La Gaspésie enregistre depuis cinq ans des soldes migratoires positifs, dont l’un des plus forts bilans pour l’ensemble du Québec en 2021, après des décennies d’exode systématique, mais cette région éloignée de Montréal reste l’une des plus mal desservies en termes de liaison aérienne. Il en coûte de deux à trois fois le prix pour faire l’aller-retour Gaspé-Montréal que pour réaliser la même distance en avion à peu près n’importe où ailleurs au Canada.

« Il y a beaucoup de citadins qui ont quitté la ville et la COVID pour venir s’établir en Gaspésie parce qu’ils voulaient profiter de la nature, de la mer et de la tranquillité, mais est-ce qu’ils vont vouloir rester quand ils vont voir combien c’est compliqué et ce que ça coûte de vouloir se rendre à Montréal ou à Québec en avion, pour aller visiter leur famille ou des collègues de travail ? », s’interroge Gaétan Lelièvre, président de Lelièvre Conseils – Développement des régions.

Le consultant connaît bien sa région, le transport aérien et le développement. Résidant de Gaspé, détenteur d’une maîtrise en développement régional, il a été successivement directeur général des MRC et CLD de Rocher-Percé, de la Côte-de-Gaspé, de la Ville de Gaspé, directeur des aéroports de Gaspé et de Rocher-Percé, président de la Commission des transports de la Gaspésie et ministre délégué péquiste du Développement des régions dans le gouvernement de Pauline Marois.

Bref, un CV qui témoigne de son engagement et qui l’a poussé à produire un rapport étoffé sur les carences du transport aérien interrégional qui affligent sa région comme toutes les autres zones éloignées du Québec, selon lui.

Gaétan Lelièvre m’a fait parvenir une copie de ce rapport lundi soir comme il en a envoyé une au ministre québécois des Transports, François Bonnardel, au ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, responsable de la région de la Gaspésie, Jonatan Julien, ainsi qu’à d’autres décideurs.

Les coûts du transport aérien interrégional et son accessibilité sont une catastrophe pour le développement économique, social, municipal et touristique des régions québécoises, et plus particulièrement pour la Gaspésie, où il en coûte de deux à trois fois le prix pour faire l’aller-retour Montréal-Gaspé que pour réaliser la même distance ailleurs au Canada.

Les prix sont élevés, beaucoup trop élevés, quand on les compare à des vols de distances comparables entre une région et sa métropole ailleurs au Canada, comme le démontre cette grille de tarifs aériens pour le mois de janvier 2022.

Et la situation n’a fait qu’empirer depuis qu’Air Canada a décidé en juin 2020 de mettre un terme à certaines liaisons régionales, dont celle de Gaspé-Montréal, puisque les résidants de la Gaspésie ou les touristes qui veulent s’y rendre de Montréal ou de Québec ont de plus en plus de difficulté à réserver un siège d’avion avec une possibilité de retour sur une période de 15 jours.

« Entre le 2 janvier et le 17 janvier 2022, il n’a pas été possible de boucler un voyage aller-retour Gaspé-Montréal dans 40 % des cas. Même chose à partir de Bonaventure. À 60 % du temps, il n’y a pas de disponibilité sur une période de 15 jours qui suit », a observé Gaétan Lelièvre.

Deux compagnies aériennes assurent maintenant une liaison avec la Gaspésie, soit Pascan et PAL Airlines, de Terre-Neuve, et même si elles peuvent profiter d’un certain financement du ministère des Transports, qui a débloqué 40 millions depuis la fin des activités d’Air Canada pour maintenir les vols en région, les prix restent démesurément élevés.

« En décembre dernier, le prix d’un vol aller-retour Montréal-Gaspé était de 1350 $. Un touriste français qui paie 600 $ pour venir au Québec ne s’attend pas payer le double pour faire un trajet de 800 kilomètres. C’est aussi un frein au développement touristique », souligne le consultant.

Évidemment, la Gaspésie est moins bien servie parce que la région ne génère pas le même achalandage que l’on peut observer sur la Côte-Nord, en Abitibi ou au Saguenay–Lac-Saint-Jean, où de nombreuses grandes sociétés minières ou forestières sont actives et où des transporteurs dynamiques comme Air Creebec ou Air Inuit viennent générer davantage de concurrence.

« Les gens n’ont pas les moyens de prendre l’avion en Gaspésie. Le principal client des compagnies aériennes, c’est le gouvernement, les fonctionnaires qui ne regardent pas les prix et qui profitent même des prix élevés pour accumuler des points voyage, ou des personnes qui doivent obtenir des services de santé et qui vont se faire rembourser. C’est 70 % de l’achalandage », calcule Gaétan Lelièvre.

À cet égard, Québec aurait avantage à lancer des appels d’offres pour obtenir les meilleurs prix pour ses propres achats et considérer un prix plafond pour les citoyens qui doivent prendre l’avion.

Le consultant souligne que le Québec représente 23 % de la population canadienne, mais que sa desserte aérienne régionale ne représente que 10 % du total de passagers intrarégionaux au Canada, ce qui marque un manque à gagner de 50 %.

L’Institut de recherche en économie contemporaine (IREC) a récemment calculé que le service aérien régional déficient au Québec prive l’État de 3,8 milliards de dollars de valorisation de son PIB et que si on occupait le ciel correctement, ce sont 800 millions additionnels de TVQ que le gouvernement pourrait récolter sur la vente de billets d’avion.

Le consultant Lelièvre ne cache pas que l’arrivée d’un projet de coopérative aérienne comme celui proposé par les promoteurs de la société TREQ devrait être sérieusement étudiée et permettrait de corriger les lacunes qui freinent le développement et le potentiel des régions.