Oui, mais monsieur Vailles, le taux d’utilisation de 81 % des salles d’opération du ministère de la Santé est bidon. En réalité, ce taux avoisine plutôt les 18 %, m’expliquent essentiellement certains lecteurs. Ah bon ?

Ma récente chronique sur la sous-utilisation des salles d’opération des hôpitaux du Québec a suscité bien des réactions.1 J’écrivais sur le sujet dans le contexte de l’appel d’offres que fera le gouvernement aux cliniques privées pour des interventions chirurgicales, notamment pour rattraper le retard accumulé durant la pandémie.

Pour y voir clair, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) m’a transmis le taux d’utilisation de 28 centres hospitaliers du Québec. Le taux moyen, de près de 80,6 %, est inférieur au taux optimal, qui devrait atteindre 85 %, selon le MSSS.

Sauf que ce taux de 80,6 % est calculé sur la seule base d’une utilisation de 8 heures par jour en semaine, entre 8 h et 16 h, me disent des lecteurs du milieu de la santé, ce que m’a confirmé le MSSS.

Les blocs opératoires sont essentiellement vides les soirs de semaine et les fins de semaine, en plus d’être sous-utilisés les jours de semaine. Si bien qu’en réalité, des patients ne s’y trouvent que 1600 heures par année – en excluant les cas urgents – alors que l’année en compte 8760, soit un taux réel d’utilisation d’environ 18 %…

« Le reste du temps, toutes ces salles sont inutilisées sauf pour les cas d’urgence. Sans même devoir investir, nous avons la capacité d’augmenter dramatiquement la cadence. Il y a évidemment un enjeu de ressources médicales et le privé interfère grandement à ce niveau », me dit le chirurgien Louis-David Raymond, de l’hôpital du Haut-Richelieu.

Bien sûr, on ne peut pas imposer des opérations de nuit aux médecins, infirmières et patients – sauf pour les cas urgents –, mais la comparaison permet de mieux saisir la réelle utilisation d’équipements publics fort coûteux.

Justement, le ministre Christian Dubé a annoncé le 10 mai une entente avec le syndicat des médecins spécialistes pour permettre l’utilisation des blocs opératoires les soirs et fins de semaine, entre autres, dans le but de rattraper les retards.

Sachant que la disponibilité de personnel est un enjeu majeur, Québec a débloqué 400 millions pour inciter les infirmières, inhalothérapeutes et autres employés à travailler les soirs et fins de semaine, de façon volontaire. Le personnel serait payé au taux des heures supplémentaires prévu aux conventions collectives.

Un mois plus tard, les salles d’opération sont-elles devenues plus occupées les soirs et fins de semaine ? Pas du tout. À la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) comme au MSSS, on m’apprend que l’entente de principe sera bientôt finalisée, peut-être d’ici une semaine ou deux.

La première solution du plan de rattrapage est de ne pas annuler la dernière opération d’une journée, ce qui est habituellement le cas lorsque l’opération risque de se terminer après 16 h. La deuxième solution est de favoriser des opérations dans des heures dites défavorables la semaine, soit de 17 h à 21 h du lundi au jeudi, avec un appel volontaire au personnel.

« Si la réponse des employés est favorable, il y a une possibilité d’ouvrir les samedi ou dimanche », m’explique le chirurgien Serge Legault, vice-président de la FMSQ. Il n’est pas question, toutefois, de rendre cette pratique permanente lorsque les cibles seront atteintes.

D’ici le 31 mars 2024, rappelons-le, le MSSS veut ramener le nombre de patients en attente d’une intervention chirurgicale depuis plus d’un an au niveau d’avant la pandémie, c’est-à-dire à 2500. Mardi, le MSSS a indiqué que le chiffre des retards est maintenant de 15 671, en recul par rapport aux 20 122 du début de l’année.

À la FIQ, plus grand syndicat d’infirmières, on me dit ne pas être partie aux discussions, puisque le temps de travail des infirmières est géré selon des conventions collectives locales.

Concernant le recours aux cliniques privées, le MSSS me répète qu’il s’agit d’un moyen supplémentaire de parvenir aux cibles de rattrapage, en plus des solutions avec la FMSQ au public.

Très difficile en Outaouais

Par ailleurs, dans les données que m’avait fournies le MSSS figurait un absent de taille, qui m’a échappé : l’Outaouais. De nombreux lecteurs m’ont questionné à ce sujet, pour une raison bien simple : cette région a un gros problème de retard des opérations depuis bien avant la pandémie.

Vérification faite auprès du MSSS, le CISSS de l’Outaouais a l’un des plus faibles taux d’utilisation des salles d’opération du Québec, à 66 %, selon les plus récentes données disponibles. Il était à 45 % en début d’année, m’a indiqué le MSSS.

Ailleurs, par exemple, ce taux durant les heures courantes était de 56 % en Montérégie-Ouest en mars 2023, de 63 % en Gaspésie et de plus de 90 % à l’Hôpital Sainte-Justine, à Montréal. La moyenne des centres hospitaliers pour cette période est d’environ 81 %, tel que mentionné plus haut.

« L’Outaouais n’avait pas saisi l’information dans le système informatique lorsque les données ont été extraites », m’explique le MSSS.

Ce faible taux s’explique par la grave pénurie de personnel, qu’il s’agisse des infirmières, des techniciens ou même du personnel administratif. La situation y est pire qu’ailleurs en raison des conditions de travail et salaires avantageux dans les hôpitaux de l’Ontario, mais aussi des conditions du plus grand employeur de la région, le gouvernement fédéral.

« Plusieurs quittent complètement le domaine de la santé pour un poste au fédéral, et ce, sans avoir à déménager », m’explique Nancy Roy, cheffe du service de chirurgie générale du CISSS de l’Outaouais.

Au MSSS, on m’indique que le CISSS de l’Outaouais fait partie du plan de rattrapage, mais que ses cibles sont moins ambitieuses, afin d’être « réaliste », dans le contexte. « Un accompagnement de la région est en cours, et un plan d’action est en élaboration par la région », m’écrit le MSSS.

Au 31 mars 2023, quelque 1941 résidants de cette région attendaient leur opération depuis plus d’un an, chiffre qui reculera à 605 à la fin de 2024, espère le MSSS.

Ce n’est pas pour rien que dans ses négociations actuelles avec les syndicats, le gouvernement souhaite accorder de généreuses primes aux employés de certaines régions de travail, ce qui viserait probablement l’Outaouais, entre autres, selon moi.

Encore bien des débats en vue et du pain sur la planche…

1. Lisez la chronique « Quand nos salles d’opération sont sous-utilisées… »