Votre appel est important pour nous. On l’a tellement entendue, celle-là, qu’on n’y croit plus vraiment. Parfois, c’est le temps d’attente qui nous fait enrager. Ou alors la pression monte en entendant ces menus qui nous forcent à choisir quatre fois parmi six possibilités. Des aînés qui contactent Retraite Québec déplorent plutôt la difficulté à obtenir des réponses claires.

À l’aube de ses 65 ans, Éloïze⁠* a reçu une lettre de Retraite Québec l’informant du montant estimé de la rente mensuelle qu’elle pourra toucher en fonction du moment où elle la réclame.

Un paragraphe indique que si elle attend après ses 65 ans, cette rente sera bonifiée de 0,7 % par mois. « Cette augmentation atteindra un maximum de 42 % à 70 ans », précise-t-on. Mais voilà que juste en dessous, un centimètre plus bas, l’exemple donné ne correspond pas du tout. La rente de 880 $ à 65 ans grimpera à 1083 $ à 70 ans. Une hausse de seulement... 23 %.

Même en relisant le document, Éloïze et son mari ne sont jamais parvenus à comprendre les chiffres qu’ils avaient sous les yeux. Ils croyaient que les experts au service à la clientèle pourraient les éclairer. Il n’en fut rien. « Ils m’ont dit qu’ils n’étaient pas actuaires et d’aller consulter mon dossier en ligne », s’étonne la dame qui habite Boucherville.

Gilles Bouthillier nous raconte un scénario identique. Il a argumenté pendant quelques jours avec sa sœur Marie au sujet des montants indiqués dans une lettre similaire de Retraite Québec. Les deux sont très doués avec les chiffres, mais ils ne comprenaient pas la même chose. Gilles croyait à la fameuse bonification de 42 % (ou 8,4 % par année) puisqu’elle était écrite noir sur blanc. Mais les calculs de Marie concluaient autre chose de bien moins avantageux.

Ce n’est pas le service à la clientèle de Retraite Québec qui a mis fin au débat. Au téléphone, l’employé n’a pas été en mesure d’expliquer pourquoi les montants de rente ne correspondaient pas à l’augmentation promise.

« Les chiffres sont bons, mais pas le paragraphe juste avant, résume Marie. C’est ça qui est aberrant. Et en plus, ils ne sont pas capables d’expliquer les lettres qu’ils envoient. Si on ne calcule pas, on pense que c’est vrai, le 8,4 % ! »

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Je me suis rendue chez Éloïze et nous avons rappelé Retraite Québec ensemble. Objectif : se faire expliquer pourquoi sa rente prévue à 70 ans n’est pas bonifiée de 42 % comme annoncé.

PHOTO FOURNIE PAR UNE LECTRICE

Relevé de Retraite Québec

Une première employée nous a dit que les chiffres fournis « peuvent ne pas être justes justes ». Dans ce cas-ci, il s’agit plutôt d’un écart significatif, lui a-t-on fait remarquer. « Hum… Normalement, on dit 42 %… » Embêtée mais efficace, elle demande l’aide de sa chef d’équipe. On finira par comprendre que certains paragraphes de la lettre sont génériques et ne s’appliquent pas à tout le monde, tandis que les montants de rente, eux, sont personnalisés. Il sera ensuite question d’indexation, de dollars d’aujourd’hui et d’estimations. Ouf ! La chef a convenu que le document porte à confusion, incapable de tout justifier.

C’est tout un défi, il faut l’admettre, que d’expliquer le calcul d’une rente de retraite à des personnes qui ont des niveaux de connaissances et d’habiletés avec les chiffres totalement différents d’un appel à l’autre. Mais si Retraite Québec ne peut éclairer les Québécois au sujet de ses propres prévisions, qui peut le faire ?

Au Réseau FADOQ (ex-Fédération de l’âge d’or du Québec), le plus grand organisme d’aînés au pays, on a très souvent entendu des critiques au sujet du service à la clientèle et des documents de Retraite Québec. « La vulgarisation, ils oublient de faire ça. C’est important de savoir à qui on s’adresse, on ne peut répondre à tout le monde de la même manière. Il faut segmenter », croit la directrice générale adjointe, Lyne Rémillard.

C’est vrai partout, mais encore plus pour le Régime de rentes du Québec, poursuit-elle. « Quand on parle de retraite, on parle d’argent. Quand on parle d’argent, on parle de qualité de vie et de survie même, parfois. Alors c’est important ! »

PHOTO FOURNIE PAR LE RÉSEAU FADOQ

Lyne Rémillard, directrice générale adjointe du Réseau FADOQ et rédactrice en chef du magazine Virage

Le Réseau FADOQ invite Québec à imiter Service Canada qui l’a contacté avant la pandémie pour savoir comment améliorer ses communications avec les personnes âgées. Il a été question de problèmes auditifs, de termes techniques, de la patience du personnel et de documents volumineux. Une nette amélioration a été constatée depuis.

On était surpris à Retraite Québec d’entendre ces critiques, le service à la clientèle étant une priorité, selon un porte-parole. « Il y a vraiment un beau souci de bien comprendre, de s’adapter, de répondre le mieux possible et de ne pas proposer du numérique à quelqu’un qui n’a pas ces compétences-là. On ajuste ce qu’on propose à nos clients », a soutenu la directrice de l’innovation et de la culture client, Claude-Amélie Robitaille. Les communications concernant les retraites sont d’ailleurs en train d’être revues.

Le défi est de taille. Près de deux aînés sur trois dans la province n’atteignent pas le niveau 3 de littératie, celui qui permet de lire des textes denses ou longs et d’y réagir de façon adéquate. Et bien des aînés ne sont pas à l’aise avec les technologies, tandis que certains n’y ont même pas accès.

Mais il faut trouver des solutions. Car la population vieillit et les appels d’octogénaires et de nonagénaires ne seront que plus nombreux dans les prochaines années.

* Prénom fictif