Charles Emond l’admet d’emblée, les marchés financiers ont été d’une volatilité extrême tout au long de 2022, à tel point qu’il n’a pas été rare que les titres de revenus fixes – habituellement d’une relative stabilité – encaissent des variations quotidiennes à la hausse comme à la baisse de 1 %. Heureusement, les pertes sur papier de 15 % que la Caisse de dépôt a essuyées l’an dernier dans son portefeuille de revenu fixe vont être récupérées dans un horizon de trois à quatre années.

Bien des gens ont poussé un soupir de soulagement en apprenant jeudi que la Caisse de dépôt avait terminé son exercice financier 2022 avec un rendement négatif de 5,6 %, nettement mieux que le - 7,9 % enregistré durant le premier semestre de l’année et qui laissait présager une très mauvaise année.

Avec ce rendement de - 5,6 %, la Caisse réussit ainsi à signer une performance supérieure à celle de son portefeuille de référence (- 8,3 %) et à celle enregistrée par plusieurs autres gros investisseurs globaux tel que le Fonds souverain de la Norvège (- 14 %) ou le fonds de pension public danois ATP (- 40 %).

La volatilité induite par les hausses marquées des taux d’intérêt à partir du mois de mars 2022 n’a pas frappé que les titres de revenu fixe, le marché des actions a été lui aussi particulièrement ébranlé par le resserrement des conditions de crédit.

« On a enregistré un nombre record de séances avec des hausses et des baisses de 2 % ou plus durant toute l’année », illustre Charles Emond pour bien expliquer combien le marché a été et reste difficile à cerner.

Le 15 décembre dernier, deux semaines avant la fin de notre exercice, nos actifs étaient de 415 milliards et on a terminé l’année à 402 milliards. Deux semaines plus tard, le 15 janvier, on était revenu à 415 milliards.

Charles Emond, président et chef de la direction de la Caisse de dépôt et placement du Québec

Le marché des obligations américaines a connu sa pire année en 100 ans, poursuit le PDG de la Caisse en entrevue, dans la foulée de la publication des résultats financiers de l’institution. On a vécu, en 2022, la fin d’un marché obligataire haussier qui perdurait depuis 40 ans.

Et ceux qui espèrent que les horizons se dégagent en 2023 pour permettre un peu plus de visibilité grâce à la fin des hausses de taux d’intérêt pourraient être déçus, fortement déçus même, selon le PDG de la Caisse.

« On a vécu en huit mois une hausse de taux fulgurante de 400 points de base, alors que la Fed avait prédit une hausse de 100 points sur l’année. On a avalé cette gorgée, mais est-ce qu’on va nous servir le même remède si l’inflation ne diminue pas au rythme souhaité par les autorités monétaires ? Une hausse de taux pourrait être une hausse de trop », lance Charles Emond.

Années hors norme

Après une année éprouvante où la Caisse a enregistré son premier rendement négatif depuis 2008 (- 25 %), rien n’est donc acquis pour 2023 alors qu’on s’attend au mieux à un ralentissement économique, au pire à une récession, un contexte qui va être exigeant, anticipe M. Emond.

« Il faut compter de 12 à 18 mois avant que les impacts d’une hausse de taux d’intérêt se fassent ressentir sur l’activité économique. Là, on a eu huit hausses depuis mars dernier. De quelle façon ces hausses vont affecter les profits des entreprises ? C’est ce qu’il faudra surveiller », prévient Charles Emond.

Dans un autre ordre d’idées, le PDG de la Caisse de dépôt ne veut pas faire tout un plat des difficultés certaines que l’institution a éprouvées avec ses participations financières dans des entreprises à problèmes.

Notamment le producteur indien d’énergie renouvelable Azure et la cryptobanque Celsius, qui ont tous deux fait l’objet d’allégations de pratiques frauduleuses et subi des pertes de valorisation importantes.

« Dans les deux cas, on a mis en place des enquêtes approfondies pour comprendre ce qui s’est réellement produit. Les standards de gouvernance avaient été suivis. La Caisse est investie dans 4677 sociétés dans le monde, on ne peut pas tout prévenir. On verra s’il y a eu des irrégularités dans les contrôles internes », explique Charles Emond.

Est-ce que la Caisse est en train de se transformer en opérateur en détenant des positions majoritaires dans certains secteurs ?

« On a le droit de le faire et on le fait dans le secteur des infrastructures. Ça nous permet d’acquérir des actifs à meilleur prix et d’avoir plus d’agilité pour mettre en œuvre notre stratégie. On ne tient pas à être des opérateurs, il y a des équipes en place. Avec Ivanhoé Cambridge, dans le secteur immobilier, on est même sortis de la gestion d’actifs. On est redevenus de simples investisseurs », répond Charles Emond.

Est-ce que la Caisse souhaite faire la même chose avec la gestion du REM et éventuellement laisser la gestion de cette infrastructure de transport à une tierce partie ?

« On a développé des compétences au sein de CDPQ Infra et on va continuer de l’opérer dans les prochaines années », précise le PDG.