Nous sommes tous d’accord, la dernière chose que le gouvernement doit faire aujourd’hui, c’est stimuler la création d’emplois, vu la sévère pénurie de main-d’œuvre.

Nous sommes tous d’accord, la stratégie, c’est plutôt de favoriser l’innovation pour que les employeurs produisent autant de biens et services avec moins de personnel. Une telle stratégie permettrait de rendre disponible de la main-d’œuvre aux autres employeurs, qui se l’arrachent.

Nous sommes tous d’accord, sauf qu’au Québec, le gouvernement continue d’appliquer la même politique industrielle née il y a 25 ans, lorsque le chômage sévissait, en accordant de très généreux rabais d’impôts à des groupes d’entreprises sur la base des emplois, plutôt que de l’innovation.

Un rapport publié ce jeudi fait ressortir cette invraisemblance, chiffres à l’appui. Le rapport, publié par le Centre sur la productivité et la prospérité de HEC Montréal, juge que ce phénomène est l’un des facteurs qui nuisent à la compétitivité du Québec et à notre capacité de rattraper nos concurrents, dont l’Ontario.

En 2021, 83 % des 2,4 milliards de dollars de crédits d’impôt aux entreprises du gouvernement du Québec servaient à subventionner des salaires, donc des emplois. Le gouvernement compte même 20 crédits d’impôt subventionnant les salaires.

Pire : ces subventions salariales sont principalement versées à de grandes entreprises des technologies de l’information (TI), l’un des secteurs où, justement, la pénurie est grande.

En 2021, selon l’étude, les entreprises informatiques du Québec ont reçu 510 millions par le truchement du crédit d’impôt pour les affaires électroniques, qui peut représenter jusqu’à 30 % des salaires admissibles. Pour les entreprises de jeux vidéo, la somme s’élève à 311 millions et peut atteindre 37,5 % des salaires admissibles.

Dit autrement, le gouvernement contribue à accentuer la pénurie d’informaticiens en soutenant artificiellement l’emploi dans certaines entreprises, ce qui crée des problèmes bien réels pour d’autres organisations. Et pour y remédier, paradoxalement, le gouvernement offre, encore une fois, des subventions (des bourses) aux étudiants en informatique pour les inciter à terminer leurs études.

L’autre important crédit (475 millions), parmi la vingtaine, vise à stimuler la recherche et développement, mais une bonne partie est liée aux salaires, une fois de plus (14 % des salaires des chercheurs), plutôt qu’aux cibles d’innovation.

Cette politique économique a des effets pervers. Premièrement, les bénéficiaires des crédits ne sont pas incitées à trouver des solutions innovantes avec moins de personnel – donc à augmenter leur productivité – puisque le bonbon fiscal lié aux emplois les désincite à le faire.

Deuxièmement, en plus d’accentuer la pénurie, les entreprises qui ne reçoivent pas de crédits du même type, par exemple pour payer un informaticien, sont désavantagées. Enfin, la politique a pour effet de hausser le fardeau fiscal de l’ensemble des entreprises pour financer ces mesures.

Le Québec est bien plus généreux qu’ailleurs, justement, notamment l’Ontario. Au Québec, les crédits d’impôt versés aux entreprises représentent l’équivalent de 15,2 % de l’ensemble des impôts et taxes payés par toutes nos entreprises, soit le double de l’Ontario (7,4 %)1. Autre comparaison : au Québec, les crédits représentent 0,75 % du PIB des entreprises, contre 0,24 % en Ontario.

À l’origine, l’un des objectifs du crédit pour les affaires électroniques était soi-disant d’aider les entreprises « qui désirent améliorer leur productivité en intégrant les TI dans leur processus d’affaires ». La décision de subventionner les salaires des fournisseurs de services (crédits de 510 millions en 2021), plutôt que de soutenir directement les investissements des entreprises clientes, ne semble pas avoir donné les résultats attendus.

« Depuis 2008, plus de 4,5 milliards ont été accordés en crédits d’impôt aux entreprises informatiques de la province, sans toutefois produire l’effet escompté. L’emploi dans le secteur des TI n’a pas dérogé de la tendance qui prévalait avant que le crédit ne soit proposé et le crédit n’est visiblement pas parvenu à stimuler les investissements en TI », est-il écrit dans l’étude.

L’un des auteurs de l’étude, Robert Gagné, ne propose pas de « tirer la plogue du jour au lendemain ». Et il est conscient que le Québec risque de perdre certaines entreprises.

Mais il fait valoir qu’à l’origine, ces crédits devaient aider des secteurs en émergence, pas devenir permanents au point de financer aujourd’hui des entreprises à maturité. « Si les studios de jeux vidéo sont ici uniquement pour nos crédits, ce n’est pas normal. Et si elles ne trouvent aucune autre valeur à être ici, eh bien ! qu’elles s’en aillent », dit-il.

Bref, ces crédits à l’emploi n’aident pas à hausser notre innovation, notre ingéniosité et notre productivité, selon l’étude. L’enjeu est important sachant que la productivité est la seule façon d’augmenter réellement notre niveau de vie.

En 2021, l’écart de niveau de vie du Québec par rapport à l’Ontario s’élevait à 5960 $ par habitant, selon l’étude. Quelque 48 % de cet écart s’explique par le retard du Québec en matière de productivité et le reste, par la plus faible intensité du travail et du taux d’emploi.

Sommes-nous vraiment tous d’accord ?

1. L’étude a comparé la valeur de l’ensemble des crédits d’impôts versés aux entreprises qu’elle a divisé par leurs impôts et taxes sur la masse salariale.

Consultez le rapport de HEC Montréal