(Ottawa) Le gouvernement fédéral avait-il le choix ? La réponse est non. Sauf qu’encore une fois, l’administration Trudeau-Freeland oublie le déficit zéro pour y arriver et pellette le plus gros de la facture dans le futur.

Le gouvernement n’avait pas le choix, il devait absolument répondre à l’offensive majeure des Américains pour prendre le virage de l’économie verte, offensive qui se trouve dans le mal nommé Inflation Reduction Act (IRA) américain.

Le gouvernement n’avait pas le choix, c’est aujourd’hui que s’écrit l’économie verte de demain, aujourd’hui que les multinationales choisissent dans quels pays elles vont investir, notamment pour le secteur automobile⁠1. Et avec la montagne de subventions de l’IRA, les États-Unis ressemblent maintenant à un aspirateur pour les investissements verts.

Le gouvernement Trudeau n’y va pas de main morte pour répondre. Il versera 82,7 milliards de dollars de divers crédits d’impôt d’ici 11 ans pour les projets d’énergie verte, de batteries pour voitures électriques, d’hydrogène propre, de technologie propre et de captage du carbone.

Vous investissez 10 millions dans la fabrication d’équipements éoliens ? Ottawa vous donne un crédit d’impôt 30 % de la somme ou autrement dit, les éoliennes coûtent 3 millions de moins. Wow ! 2

Même les sociétés d’État, comme Hydro-Québec, ont droit à leur bonbon, cette fois à hauteur de 15 % de l’investissement, qu’il s’agisse de rénovation de centrales, de projets éoliens ou de nouveaux barrages, situés au Québec ou, qui sait, dans les eaux de la rivière Churchill, à Terre-Neuve-et-Labrador…

Nul doute que Pierre Fitzgibbon sera content de l’annonce, lui qui cherche par tous les moyens à attirer au Québec des fabricants de composants de batterie, notamment des cathodes. Pour ce type de projets, le crédit d’impôt de 30 % du fédéral s’ajoutera au congé d’impôt de 15 à 25 % du Québec (congé qui s’applique lorsque les projets seront de 100 millions et plus) et aux probables tarifs électriques avantageux pour ce genre d’entreprise.

Bref, pour 100 millions d’investissements, Québec et Ottawa donnent environ 50 millions, en plus de beaux tarifs électriques. N’est-ce pas alléchant ?

Ce n’est pas tout. Ottawa demande à la Banque de l’infrastructure du Canada de consacrer 20 de ses 35 milliards de fonds au financement, à conditions avantageuses, de projets d’énergie propre (10 milliards) et d’infrastructures vertes (10 milliards).

Une partie de l’argent ira au financement de la ligne de transport électrique de la boucle de l’Atlantique, espère Ottawa. Si elle se réalise, cette boucle fera transiter l’énergie verte du Québec vers le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse afin d’éliminer la production d’énergie au charbon de ces deux provinces.

Les 35 milliards de la Banque ont été fournis par le fédéral ces dernières années, mais seulement 8,7 milliards ont été engagés à ce jour.

Ce n’est pas encore tout. Le fédéral transférera 15 milliards d’ici 5 ans — gonflant sa dette d’autant — dans le nouveau Fonds de croissance du Canada. Ce fonds pourrait prendre des participations en capital dans des projets de décarbonation industrielle, par exemple.

La réponse du fédéral est donc costaude. Cette injection vient toutefois avec une facture, qu’on recevra surtout dans quelques années.

Le plan de 82,7 milliards sur 11 ans aura un impact modeste de 1,2 milliard sur le budget de l’année courante (2023-2024), mais l’effet grossit chaque année par la suite, atteignant 8,9 milliards à l’année 5 du plan quinquennal⁠3.

Surtout, seulement le tiers de ces 82,7 milliards sera dépensé dans l’actuel plan quinquennal décrit au budget et les deux autres tiers (54,9 milliards), dans les 6 années suivantes. Bref, l’effet annuel récurrent de ce plan sur le déficit deviendra obèse par la suite, soit bien davantage que les 8,9 milliards à l’année 5 (en 2027-2028).

Ce n’est pas pour rien que le déficit de l’année courante (2023-2024), de 40,1 milliards, ne diminuera que progressivement dans les prochaines années, sans jamais atteindre le fameux zéro dans cinq ans (mais plutôt 14 milliards). Pour la suite, c’est le néant vert…

Afin de freiner la croissance de ce déficit, le gouvernement dit vouloir réduire de 3 % ses dépenses d’ici 5 ans, comme celles de ses sociétés d’État, économisant ainsi 2,6 milliards par année de façon récurrente, soit 12,8 milliards sur 5 ans.

Autre source pour amoindrir le déficit, une hausse de revenus semblables (12,8 milliards), tirés de nouveaux impôts sur le rachat d’actions et d’impôts sur les institutions financières et les particuliers à revenus élevés.

La plus importante rentrée de fonds, néanmoins, est l’éventuel impôt minimum de 15 % imposé aux multinationales (2,8 milliards par an dès 2026-2027), qui est fort incertain puisqu’il dépend d’une réforme fiscale internationale…

En somme, Ottawa devait assurément avoir un plan vert ambitieux, mais il oublie l’équilibre budgétaire pour plusieurs années. Par chance, le Canada a un endettement encore fort respectable, bien qu’à un sommet depuis 20 ans (43,5 % du PIB pour le fédéral au 31 mars 2024), ce qui reste bien moindre que dans les autres pays du G7.

En quelque sorte, ce sont les Américains qui écrivent nos déficits des prochaines années, et les entreprises qui s’en frottent les mains…

1. Par exemple, Volkswagen a annoncé le 13 mars la construction d’une « giga-usine » de batteries en Ontario. Le fédéral annoncera les détails de son aide lorsque l’entente sera finale, dans les prochaines semaines. L’impact est inclus dans le budget, mais non précisé.

2. Le gouvernement fédéral a préféré ce crédit sur investissement plutôt qu’un crédit par unité produite, comme aux États-Unis. Nos voisins, par exemple, offrent une subvention par kilowattheure de batterie produite. Le crédit sur investissement est plus facile à estimer et de nature à stimuler davantage la productivité.

3. Une partie des 82,7 milliards et ces impacts annuels récurrents avaient été budgétés dans la mise à jour automnale de 2022 (13,4 milliards) et une autre dans le budget de 2022 (15,3 milliards).

Une version précédente de cette chronique donnait un exemple pour un projet de cathodes de 10 millions et un gain pour l’entreprise de 5 millions (au lieu de 100 et 50 millions dans la version actuelle).