(Ottawa) Dans l’espoir de rééquilibrer les règles du jeu avec la stratégie industrielle climatique américaine, Ottawa table sur une offensive de 83 milliards échelonnée sur une décennie, notamment afin de doubler la production d’électricité renouvelable, pierre d’assise de la stratégie.

En tenant compte de deux mesures annoncées dans la dernière année, le budget présenté mardi par la ministre fédérale des Finances Chrystia Freeland prévoit de distribuer environ 28 milliards jusqu’en 2027-2028 par l’entremise d’une multitude de crédits d’impôt. La prolongation de l’aide sur les six années suivantes devrait s’accompagner d’une facture d’environ 55 milliards. La ventilation annuelle de cette deuxième tranche d’aide n’est toutefois pas encore détaillée.

Signe du coup de barre que le gouvernement Trudeau espère donner en matière de production d’énergie renouvelable, il permet à des sociétés d’État comme Hydro-Québec – qui devra accroître sa production – et d’autres services publics d’électricité d’être admissibles aux crédits d’impôt, un précédent. La fabrication de technologies propres ou de matériaux de batteries, l’achat d’équipement pour la production d’hydrogène propre et le stockage du carbone figurent sur la liste des secteurs admissibles à des crédits d’impôt remboursables qui oscillent entre 15 et 40 %, selon le créneau.

« Mais la colonne vertébrale du plan est la production d’électricité propre, a expliqué un haut fonctionnaire, pendant le huis clos budgétaire. S’il y a un élément essentiel à la transition d’une économie sobre en carbone, c’est la disponibilité de l’énergie renouvelable abordable. »

Le plan d’Ottawa constitue la réponse à l’Inflation Reduction Act (IRA), doté d’une enveloppe de 370 milliards US pour appuyer des projets comme la production d’énergie propre et la construction de véhicules électriques avec des subventions et des crédits d’impôt.

Cette loi américaine suscite des craintes de ce côté-ci de la frontière. L’industrie québécoise du transport électrique et intelligent réclamait une version canadienne de l’IRA pour éviter de se faire doubler. De plus, un rapport du Bureau du conseil privé – dont le rôle est de fournir des conseils non partisans au premier ministre et au Cabinet – rédigé en septembre dernier suggérait de riposter à l’administration Biden pour éviter de laisser échapper des projets.

« Il s’agit de notre réponse, explique un mandarin fédéral. Il faut encourager le niveau d’investissement et le niveau que vous voyez [ce mardi] est un effort substantiel. »

À doubler

Les sociétés d’État comme Hydro-Québec seront admissibles au crédit d’impôt (15 %) à l’investissement dans l’énergie propre. La mesure financera la production d’électricité (hydroélectrique, éolien, solaire…), les lignes de transport et les cures de rajeunissement offertes aux installations existantes.

Tout ce qui gravite autour de la filière des batteries – un projet important aux yeux du gouvernement Legault à Québec – sera également admissible à un remboursement pouvant atteindre jusqu’à 30 % de l’investissement pour l’achat d’équipement. Les dépenses devront avoir été effectuées après la présentation du budget. Coût de la mesure : 4,5 milliards sur cinq ans.

Une mécanique similaire s’applique au créneau de l’hydrogène propre (5,6 milliards) et au stockage du carbone.

Dans l’ensemble, le plan d’Ottawa répond « en bonne partie » aux craintes qui émanaient de l’IRA, estime Robert Asselin, premier vice-président au Conseil canadien des affaires. Il y a cependant quelques bémols.

« Je pense que c’est incomplet, affirme M. Asselin. Les Américains ont une base industrielle beaucoup plus développée qu’ici et ils mettent davantage l’accent sur la recherche et le développement. Eux ne voient pas seulement cela comme un mécanisme de réduction des émissions de gaz à effet de serre, mais de création de richesse. »

Un modèle différent

Le gouvernement Trudeau emprunte une trajectoire différente de celle de son voisin américain en matière d’aide financière. Il opte pour des crédits d’impôt à l’investissement plutôt que de l’assujettir à un niveau de production, comme c’est le cas au sud de la frontière.

Ottawa estime que sa méthode permet de favoriser les gains d’efficacité et la réduction des coûts de production. Elle vise également à combler un déficit d’investissements, expliquent de hauts fonctionnaires fédéraux. Par exemple, un crédit d’impôt remboursable de 30 % permettrait au promoteur d’un projet de 50 millions d’obtenir un remboursement de 15 millions.

Si la mesure offre un coup de pouce à un plus grand nombre d’entreprises, il y a un risque, souligne Stéphane Leblanc, associé en fiscalité chez EY.

« Lorsque le projet d’investissement est mauvais, le crédit d’impôt est là quand même, explique l’expert. Aux [États-Unis] on octroie l’aide financière davantage sur la finalité du processus [la production]. »

En savoir plus
  • 1,7 milliard
    Somme mise de côté l’an dernier par Ottawa pour sa stratégie des minéraux critiques – lithium, graphique, nickel, cobalt.
    gouvernement du Canada