D’accord avec l’idée ou non, les supermarchés du Canada devront apprendre à vivre avec un code de conduite visant à améliorer les relations avec leurs fournisseurs. Ces derniers se plaignent depuis des années des frais arbitraires et parfois rétroactifs qui leur sont imposés.

Les ministres de l’Agriculture du pays ont annoncé en chœur jeudi qu’ils s’étaient entendus sur la nécessité pour l’industrie alimentaire de se doter d’une liste de bonnes pratiques et même d’un mécanisme de résolution des différends. Cette nouvelle majeure provoquera assurément autant de remous qu’elle suscitera d’espoirs.

Le code n’a pas encore été rédigé. Mais le simple fait que toutes les provinces conviennent de la nécessité d’écrire des règles qui s’appliqueront d’un océan à l’autre est un pas de géant que peu d’acteurs auraient cru possible il y a un an.

L’adhésion sera obligatoire, même si le texte n’aura pas force de loi.

Les élus ont convenu, au terme de travaux amorcés en novembre dernier, qu’il fallait trouver une façon « de rendre la chaîne alimentaire plus efficace en améliorant la transparence, l’équité et la prévisibilité dans les relations entre les fournisseurs et les détaillants ».

Autrement dit, les ministres voient des problèmes qui sont assez graves pour qu’on s’y attaque. Ce n’est pas rien. Les fournisseurs, qu’il s’agisse d’agriculteurs ou de transformateurs, se plaignaient depuis près de 20 ans de la façon dont ça se passe avec les grandes chaînes de supermarchés dans un contexte oligopolistique.

On leur donne finalement raison.

Les travaux ont mené à une série de conclusions : les « obstacles à l’accès au marché » freinent l’innovation ; le climat actuel « contribue à la perception que l’environnement d’investissement est moins attrayant pour certaines entreprises de fabrication de produits alimentaires » ; la « tension générale dans les relations à l’intérieur de la chaîne d’approvisionnement » peut poser « un risque à la prospérité et à la compétitivité de celle-ci » ; « les frais imposés par les détaillants ont augmenté ».

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Les récriminations de fournisseurs sont peu connues du grand public, qui ne s’en émeut d’ailleurs guère. Dans les médias, les rares témoignages sont toujours faits sous le couvert de l’anonymat, dans la peur, vu le nombre restreint de débouchés pour leurs produits. De fait, seulement cinq entreprises accaparent 80 % du marché canadien : Loblaw (Maxi/Provigo), Sobeys (IGA), Metro/Super C, Walmart et Costco.

Cette crainte de critiquer les cinq géants est telle que le Bureau de la concurrence a clos une enquête en mai sur les pratiques de Walmart et de United Grocers, trop peu de personnes voulant témoigner à visage découvert. C’est tout dire !

Les tabous et l’omerta n’auront toutefois pas empêché les ministres de l’Agriculture du pays de s’entendre sur la nécessité d’un code. Et de réussir à inclure les détaillants dans la démarche.

« Ceux qui n’étaient pas dans l’autobus, pour qui il n’y avait pas de problème, dans le fond, ils savaient qu’il y avait des problèmes. Ils sont sortis et nous ont dit qu’ils trouvaient que c’était une bonne idée et ils ne voulaient pas que le gouvernement leur impose [un code]. C’est devenu consensuel », m’a expliqué le ministre québécois André Lamontagne. C’est lui qui a lancé les travaux quelques mois après une annonce controversée de Walmart à ses fournisseurs, dont avait fait état La Presse.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

André Lamontagne, ministre de l’Agriculture

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Les relations d’affaires entre les entreprises étant de compétence provinciale, il y a eu du scepticisme face à la capacité des provinces de s’entendre pour imposer un code pancanadien. Cet enjeu est réglé.

Mais il reste encore beaucoup de travail à faire. Et vite, car les provinces pressent l’industrie alimentaire de leur présenter une proposition d’ici septembre. À couteaux tirés depuis des années, les différents membres de l’industrie arriveront-ils à travailler efficacement ensemble ? Et leur code aura-t-il assez de mordant pour assainir les relations ?

Des concurrents comme Sobeys et Metro, par exemple, ont vu les choses d’un tout autre œil. Le président de Sobeys, Michael Medline, a été le seul à affirmer publiquement que ça ne tournait pas rond. « Je ne pense pas que ce soit sain. Certaines pratiques sont, pour moi, difficiles à croire et répugnantes en fait. Et, poussés à l’extrême, certains de ces comportements sont tout simplement mauvais pour le Canada. »

Le PDG de Metro, Eric La Flèche a plutôt déclaré que les négociations avec ses fournisseurs se faisaient « de façon éthique et avec respect » et que l’intervention du gouvernement n’était pas « nécessaire ».

Sobeys a ensuite dévoilé sa proposition de code. Un mois plus tard, on apprenait que Metro travaillait sur son propre guide, jugeant que celui de son concurrent contenait « des choses qui vont un peu loin ».

Le Conseil canadien du commerce de détail a aussi fait du chemin depuis 2020. Son porte-parole affirme maintenant que l’annonce des ministres est une « bonne nouvelle » puisque « ça prend une démarche consensuelle dans l’industrie pour en arriver à une forme d’encadrement. »

Les détaillants en alimentation ont évidemment intérêt à s’entendre, sans quoi ils risquent de se faire imposer des règles qui ne feront pas leur affaire. « On va être très diligents, promet André Lamontagne. Car nous avons des attentes. »

Lisez un texte sur les frais imposés par Walmart Lisez le texte du Globe and Mail sur la sortie de Michael Medline (en anglais) Lisez le texte « Un code de conduite n’est pas “nécessaire”, croit Metro » Lisez ma chronique sur la proposition de code de Sobeys Lisez le texte « Metro travaille sur un guide de bonnes pratiques »