Parfois, même si l’intention est bonne, l’idée ne passe pas.

C’est ce qu’a pu constater, mercredi, le ministre des Finances Eric Girard, au cours de la première journée d’échanges au sujet de l’avenir du Régime de rentes du Québec (RRQ). Cet exercice, qui se déroule tous les six ans, permet au gouvernement de soumettre à l’examen du public une série d’idées pour ajuster le régime à la réalité qui évolue.

La vaste majorité des propositions sur la table ont suscité peu de débats. En fait, seule l’idée de faire passer de 60 à 62 ans l’âge minimal pour retirer sa rente a donné lieu à des discussions plus vives, suscitant une opposition unanime. Actuaires, syndicats, aînés, jeunes, toutes les personnes qui ont pris la parole étaient en désaccord.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, à moins d’être un expert du domaine, cette suggestion de Québec n’améliorerait pas les finances du régime, qui sont déjà saines et enviables, faut-il préciser. En fait, c’est tout le contraire.

L’explication est assez simple. Les rentes retirées avant 65 ans sont amputées. À 60 ans, par exemple, la « pénalité » est de 36 %. Cela se répercute tout le reste de la vie. Ce sont plutôt les Québécois qui attendent à 68 ou même 70 ans pour réclamer leur rente (bonifiée, dans ce cas) qui exercent une pression accrue sur les finances du RRQ.

Actuellement, un Québécois sur trois (33 %) demande sa rente du RRQ à 60 ans.

« Ce qui est proposé, d’augmenter l’âge à 62 ans, c’est pour la sécurité financière des travailleurs, et ça va coûter de l’argent au régime », a répété le ministre Eric Girard quelques fois au cours de la journée.

Bien sûr, le chèque reçu à 62 ans sera plus élevé que celui qui aurait été obtenu à 60 ans. Mais comme l’a mentionné la présidente de la CSN, Caroline Senneville, « on ne peut pas dire à quelqu’un de ne pas manger pendant deux ans parce que dans deux ans, sa rente de retraite va être plus grosse ».

C’est là que la bonne intention de départ – s’assurer que les rentes mensuelles versées aux Québécois soient plus élevées – se heurte à la réalité.

Dans la vraie vie, certains Québécois doivent retirer leur rente du RRQ dès 60 ans pour subvenir à leurs besoins, faute de revenus suffisants. On peut penser à ceux qui délaissent le marché du travail parce que leur corps est usé après avoir occupé un emploi physiquement très exigeant. Certaines personnes quittent le marché du travail parce que leur santé est fragile, qu’elles sont malades ou que leur espérance de vie est plus courte. D’autres ne peuvent plus endurer le stress d’un emploi. Il a aussi été question des travailleurs qui sont victimes d’âgisme et des proches aidants qui ne peuvent plus travailler à temps plein. Les scénarios sont multiples.

Reporter à 62 ans l’âge minimal d’accès au RRQ plongerait encore davantage ces personnes vulnérables dans l’insécurité financière, a-t-on répété au ministre Eric Girard toute la journée. Or, le but est à l’opposé.

Comme d’autres, la FTQ a mentionné que le taux de pauvreté chez les 60-64 ans était plus élevé que chez les autres groupes d’âge. Cette situation peut s’expliquer par le fait que les personnes qui se retirent du marché du travail n’ont pas accès à la pension de la Sécurité de la vieillesse avant 65 ans. De plus, le décaissement des épargnes (CRI, régime à cotisations déterminées) n’est pas toujours possible.

« D’un point de vue strictement actuariel, 90 % du monde ne devrait pas prendre sa rente à 60 ans. Mais pour une minorité, c’est la bonne chose à faire. C’est une minorité, mais elle existe […] Financièrement, ce n’est pas une bonne option, mais doit-on enlever cette possibilité à tout le monde ? », a demandé l’actuaire et professeur associé à l’Institut sur la retraite et l’épargne de HEC Montréal, Bernard Morency.

Il importe en effet de maintenir un régime qui offre de la flexibilité à ses bénéficiaires.

Mais cela vient avec une certaine responsabilité du côté du RRQ : bien informer les Québécois de leurs options, dans un langage clair et simple. Comme je l’ai déjà écrit⁠1, le document Cap sur la retraite transmis aux futurs retraités est difficile à comprendre, même lorsqu’on est bon en mathématiques. On peut donc difficilement s’attendre à ce que des personnes peu instruites fassent des choix éclairés, surtout en l’absence de conseils de professionnels… conseils qui viennent généralement avec des placements dans une institution financière. Au Québec, deux millions de travailleurs n’ont ni régime de retraite d’entreprise ni REER.

Titulaire de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke, Luc Godbout a d’ailleurs suggéré que le document Cap sur la retraite change de nom et que l’accent soit mis sur la rente payable à 65 ans, et non celle à 60 ans.

Comme l’a dit le ministre Girard, ce sont les moins nantis qui ont le plus intérêt à attendre pour réclamer leur rente. Mathématiquement, c’est vrai. Mais ce sont aussi ces personnes qui ont le plus besoin de recevoir un chèque de Québec à 60 ou 61 ans, aussi minime soit-il.

Voilà, en soi, un enjeu social qui exigerait une bonne dose de créativité.

⁠1 Lisez la chronique « L’art de mal vulgariser »