Les Terre-Neuviens et les Québécois sont à couteaux tirés depuis quatre décennies concernant le contrat de Churchill Falls. Malgré tout, aujourd’hui, ils ont tout intérêt à s’entendre sur son renouvellement. Ils y sont probablement même condamnés. Voici pourquoi.

Du côté de Terre-Neuve-et-Labrador, d’abord, les options ne sont pas très nombreuses. Un comité mandaté par le gouvernement a déterminé trois possibilités pour l’énergie qui deviendra disponible passé la fin du contrat, en 2041. Ces options sont présentées dans un document rendu public mardi par ce comité, appelé Churchill River Expert Panel (CREP).

Le document décrit très sommairement les enjeux du rapport qu’ils ont remis au gouvernement, le 6 février. Le rapport est gardé confidentiel dans le contexte des discussions qu’entreprennent ce jeudi François Legault et son homologue Andrew Furey1.

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Andrew Furey, premier ministre de Terre-Neuve-et-Labrador

Trois options, donc, sont présentées par le comité sous le titre « Recommandations pour maximiser la valeur », et dans cet ordre. Un : augmenter les ventes d’électricité sur le territoire terre-neuvien et attirer des entreprises. Deux : accroître les ventes sur les marchés d’exportation. Trois : parapher une nouvelle entente avec Hydro-Québec.

Ces trois options, précise le comité, ne sont pas « mutuellement exclusives ». Autrement dit, Terre-Neuve pourrait par exemple opter pour les trois ou pour une seule des trois. Il est toutefois peu probable, dans les faits, que Terre-Neuve puisse se priver de la troisième option, soit s’entendre avec Hydro-Québec.

Le contrat avec Hydro porte sur une énorme quantité d’énergie, soit 85 % des 5428 mégawatts (MW) de la centrale, qui produit 34 térawattheures (TWh) d’énergie chaque année.

Avec une telle énergie, Terre-Neuve pourrait alimenter une douzaine d’alumineries comme celle d’Arvida, de Rio Tinto, au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Rio Tinto, faut-il rappeler, compte sept alumineries au Québec, qui produisent environ la moitié de son aluminium mondial.

Autre comparaison : l’énergie rendue disponible (29 TWh) après 2041 dépasse de beaucoup les besoins qu’aurait Terre-Neuve si elle voulait verdir la totalité de son économie – transport routier inclus –, soit l’équivalent de 19,4 TWh.

Bref, l’option pour Terre-Neuve de garder la totalité de cette énergie pour ses propres besoins est illusoire.

Exporter certains surplus vers les États-Unis ? Pas impossible, mais ardu.

Certes, Terre-Neuve est en droit d’utiliser le réseau de transport d’Hydro-Québec pour ce faire, comme le veulent les règles de la Federal Energy Regulatory Commission (FERC) des États-Unis, auxquelles a dû adhérer Hydro-Québec pour exporter vers le sud.

La FERC est d’ailleurs très sévère envers les politiques discriminatoires et pourrait intervenir si Hydro-Québec bloquait l’accès à son réseau à un autre acteur, comme Terre-Neuve-et-Labrador.

Sauf que notre société d’État peut invoquer son droit d’utiliser en priorité son réseau électrique pour ses propres besoins locaux, un argument qu’elle a fait valoir avec succès par le passé à la Régie de l’énergie.

Quant à la possibilité pour Terre-Neuve-et-Labrador d’exporter par le truchement de son câble sous-marin vers la Nouvelle-Écosse (Maritime Link), rien n’est moins certain. D’abord, le câble n’a pas cette capacité, et surtout, il y a encore des problèmes pour activer pleinement cette connexion.

Bref, Terre-Neuve n’a pas le choix de conclure un nouveau pacte avec le Québec, d’autant plus qu’Hydro détient un bloc de 34,2 % dans la centrale, ce qui, même sans être majoritaire, lui confère certains droits.

Cela dit, le Québec ne peut guère se passer de son voisin non plus. L’enjeu équivaut à 14 % des besoins énergétiques annuels d’Hydro-Québec.

Pour remplacer Churchill Falls, il faudrait construire 4 barrages comme la Romaine ou encore 50 projets éoliens comme Apuiat, sur la Côte-Nord. Ces projets devraient s’ajouter aux nombreux autres que souhaite voir éclore François Legault pour électrifier notre économie et alimenter les nouveaux besoins des grandes entreprises. François Legault parle d’une demi-Hydro de plus d’ici 2050, ce serait donc encore plus.

C’est sans compter que s’il fallait se passer de l’énergie venue de Terre-Neuve, des centaines de kilomètres de lignes de transport au Québec venant du Labrador deviendraient inutiles.

Autre considération : le fleuve Churchill recèle un énorme potentiel d’énergie additionnelle pour le Québec et Terre-Neuve. La centrale actuelle a un potentiel d’agrandissement de 1300 MW, auquel pourraient s’ajouter la nouvelle centrale Muskrat Falls (824 MW) et l’éventuelle centrale Gull Island (2215 MW), plus à l’est.

Bref, ce ne sont plus seulement les 5428 MW actuels de Churchill Falls qui sont en jeu, mais près du double, soit 9767 MW. Gigantesque !

Ce n’est pas pour rien que François Legault sera notamment accompagné de trois vice-présidents d’Hydro-Québec pour sa visite à Terre-Neuve, soit Pierre Despars (stratégie et développement), Dave Rhéaume (planification des besoins énergétiques) et Julie Boucher (développement durable et communications).

La partie sera longue et difficile. Les deux gouvernements entament dès maintenant des négociations pour ne pas être pris de court si jamais les choses tournaient mal, sachant qu’il faudrait des années pour ajouter une telle quantité d’énergie.

Mercredi, François Legault a dit qu’il serait prêt à augmenter les versements à Terre-Neuve bien avant 2041 s’il obtenait un bon tarif pour la suite. Il faut en comprendre que l’on fusionnerait ainsi les bas tarifs encore en vigueur d’ici 2041 (0,2 cent le kilowattheure) et ceux attendus après 2041, à négocier.

Chose certaine, les Québécois devront s’attendre à une augmentation de leurs propres tarifs, au bout du compte. L’avantageux contrat de Churchill Falls représente le tiers des profits d’Hydro-Québec, tout de même, profits qui se sont chiffrés à 4,6 milliards en 2022. Ouf !

1. Consultez le document Churchill River Expert Panel (en anglais)

Précision sur la Caisse de dépôt

Dans ma chronique publiée lundi, il était indiqué que la Caisse de dépôt et placement est l’actionnaire de contrôle de sept entreprises commerciales importantes. En fait, on en compte une dizaine, hors secteur financier et immobilier. De plus, il faut préciser que la Caisse a réduit à 30 % sa participation dans Datamars, selon le plus récent relevé disponible. Le texte a été modifié en conséquence sur lapresse.ca.

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