Des patrons de chaînes d’alimentation étrangères qui débarquent au pays dans le but de percer le marché, mais qui reprennent aussitôt l’avion après avoir fait plusieurs constatations : des marges peu alléchantes, des locaux qui se font rares, de grandes distances à parcourir et une réglementation coûteuse.

C’est ainsi que Mario Bélanger, consultant en commerce de détail et ancien de Costco et Mayrand, décrit les nombreuses rencontres qu’il a eues avec de hauts dirigeants de supermarchés venus d’outre-mer pour se renseigner auprès de lui sur les rouages du marché canadien.

Pourquoi repartent-ils bredouilles ? Ouvrir des magasins au pays, ce n’est pas « attrayant » pour les détaillants en alimentation internationaux, soutiennent les experts consultés par La Presse.

« En discutant avec des épiciers internationaux, le Bureau a appris que certains étudient ou ont étudié l’option d’entrer au Canada, mais aucun n’a annoncé publiquement son intention de le faire bientôt », peut-on lire dans un rapport du Bureau de la concurrence intitulé Le Canada a besoin de plus de concurrence dans le secteur de l’épicerie. En moins de 30 ans, le nombre de grandes enseignes au pays est passé de huit à cinq.

Or, un plus grand nombre d’acteurs dans l’industrie des supermarchés favoriserait une baisse des prix. Et pour y arriver, le gouvernement fédéral devrait notamment favoriser l’entrée en scène d’entreprises internationales, a recommandé l’organisme dans son étude publiée mardi.

Alors que les premiers entrepôts Costco (Club Price) sont apparus dans le paysage canadien à la fin des années 1980 et que Walmart y a fait son entrée dans les années 1990, aucune autre grande enseigne étrangère en alimentation n’est par la suite venue faire sa marque. À quand un premier magasin Carrefour (France) ou ALDI (Allemagne) ?

« Il n’y a personne qui les empêche de venir. Mais le marché canadien n’est pas un marché facile, souligne Maurice Doyon, professeur au département d’économie agroalimentaire et des sciences de la consommation de l’Université Laval. On a un grand pays avec une faible densité de population. Il y a plus de distance à parcourir », ajoute-t-il.

Et bien que, selon le Bureau de la concurrence, les marges de Loblaw (Maxi, Provigo), Sobeys (IGA) et Metro aient augmenté de façon « modeste » mais « significative », elles ne sont probablement pas assez « juteuses » pour susciter l’intérêt des chaînes internationales. « Au moment où on se parle, les marges sont meilleures, mais c’est récent. Quand il y a de l’inflation alimentaire, c’est plus facile d’augmenter les marges. Mais ce ne sont pas des marges juteuses », observe M. Doyon.

« Une enseigne présente partout aux États-Unis y vend en un mois ce qu’elle fait en une année au Canada », illustre pour sa part Christian Desîlets, professeur de publicité à l’Université Laval.

Autre élément dissuasif : « l’étiquetage, la francisation » ; ça coûte une fortune, dit Mario Bélanger. Il tient toutefois à ajouter qu’il est le premier à défendre l’importance de cette réglementation. Ce point a également été soulevé lors de discussions entre les fonctionnaires du Bureau de la concurrence et les dirigeants de certaines enseignes étrangères.

La rareté des locaux s’ajoute aussi à la liste des arguments en défaveur d’une implantation au pays. « De bons emplacements, il n’y en a plus, souligne M. Bélanger. Et l’immobilier est devenu très cher. »

Il mentionne par ailleurs que dans certains centres commerciaux où l’on compte déjà une épicerie, il est parfois impossible pour une autre enseigne de s’y installer aussi.

Y a-t-il de la place ?

Malgré les obstacles à surmonter, un marchand étranger qui décide de s’établir ici a-t-il des chances de réussite ? À ce sujet, les avis sont partagés. « Carrefour pourrait venir s’installer. Mais il y a quelqu’un qui va crever, lance sans détour Maurice Doyon. Ça va être une guerre de prix jusqu’à ce que quelqu’un lâche le morceau. »

Le spécialiste nuance toutefois son point de vue en affirmant qu’une enseigne à bas prix aurait – peut-être – plus de chances de survie sans nécessairement en faire tomber une autre. « Mais ce n’est pas clair qu’il y a suffisamment de place », précise-t-il toutefois.

Mario Bélanger n’est pas du même avis. Il affirme que « personne ne tomberait » avec l’arrivée d’une nouvelle enseigne. « Ce sont trop des grosses organisations. Elles ne tomberont pas. Est-ce qu’elles vont perdre de temps en temps une vente de livre de beurre ? Oui. »

Christian Desîlets croit aussi que le marché est assez grand pour d’autres acteurs et que leur entrée en scène serait bénéfique pour les consommateurs. « Les joueurs vont gruger dans leurs profits. Ils ont de la marge. Ils peuvent couper. Ils ont plus de gras qu’une baleine. »

Ce qui dissuade les enseignes étrangères de venir au pays

Concurrence intimidante

Certains épiciers internationaux interrogés par le Bureau de la concurrence s’attendraient à une « rude concurrence de la part des épiciers canadiens » s’ils entraient au pays. Ils ont ajouté qu’il serait difficile d’afficher des prix aussi concurrentiels.

Échec de Target

« Les épiciers internationaux à qui nous avons parlé ont reconnu que même si certaines entreprises, comme Costco et Walmart, avaient réussi à entrer au Canada, d’autres, comme Target, avaient raté leur entrée », relate-t-on également dans le rapport. Deux ans après avoir ouvert son premier magasin au pays, l’américaine Target a annoncé en 2015 qu’elle jetait l’éponge, fermant 133 magasins.

Produits multiculturels

Les entreprises étrangères estiment que les détaillants en alimentation canadiens sont reconnus pour offrir une large gamme de produits répondant aux besoins de clients issus de différentes communautés culturelles. « Tout épicier qui tente d’entrer dans l’industrie devra offrir une sélection de produits semblable, ont indiqué plusieurs représentants d’entreprises étrangères. Pour cette raison, l’entrée dans le secteur de l’épicerie au Canada pourrait être difficile et coûteuse. »