On n’est jamais si bien servi que par soi-même, dit le proverbe. Ainsi, la société mère d’IGA, Sobeys, n’a pas attendu de voir quelles seraient les conclusions du gouvernement qui se penche actuellement sur la relation délicate entre les supermarchés et leurs fournisseurs. Elle a pondu un code de conduite dont le contenu sera dévoilé ce jeudi.

Le travail n’a pas été fait sur le coin de la table. Le projet de code — parce que les suggestions pour le modifier sont les bienvenues — est inspiré de ce qui se fait ailleurs dans le monde, notamment au Royaume-Uni. D’ailleurs, Sobeys a embauché une ex-arbitre qui tranchait les litiges dans ce pays pour « avoir ses conseils ».

Ce qui lui donne du poids, surtout, c’est qu’il n’a pas été rédigé en cachette des fournisseurs. Au contraire, le projet de code est le fruit d’un consensus avec Produits alimentaires, de santé et de consommation du Canada (PASC), la plus grande association de transformateurs dans le secteur de l’alimentation au pays. Campbell’s, Catelli, Lassonde, Agropur, Kellogg’s et Nestlé en font partie.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

« Actuellement, lorsqu’un commis d’épicerie place des pots sur un rayon et qu’il en laisse tomber un, le fournisseur doit rembourser le produit à la chaîne de supermarchés », écrit notre chroniqueuse.

Reste maintenant à voir quelle sera la réaction de Loblaw (Maxi et Provigo), Walmart, Costco, Metro/SuperC et les autres. Car l’idée de Sobeys est de rallier tous ses concurrents. Cela permettrait notamment la création, comme au Royaume-Uni, d’un mécanisme indépendant de règlement des différends.

IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

Pierre St-Laurent, vice-président exécutif et chef de l’exploitation de Sobeys

Je souhaite que tout le monde embarque. Si je suis seul, ça n’a pas le même impact sur la chaîne d’approvisionnement.

Pierre St-Laurent, vice-président exécutif et chef de l’exploitation de Sobeys

En entrevue sur Zoom, le dirigeant insiste sur ce fait : l’objectif d’un code est de mettre fin à ces pratiques « malsaines » qui créent de l’« incertitude » chez les fournisseurs. On parle ici de déductions rétroactives, de frais arbitraires, de charges non prévues dans les contrats, etc.

Cette incertitude, plaide-t-il, nuit à la robustesse de la chaîne d’approvisionnement et affaiblit la sécurité́ alimentaire au pays en réduisant les investissements dans l’industrie agroalimentaire.

« Si on n’innove pas au Québec, on va innover ailleurs. Et on va acheter des produits d’ailleurs. Ça ne crée pas d’emplois ici », poursuit Pierre St-Laurent, originaire de Sainte-Anne-des-Monts, en Gaspésie.

Il ne faut pas trop s’étonner que Sobeys ait pris le taureau par les cornes. L’automne dernier, après « l’affaire Walmart1 », son président Michael Medline s’était prononcé en faveur d’un code. En 20 ans, jamais il n’avait vu de relations détaillants-fournisseurs aussi mal en point, avait-il admis. Ce n’est pas pour rien que les ministres de l’Agriculture de toutes les provinces déposeront un rapport à ce sujet cet été2.

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En se mettant à la rédaction plus vite que le gouvernement, Sobeys se retrouve donc avec un document qui fait son affaire et qui plaira à ses fournisseurs. Mais surtout, l’épicier prend le leadership au Canada dans ce dossier épineux et met ses concurrents dans une position inconfortable.

Qui osera s’opposer publiquement à des principes de transparence, d’équité et de bonne conduite ?

Mais ce n’est pas gagné d’avance.

Les géants Loblaw et Walmart n’ont pas commenté la sortie de M. Medline. Du côté de Metro, on ne reconnaît même pas qu’il y a un problème dans l’industrie. Il y a deux mois, le président et chef de la direction, Eric La Flèche, a déclaré aux actionnaires que les négociations avec ses fournisseurs se faisaient « de façon éthique et avec respect ». Et qu’en conséquence, il ne voyait pas l’utilité d’un code de conduite.

Ces propos avaient vivement fait réagir des dirigeants et propriétaires de PME québécoises. Beaucoup se sont empressés de me faire parvenir une liste de pratiques qui les irritent. Leurs mots étaient durs, très durs. Ils réclamaient un code au plus vite3.

Il s’avère que ces pratiques qu’on m’a énumérées sont à peu près toutes interdites dans le code proposé par Sobeys. « C’est le gros bon sens. On veut traiter les autres comme on aime être traités. En ce qui me concerne, c’est juste du gros bon sens », dit Pierre St-Laurent.

De fait, certaines règles surprennent tant elles semblent élémentaires. Je vous donne un exemple concret. Actuellement, lorsqu’un commis d’épicerie place des pots sur un rayon, disons de cornichons ou de caramel, et qu’il en laisse tomber un, le fournisseur doit rembourser le produit à la chaîne de supermarchés.

Le code de Sobeys s’y attaque : « Le détaillant ne peut exiger des fournisseurs qu’ils effectuent des paiements pour défrayer les coûts associés à des produits d’épicerie qui deviennent invendables après la livraison. » Simple logique. Si vous cassez une bouteille d’huile d’olive sur l’asphalte en déposant vos emplettes dans la voiture, réclamerez-vous un remboursement à votre épicier ?

C’est quand même déconcertant qu’une industrie en soit rendue à prendre du temps pour écrire des règles qui relèvent du gros bon sens.

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3-(RE)LISEZ Pourquoi les fournisseurs veulent-ils un code ?

Consultez le code conduite proposé par Sobeys (IGA)