La nouvelle a dû faire friser les oreilles de bien des contribuables. Pour de bonnes et de mauvaises raisons.

Mardi, on a appris que les trois premiers dirigeants d’Investissement Québec (IQ) ont chacun touché plus de un million de dollars de rémunération cette année. Wow !

La société d’État avait pris soin de convoquer les médias à un « briefing technique » avant la publication de ces informations, d’autant que les résultats sont mauvais cette année. La rencontre portait sur les politiques sophistiquées de rémunération et les objectifs de l’organisation, atteints ou non.

Les résultats ? Investissement Québec a perdu 224 millions au cours de l’année terminée le 31 mars 2023. Il s’agit d’un rendement négatif de ses fonds propres de 4,8 %. Ce rendement fait suite à des rendements positifs de 8,3 % l’an dernier et de 25,1 % il y a deux ans.

Sur le million versé à chacun des trois premiers dirigeants en 2022-2023, environ 40 % sont des bonis, qui ne sont pas liés au rendement négatif qui vient d’être publié, mais à ceux, positifs, des trois dernières années. Le rendement de cette année se traduira en bonis (ou probablement pas) dans le rapport annuel de l’an prochain.

Premier commentaire : je trouve plutôt rassurant qu’une société d’État du secteur financier ait des objectifs ciblés et suivis, avec une rémunération qui en dépend. Cette pratique est probablement de nature à inciter les dirigeants et les employés à se dépasser.

Deuxième commentaire : la qualité du rapport annuel est impressionnante. Les 200 pages contiennent des renseignements précis, mais surtout des détails sur les 18 objectifs d’Investissement Québec, avec les cibles de départ qui ont été fixés il y a trois ans et les résultats (12 cibles sur 18 ont été atteintes). Il y a aussi cinq cibles pour le développement durable, toutes atteintes1.

On y apprend aussi que le comité exécutif est formé de 3 femmes et 5 hommes, et que le conseil d’administration d’IQ est beaucoup plus féminin (8 femmes sur 11 administrateurs), ce qui est très rare dans le milieu des affaires2.

D’ailleurs, la mieux payée cette année est une femme, la première vice-présidente aux placements privés, Bicha Ngo (1,15 million), devant le PDG, Guy LeBlanc (1,06 million), et la première vice-présidente, stratégie et innovation, Sylvie Pinsonnault (944 000 $).

L’ex-responsable du financement corporatif, Alexandre Sieber, parti il y a un an, a aussi touché plus de un million, ce qui comprend une indemnité de départ de 379 000 $.

Bravo pour la transparence !

Cela dit, j’ai des réserves sur la rémunération. D’abord, on peut s’interroger sur l’opportunité d’accorder une telle paye aux dirigeants d’une société d’État dont la mission est de prêter de l’argent public aux entreprises. Surtout quand on sait qu’IQ a des attentes de rendement modestes, puisque sa mission n’est pas de faire le plus d’argent possible, mais de développer l’économie du Québec.

Bien sûr, des cibles exigeantes ont été clairement définies au début du plan de trois ans pour les trois grands objectifs (développement économique, performance organisationnelle et rendement). Et chacun des trois objectifs doit être atteint pour que les patrons aient droit à leur boni à long terme.

De plus, Investissement Québec vise une rémunération à la médiane (P50) d’organisations dites semblables (Banque de développement du Canada, Fonds de solidarité FTQ, Banque Laurentienne, Caisse de dépôt et placement, etc.). L’objectif est d’attirer et de retenir des employés de grande qualité pour assurer la bonne gestion des fonds publics.

Sauf qu’IQ est une bibitte spéciale. Verser un million à un patron d’une entreprise en Bourse ne déplaît pas aux actionnaires s’il propulse le cours de l’action et leur permet de faire de l’argent.

Ce n’est pas le cas d’Investissement Québec, qui doit développer l’économie de la province et notamment la productivité des entreprises.

Ses cibles à cet égard ont-elles été atteintes en raison de ses seules décisions ou grâce à l’apport d’autres organismes ? Et dans quelle proportion ? Les entreprises financées auraient-elles vraiment échoué sans IQ ? Difficile à départager.

Autre réserve : la rémunération variable n’est pas attribuée en fonction d’une plus-value de l’équipe d’IQ par rapport aux concurrents dans le marché. Or, il est plutôt facile d’avoir de bons rendements – et de s’attribuer les mérites – quand l’économie roule à fond de train, pas mal moins quand l’économie va mal. L’excellence, c’est de faire mieux que le voisin, pas de faire bien quand tout va bien.

Vu la nature particulière de ses activités, Investissement Québec ne peut être ainsi comparée à des concurrents, me dit la première vice-présidente aux ressources humaines, Marie Zakaïb.

Tout de même, dans son communiqué, la société d’État justifie notamment son mauvais rendement de cette année par la teneur de l’économie… « À l’instar de nombreux autres entreprises et investisseurs, le portefeuille d’Investissement Québec a été impacté par l’instabilité des marchés boursiers et les perturbations économiques. »

Ces deux dernières années, IQ n’expliquait pas ses bons rendements dans son communiqué par la vigueur boursière ou économique…

Enfin, dernière réserve, concernant la paye des postes administratifs. Il peut être compréhensible que les dirigeants directement liés aux placements fassent beaucoup d’argent, vu la paye pour ce genre de postes dans le marché. Sauf que l’argument est beaucoup moins valable pour les autres postes, comme ceux des ressources humaines, de l’innovation ou encore des finances, pour lesquels IQ verse à chacun plus de 840 000 $ cette année, tout compris.

Très peu d’entreprises accordent ce genre de rémunération dans le marché, encore moins au public. Chez Hydro-Québec, par exemple, les cadres ont tous fait moins que 840 000 $ en 2022 – à l’exception de la PDG –, alors que l’entreprise compte 22 000 employés, soit 18 fois plus que les 1220 d’IQ.

Investissement Québec semble avoir une bonne gouvernance et un bon dynamisme, et c’est tant mieux. Le bras financier du gouvernement n’est toutefois pas une société privée et n’a pas les mêmes impératifs incontournables de rendement (sinon, c’est la porte) que le privé.

Cette différence doit inciter le conseil d’administration à faire preuve de modération dans la rémunération. Après tout, un patron qui gagne un million rapporte-t-il vraiment deux fois plus que celui qui fait 500 000 $ ? Son apport au développement économique du Québec – mission d’IQ – est-il à ce point plus important ?

1. Le rapport annuel nous renseigne également sur la parité du contingent de 1220 employés par catégorie d’emplois (624 femmes et 594 hommes), ainsi que leur âge. Le salaire moyen de chacun des deux groupes est publié par catégorie d’emplois.

2. Ce n’est pas le « briefing » de mardi qui m’a fait connaître ces renseignements ; j’avais constaté la qualité et la transparence du rapport annuel l’an dernier. Je projetais d’en faire une chronique, mais l’idée a été abandonnée.