Les quincailleries ne lâchent pas le morceau en ce qui concerne la possibilité de fermer les dimanches. Elles veulent provoquer un débat sur la question. Et leur association a demandé à Québec de modifier la loi sur les heures d’ouverture.

Une lettre a été transmise vendredi par l’Association québécoise de la quincaillerie et des matériaux de construction (AQMAT) à deux ministres, soit Eric Girard, aux Finances, et Jean Boulet, au Travail, ai-je appris. Le président et chef de la direction de l’AQMAT, Richard Darveau, y précise que 76 % des dirigeants de quincailleries et de centres de rénovation lui ont donné le mandat de placer en priorité la question du dimanche.

« Sans intervention de l’État, c’est évident qu’on va assister en accéléré à des fermetures en série », insiste M. Darveau, en entrevue.

Ce n’est pas la première fois que l’association réclame des changements législatifs. Une poignée d’autres ministres ont reçu des lettres similaires depuis cinq ans afin de « protéger l’expertise qu’offrent les quincailleries ». Mais l’AQMAT revient à la charge, car l’urgence s’accentue en raison de la pénurie de main-d’œuvre et de relève.

Trouver des employés compétents pour travailler les dimanches est devenu un vrai cauchemar, m’ont confié des propriétaires. Or, les clients ne sont pas moins nombreux à se présenter en magasin avec une liste de questions pointues pour régler leur problème ou concrétiser leur projet. Au contraire ! Leur nombre augmente, comme je l’ai écrit plus tôt cette semaine.

Lisez la chronique « Et si on ne magasinait plus le dimanche ? »

Selon l’AQMAT, la pandémie a changé les paradigmes de travail et de consommation. Les employés ont plus d’exigences en matière d’horaire et de conditions de travail. Et la population a revu ses priorités. Les gens consentent davantage à ajuster leur mode de vie pour que tous y trouvent leur compte.

Si je me fie aux tonnes de courriels de lecteurs reçus après la publication de ma chronique – même si ce n’est certes pas un échantillon statistiquement parfait –, les consommateurs sont presque unanimement favorables à la fermeture des commerces non essentiels le dimanche. La qualité de vie des familles est l’argument le plus souvent soutenu. Dans de nombreux pays d’Europe, où tout est fermé ou presque, on s’en accommode, m’a-t-on aussi écrit à maintes reprises.

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Concrètement, l’AQMAT souhaite convaincre Québec de faire deux choses : obliger les quincailleries à demeurer fermées les dimanches et les « protéger en interdisant aux autres commerces de vendre des articles de quincaillerie et des matériaux de construction ».

C’est ambitieux. Rappelez-vous comme ç’avait été délicat, le printemps dernier, quand le gouvernement a permis à Costco, à Walmart et à Canadian Tire de rester ouverts, tout en leur interdisant de vendre des vêtements, des téléviseurs et des chaudrons. Tout cela dans un objectif noble d’équité envers les boutiques de mode, d’électronique et d’articles de cuisine forcées de fermer pour réduire la propagation du SARS-CoV-2, virus responsable de la COVID-19.

Dans l’urgence, les détaillants avaient installé d’inélégantes barrières, souvent de gros rubans adhésifs jaunes sur leurs présentoirs. Heureusement, on savait que c’était temporaire. Si l’on revient à un système similaire, des rubans seront-ils installés chaque samedi soir en prévision du lendemain ? Bien sûr que non. Il faudra trouver une meilleure idée.

Et quel sort attend les quincailleries québécoises collées sur l’Ontario ou le Nouveau-Brunswick, par exemple ? M. Darveau est conscient qu’il faudrait une cohérence avec les voisins. Ce n’est pas gagné. D’autant qu’une partie de l’Ontario est collée sur les États-Unis, où des Walmart accueillent les clients 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Cela dit, il ne faut pas croire que des disparités régionales sont impossibles, affirme-t-il, puisque dans certaines villes américaines, les quincailleries sont fermées le dimanche.

PHOTO FOURNIE PAR RICHARD DARVEAU

Richard Darveau, président et chef de la direction de l’Association québécoise de la quincaillerie et des matériaux de construction

Il y a aussi la question du web. La fermeture des quincailleries le dimanche n’encouragera-t-elle pas les consommateurs à acheter sur Amazon ? C’est un « risque à prendre », juge l’AQMAT. Un risque qu’il faudra mesurer, même si on n’y achète pas de 2 x 4 ni d’arbustes. Le ramassage en bordure de route des achats en ligne serait-il autorisé ?

Les enjeux sont multiples, et aucune solution ne sera parfaite. Le statu quo, d’ailleurs, ne l’est pas.

Les démarches répétées de l’AQMAT ont le mérite de faire réfléchir, alors qu’on a tendance à penser que l’ouverture des commerces les dimanches est une règle figée dans le béton. D’ailleurs, le Conseil québécois du commerce de détail est en train de sonder ses membres sur la question.

En Europe, le magasinage dominical est régulièrement remis en cause.

Le débat s’est réanimé, le printemps dernier, quand les commerces d’une panoplie de départements français ont eu le droit, exceptionnellement, d’ouvrir certains dimanches pour écouler les stocks invendus en raison du confinement. Les syndicats ont craint une « banalisation » du magasinage dominical. Des commerces ont boudé l’idée. « Nous avons eu une clientèle familiale qui voulait profiter des infrastructures (petit train, jeux, manèges) sans forcément dépenser », a ensuite raconté à Franceinfo le directeur d’un centre commercial à Strasbourg.

Comme quoi l’enjeu est aussi très culturel.

Lisez ce texte sur les ouvertures dominicales exceptionnelles du printemps