un projet de rénovation qui implique le démantèlement d’un mur en briques ? Brique Recyc et Architecture Sans Frontières Québec (ASFQ) veulent vos briques, notamment si elles sont de type « rouge La Prairie », « ondulée mixte » ou « vieille écorce d’érable ». Très recherchées pour la restauration de bâtiments, ces briques souvent centenaires, fabriquées ici à une époque où le Québec en fabriquait encore, ont encore de bonnes années de vie devant elles. Pourtant, elles se retrouvent le plus souvent au dépotoir.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Bruno Demers, directeur général d’Architecture Sans Frontières Québec et Tommy Bouillon, président de Brique Recyc

« On fait 3000 estimés par année. Souvent, on ne peut pas réparer le bâtiment parce qu’on n’a pas cette brique-là. Il faut tout jeter et recommencer en neuf », déplore Tommy Bouillon, président de Brique Recyc et de Maçonnerie Gratton.

Or, « on l’a cette brique : dans le conteneur d’enfouissement », poursuit Bruno Demers, directeur général d’ASFQ, bras humanitaire de l’Ordre des architectes du Québec.

C’est donc pour inciter les propriétaires de bâtiments à passer leurs briques au suivant et pour permettre aux acheteurs de trouver des briques de qualité et à bon prix qu’a été lancée cette plateforme de maillage.

Web-Recyc offre aux donateurs un service clé en main en livrant sur le chantier des petits caissons empilables dans lesquels les briques seront déposées. Ces caissons sont placés directement sur l’échafaudage, ce qui évite de lancer et d’abîmer le produit.

L’entrepreneur doit respecter un protocole lors du démantèlement, mais sa tâche n’est aucunement complexifiée, assure Tommy Bouillon. Une fois, les caissons remplis, ils sont acheminés à Brique Recyc, puis les briques sont évaluées, triées et nettoyées avec la machine inventée par Tommy Bouillon et ses associés. Cette machine portative, qu’ils utilisent sur les chantiers de Maçonnerie Gratton depuis 2021 et qui sera bientôt distribuée aux États-Unis, peut réhabiliter les briques usagées et en détacher le mortier résiduel à l’aide d’une scie diamant, guidée par un système de lasers. Cette façon de faire permet de gagner du temps et d’avoir recours à moins de main-d’œuvre.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

La machine de Brique Recyc nettoie les briques du mortier résiduel.

Dans sa recherche de dons, Web-Recyc vise principalement les propriétaires de bâtiments de quatre étages et moins, lesquels constituent la majorité du parc immobilier montréalais. Ce modèle d’affaires n’étant possible que s’il n’y a pas de frais d’entreposage, les donateurs sont invités à déposer leur offre dès le début de leur projet de rénovation, avant même l’obtention des permis.

Un reçu fiscal comme incitatif

Pour chaque don minimal de 500 $ qui se qualifie, le donateur recevra un reçu pour fins d’impôts émis par ASFQ. Un don d’une valeur de 500 $ équivaut à peu près aux briques d’une façade standard d’un petit duplex montréalais. Un reçu pour dons de charité est pour l’instant le seul incitatif fiscal en place pour favoriser le réemploi des matériaux, souligne Bruno Demers. ASFQ, qui inaugurera dans les prochains mois le nouveau local, cinq fois plus grand, de son magasin Éco-Réno, qui remet d’ailleurs déjà de tels reçus dans le cadre de son programme Matériaux sans frontières.

Selon Tommy Bouillon, l’incitatif financier va au-delà du reçu fiscal. « Nos caissons sont tellement petits, qu’ils peuvent être empilés sur le terrain du propriétaire. Tu élimines un frais d’occupation du domaine public, tu déranges moins le voisinage. » Les frais de location de conteneur aussi sont évités.

Quant à la garantie des briques usagées, il précise qu’il revient à l’entreprise qui en fait l’installation de l’établir. Les briques seront choisies et triées en fonction de trois grades de qualité. « Ce n’est pas la brique qui coûte cher quand il y a un problème, souligne-t-il. Les 100 dernières années ont été un bon test pour la brique. À l’époque, ils ont fait des briques d’une qualité incroyable pour notre climat québécois, avec des cures de séchage à l’air libre qui en ont fait des briques quasi éternelles […] S’il y a un bon jugement de l’entreprise installateur, pour la garantie, il n’y a aucun risque. Ça se fait depuis toujours. »

Web-Recyc pourrait-elle s’étendre ailleurs au Québec ? « C’est dans les intentions, répond Bruno Demers. Il y a des discussions qui sont en cours pour aller à Québec. »

Réduire les résidus de CRD

Les résidus de CRD (construction, rénovation, démolition) représentent 41 % des matières résiduelles générées au Québec. Leur réduction fait partie des enjeux sur lesquels Recyc-Québec travaille depuis longtemps, a rappelé sa nouvelle présidente-directrice générale, Emmanuelle Géhin, lors du lancement de Web-Recyc. Un comité d’experts, coordonné par la société d’État, a d’ailleurs remis plus tôt cette année ses recommandations au ministre de l’Environnement. « On essaie de voir comment on pourrait aller encore plus loin, a indiqué Mme Géhin. Possiblement qu’on va reconduire les travaux de ce comité pour pouvoir avoir une feuille de route concrète qui va au-delà de la proposition réglementaire qui avait été préalablement identifiée. »

Près de 1,6 million de tonnes de résidus de CRD ont pris le chemin des sites d’enfouissement en 2021, soit une augmentation de 12 % par rapport à 2018.

« On doit redoubler d’efforts pour réduire la cadence à laquelle on enfouit nos matériaux », a ajouté Marie-Andrée Mauger, mairesse de Verdun et responsable de la transition écologique et de l’environnement au comité exécutif de la Ville de Montréal. Les 16 000 permis délivrés chaque année par les arrondissements montréalais, dont 97 % concernent des projets de rénovation, sont autant d’occasions de favoriser la circularité des matériaux, croit-elle. La Ville de Montréal entend aussi faire sa part. « On veut travailler notre propre indice de circularité pour s’assurer qu’on met de l’avant des critères pour valoriser des matériaux dans le cadre de projets de réfection de notre patrimoine bâti. »

Consultez le site de Web-Recyc
En savoir plus
  • 4 tonnes de CO2
    Réduction de l’empreinte carbone estimée pour la réutilisation d’un mur de briques de 1000 pi⁠2
    brique recyc et architecture sans frontières québec
    90 %
    Avec la technologie de Brique Recyc, selon le bâtiment, environ 90 % de la brique est réutilisée si elle est en bon état.
    brique recyc