Le transport aérien régional au Québec souffre d’un manque chronique de passagers parce qu’il en coûte trop cher pour voyager en avion. Mais est-ce que les prix des billets baisseraient s’il y avait davantage d’usagers ou faut-il baisser les prix pour générer plus d’achalandage ?

Voilà en gros l’enjeu – de l’ordre de celui de l’œuf ou la poule – qui tenaille des acteurs et utilisateurs du transport aérien régional. Pour les opérateurs qui doivent arbitrer quotidiennement la gestion des hauts et des bas du trafic aérien au Québec, il ne fait toutefois aucun doute qu’une hausse du volume des passagers est indispensable à une potentielle réduction des prix.

Yani Gagnon et Julian Roberts, les deux copropriétaires de Pascan Aviation, en sont convaincus. Le transporteur aérien régional, déjà établi depuis plus de 20 ans dans plusieurs dessertes à partir de l’aéroport de Saint-Hubert, a élargi son rayon d’action en août 2020 lorsqu’il a repris la liaison Gaspé-Montréal que venait d’abandonner Air Canada.

L’entreprise, qui assure des liaisons quotidiennes sur 11 aéroports régionaux avec sa flotte de 10 appareils turbopropulsés, est particulièrement excédée que les transporteurs aériens régionaux soient montrés du doigt comme les grands responsables des prix élevés pour voyager entre les régions du Québec.

Il y a deux semaines, je relayais les grandes lignes d’un rapport réalisé par le consultant en développement régional Gaétan Lelièvre, qui déplorait les grandes différences de prix qui prévalent entre le Québec et le reste du Canada pour parcourir une distance équivalente entre une région et sa métropole.

Relisez la chronique « Le transport aérien, un frein au développement des régions du Québec »

« On compare le prix de la liaison entre Gaspé, avec sa population de 15 000 habitants, et Montréal avec celui de la liaison entre Thunder Bay, qui compte 110 000 habitants, et Toronto. Ce ne sont pas du tout des marchés comparables », déplore dans un premier temps Yani Gagnon.

« On évoque aussi le fort taux de 40 % d’indisponibilité des vols observé durant le mois de janvier entre Gaspé et Montréal sans préciser qu’on a enregistré une baisse de 90 % de nos réservations en raison des nouvelles mesures sanitaires liées à l’apparition du variant Omicron », ajoute le responsable de Pascan.

Tout n’est pas blanc ni noir dans le monde de l’aviation régionale, une réalité partagée par les autres opérateurs de lignes régionales, comme me l’a rappelé Manon Cyr, mairesse de Chibougamau.

« Chez nous aussi, les prix restent élevés, même si Air Creebec essaie de faire du mieux qu’elle peut et qu’elle profite davantage des tarifs de navettage des sociétés minières de la région. Il faut payer plus de 900 $ pour un aller-retour Chibougamau-Montréal », souligne Mme Cyr.

La réalité du plancher et des airs

Lorsque Pascan a pris la décision d’assurer la liaison entre Gaspé et Montréal, en août 2020, on était en pleine pandémie – raison d’ailleurs pour laquelle Air Canada a abandonné cette desserte soudainement désertée.

« Les chiffres nous montraient que la liaison Gaspé-Montréal avait enregistré une moyenne de 1000 passagers par mois en 2019. Depuis qu’on a repris cette desserte, on enregistre un achalandage moyen de 150 passagers par mois. Avec la COVID, les gens ont cessé de voyager, même au Québec. On souhaite juste que ça reprenne et que cela redevienne économiquement opérable », insiste Yani Gagnon.

Son associé, Julian Roberts, qui est né et qui a grandi à Harrington Harbour, sur la Basse-Côte-Nord (le village où a été tourné le film La grande séduction), abonde dans son sens.

« On a à cœur le développement du transport aérien régional, on vient de là. À 16 ans, j’ai dû aller étudier à Québec et ça me coûtait 2000 $, deux fois par année, pour faire l’aller-retour en avion. Et, il y a 25, 30 ans, ce n’était pas les mêmes coûts d’opération », met en perspective Julian Roberts.

On s’étonne des tarifs qui peuvent atteindre les 1000 $ pour un aller-retour Gaspé-Montréal, mais ces prix arrivent difficilement à combler les coûts de l’opération, déplorent les patrons de Pascan.

« Près de 40 % de nos tarifs représentent le seul prélèvement de différentes taxes et tarifs. Quand un de nos avions part des Îles-de-la-Madeleine pour atterrir et ramasser un seul passager à Gaspé, ça nous coûte 337 $ en frais d’utilisation de l’aéroport. C’est arrivé à de multiples occasions en janvier », expose Yani Gagnon.

Les deux entrepreneurs ont repris les activités de Pascan en 2016 lorsque le transporteur aérien s’est placé sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies.

Pascan comptait alors sur sept appareils de type JetStream 32, de 19 places, auxquels on a ajouté en novembre 2020 4 SAAB 340 de 33 places.

« On avait entrepris de moderniser notre flotte au moment même où la pandémie a éclaté. Ç’a été deux années très difficiles à traverser. On a dû mettre à pied plus de 100 employés pour opérer avec 43 personnes seulement. Là, on est revenus à 185 employés, mais on ne voit pas encore de retour à la rentabilité prochaine », concède Julian Roberts.

Avec un achalandage de quelque 45 000 passagers en 2021, Pascan est encore loin du seuil espéré des 100 000 passagers et plus par année pour pouvoir respirer un peu mieux et donner un peu plus d’air aux passagers et, éventuellement, permettre des prix qui vont favoriser une plus large démocratisation du transport aérien régional.