Aussi détestable qu’ait pu être la pandémie de COVID-19 depuis son éclosion jusqu’à aujourd’hui – et manifestement cela durera un bon bout de temps encore –, cette crise sanitaire hors norme nous a permis de prendre conscience de certaines aberrations que la société productiviste a insidieusement érigées en contingences incontournables de la vie, dont on pourrait pourtant aisément s’affranchir.

La pandémie a empoisonné la vie de tout le monde tout comme elle a aussi fortement envenimé nos modes de vie, en limitant notamment au minimum nos rapports sociaux et en forçant la fermeture de grands pans de l’activité économique non essentielle.

Si l’instauration et la généralisation du télétravail ont permis à de nombreuses organisations de passer au travers de la crise sans trop de mal, de nombreuses entreprises, notamment celles du secteur du commerce au détail qui dépendent de la présence de leurs employés pour rester en vie, ont beaucoup souffert au cours des derniers mois et continuent de le faire aujourd’hui.

La semaine dernière, ma collègue Marie-Eve Fournier a mis en lumière les problèmes de main-d’œuvre auxquels font face depuis longtemps les propriétaires de quincaillerie qui peinent à maintenir dans leur commerce les effectifs minimaux pour bien servir leur clientèle. Une situation préexistante à la pandémie, mais qui a été exacerbée par la crise.

Le souhait de nombreux propriétaires de quincaillerie, particulièrement en région où les grandes surfaces américaines sont moins présentes pour leur faire concurrence, serait que le gouvernement oblige la fermeture des commerces le dimanche, pour revenir à la situation qui prévalait il y a 30 ans.

Lisez « Et si on ne magasinait plus le dimanche ? » Lisez « Magasinage le dimanche : les quincailleries veulent un débat »

La rétention du personnel serait facilitée par un horaire de travail réparti sur six jours plutôt que sept, et la motivation de même que la productivité des effectifs seraient d’autant renforcées. Ce qui est tout à fait réaliste et concevable.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Vitrine d'un magasin de la rue Fleury Est

Il serait toutefois fort surprenant qu’un gouvernement décide de légiférer pour abolir un droit acquis avec lequel tous les consommateurs ont appris à composer depuis 30 ans et qui fait maintenant partie intégrante de leur mode de vie nord-américain.

Un mode de vie qui a instauré comme une nécessité absolue le fait de pouvoir magasiner sept jours sur sept à son supermarché, sa pharmacie, sa quincaillerie, sa boutique de vêtements ou de chaussures et, dans certains cas, d’y avoir accès 12 heures par jour.

Une nouvelle réalité

Pourtant, le confinement et le télétravail ont fait exploser cette réalité précovidienne lorsque l’accès aux commerces a été réduit au strict minimum et que les gens ont modulé leur besoin de consommation à leur nouvelle routine de vie quotidienne qui n’impliquait plus de longs trajets aller-retour entre le travail et la maison.

C’est la société productiviste qui a induit la nécessité de pouvoir consommer sept jours sur sept, en continu, sans contrainte. Plus on ouvrait les possibilités de consommer, plus les gens allaient être happés par l’urgence de dépenser, plus on allait produire de biens et de services pour satisfaire cet appétit sans fin.

C’est cette même réalité productiviste qui nous a longtemps fait croire qu’il fallait absolument s’entasser à 7 h le matin dans les transports en commun ou faire la queue dans les bouchons de circulation pour arriver absolument à la même heure au bureau et garantir ainsi un taux de productivité optimal.

La pandémie, le confinement et le télétravail nous ont démontré que l’on pouvait être tout aussi productif, sinon plus, en évitant de s’engouffrer dans le chaos de la circulation du matin et du soir pour accomplir son travail de façon efficace, tout en se dégageant une marge de manœuvre pour réaliser ses achats malgré des heures d’ouverture réduites.

La nouvelle réalité qu’a imposée la pandémie a eu des incidences positives sur l’environnement, alors que le nombre de véhicules sur les routes a été fortement réduit.

La productivité des magasins d’alimentation – et leur rentabilité – n’a pas été touchée par des heures d’ouverture raccourcies, au contraire. Les gens ne mangent pas plus parce que leur épicerie reste ouverte jusqu’à 22 h. C’est pratique pour dépanner à l’occasion, mais on voit rarement quelqu’un faire son épicerie de la semaine à 21 h.

Le gouvernement n’interviendra pas pour forcer la fermeture des commerces le dimanche, on peut en être certain, mais ce sera aux commerces et aux consommateurs de faire les choix éclairés qui s’imposent.

Est-ce qu’il vaut vraiment la peine de garder ouvert son commerce le dimanche si les ventes qu’on y réalise ne font pas une différence dans le bilan annuel, compte tenu des difficultés et des coûts qu’il faut supporter pour assurer un service adéquat ?

Le retour à la « normale » que tous attendent et espèrent en septembre prochain sera une belle occasion de privilégier une meilleure et plus saine productivité plutôt que de continuer d’alimenter un productivisme aveugle.