J’ai un préjugé favorable envers le secteur privé, vous le savez. L’obligation de rentabilité du privé oblige le promoteur à se dépasser, surtout quand son propre argent est en jeu. Et la concurrence force les organisations à innover, à s’améliorer.

L’apport du privé n’est toutefois pas une panacée partout. Dans le secteur de la santé, par exemple, l’impératif de rentabilité peut parfois se faire au détriment de certains aspects qualitatifs des services. La cohabitation public-privé pose aussi des défis de disponibilité de main-d’œuvre, entre autres.

Je ne dis pas que le privé ne peut avoir une place en santé, mais cette place, elle doit être scrutée à la loupe.

C’est avec cette réserve en tête que j’ai vérifié le taux d’occupation des salles d’opération du Québec, dans le contexte de l’appel d’offres que fera le gouvernement aux cliniques privées pour des opérations chirurgicales1. Le recours au privé vise, entre autres, à combler le retard accumulé pendant la pandémie.

Pourquoi recourir au privé si plusieurs salles d’opération du public sont fermées ? À quel point est-ce le cas ?

D’abord, ai-je pu apprendre, le taux d’occupation de nos salles d’opération était de 80,6 % en mars, en moyenne, selon les plus récentes données disponibles du ministère de la Santé et des Services sociaux. Ce taux est dans le bas de la fourchette de ce que le Ministère considère comme un taux optimal, soit 80-85 %.

Les écarts sont passablement importants entre les 28 établissements répertoriés du Québec (CISSS, CIUSSS et établissements non fusionnés).

Dans le CISSS de la Montérégie-Ouest, le taux était de seulement 56 % en mars, le plus bas au Québec. Celui du CISSS de la Montérégie-Centre était aussi plutôt bas, à 71 %.

Autres centres dont les salles sont peu occupées, ceux de la Gaspésie (63 %), des Îles (63 %), de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec (69 %) et de la Côte-Nord (71 %) (voir le tableau à la fin du texte).

Selon le sous-ministre adjoint Pierre-Albert Coubat, le ministère de la Santé et des Services sociaux accompagne les centres qui ont des retards depuis janvier pour trouver des solutions.

Des plans d’action ont été développés pour chacune de ces régions et un suivi rigoureux est effectué périodiquement. La situation s’améliore en continu, et le plan de rattrapage des chirurgies annoncé devra permettre d’atteindre les cibles.

Pierre-Albert Coubat, sous-ministre adjoint au ministère de la Santé et des Services sociaux

Le Centre hospitalier universitaire (CHU) Sainte-Justine (98 %) et le CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal (93 %) ont les taux les plus élevés, si l’on exclut le CISSS de Chaudière-Appalaches (119 %), dont le taux dépasse 100 % en raison de l’apport de cliniques privées, me dit-on au Ministère.

Le CISSS de Laval et le CIUSSS de la Capitale-Nationale se classent plutôt bien, avec des taux respectifs de 89 % et 87 %.

Au moment d’écrire ces lignes, je n’avais pu savoir quels étaient les taux avant la pandémie.

Bref, globalement, le taux est de moins de 81 %, en moyenne. Pourquoi si bas ?

« La disponibilité des ressources humaines requises pour dépasser le niveau opératoire prépandémique est le principal goulet d’étranglement », me répond Pierre-Albert Coubat.

Oui, mais justement, s’il manque de main-d’œuvre au public, n’est-il pas à craindre que l’élargissement au privé nuise à la situation, malgré les pénalités qui seront imposées aux établissements privés s’ils recrutent au public ? Pourquoi sous-traiter au privé avec un taux d’inoccupation des salles de 19 % ?

« Notamment parce que les établissements publics doivent impérativement accueillir les chirurgies liées aux urgences, comme les accidents, les incidents requérant une opération, les accouchements par césarienne, etc. Ils doivent aussi accueillir les autres chirurgies avec hospitalisation ou nécessitant la présence d’une unité de soins intensifs dans l’installation (chirurgies oncologiques, neurochirurgies, chirurgies orthopédiques et ophtalmologiques avec hospitalisation, etc.) », m’écrit-il.

En quoi le privé aide-t-il ? « Les cliniques privées permettent de libérer de la capacité dans les installations publiques en regroupant certaines chirurgies d’un jour qui ne risquent pas de finir par une hospitalisation (cataractes, canal carpien, etc.)2. »

Ouin…

Chose certaine, le Ministère est conscient que la complexité des opérations chirurgicales sera plus grande au public. D’abord, c’est le public qui continuera d’hériter des opérations avec hospitalisation. Ensuite, le public est soumis à une multiplicité de cas divers, ce qui requiert plus d’adaptabilité et davantage d’effectifs.

Le Ministère en tiendra compte dans ses paiements aux hôpitaux. Il veut aussi inciter les cliniques privées à prendre des cas plus complexes, en leur donnant des bonis de 10 % ou 20 %, selon les cas.

Dans toute cette opération de rattrapage des opérations chirurgicales et d’appel au privé, il serait souhaitable que le gouvernement Legault fasse preuve d’un maximum de transparence. Saurons-nous le coût de revient des cliniques du privé ? Leur réelle contribution aux améliorations souhaitées ? Leur taux de complications ? Leur pertinence pour les années post-rattrapage ?

1. Lisez la chronique « Appel majeur au privé pour réduire l’attente »

2. Les coûts des opérations au privé dans l’appel d’offres gouvernemental ne comprennent pas les frais pour les chirurgiens, qui sont payés par la RAMQ. De plus, les opérations demeureront gratuites pour les patients, comme au public.