Il est difficile de savoir à quel point le sentiment de solitude est en augmentation, mais chose certaine, sa prévalence est désormais une préoccupation des autorités de santé publique partout dans le monde. Qu’en est-il au Québec ?

Suivre la tendance

Quand la Grande-Bretagne a décidé de créer un ministère de la Solitude en 2018, l’intérêt des chercheurs en santé publique québécois a été titillé. Qu’en était-il de ce « sentiment de solitude » au Québec ? Julie Lévesque, conseillère scientifique à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), a organisé une journée thématique en 2018 précisément sur cet enjeu pour faire un état des lieux. La pandémie aura ensuite donné l’occasion à l’INSPQ de mesurer ce « sentiment de solitude » dans la population québécoise en lien avec les mesures sanitaires prises contre la COVID-19. Depuis mai dernier, un nouveau sondage mensuel sur les habitudes de vie des Québécois continue de suivre l’évolution de ce « sentiment d’être isolé des autres ».

Consultez le sondage de l’INSPQ

Pourquoi mesurer le sentiment de solitude ?

Il est difficile de conclure que le sentiment de solitude est « en augmentation » au Québec ou dans le monde – les données sont difficiles à comparer. Chose certaine, il s’agit d’une préoccupation de plus en plus présente en santé publique. Dans la littérature scientifique, le sentiment de solitude a été comparé à la soif ou à la faim, dit Julie Lévesque. « C’est comme un signe d’inconfort, de mal-être. Si la solitude ou l’isolement se perpétue dans le temps, ça peut provoquer une augmentation de l’anxiété, du stress, une diminution de l’estime de soi. Ça peut engendrer une perte de motivation quant à la poursuite de ses études, ou du travail. Ça peut être associé à de la dépression, affecter le sommeil, augmenter la consommation de substances psychoactives. Ça peut être un facteur de risque de suicide, énumère Mme Lévesque. Bref, la liste est longue ! »

Selon l’Organisation mondiale de la santé, le manque de liens sociaux est un facteur de risque de mort précoce équivalent ou supérieur aux facteurs suivants :

  • Tabagisme
  • Abus d’alcool
  • Inactivité physique
  • Obésité
  • Pollution de l’air

De l’importance du voisinage

En colligeant les données disponibles en 2018, Julie Lévesque a été étonnée par certaines comparaisons avec le reste du Canada. Par exemple, celle montrant que les Québécois nouaient moins de liens avec leur voisinage que dans le reste du Canada. Mme Lévesque, qui a coordonné pendant quelques années des initiatives municipales pour promouvoir les relations de bon voisinage, y voit un exemple de l’effet pernicieux de la prévalence du sentiment de solitude sur l’ensemble de la société. « Connaître ses voisins devient notamment de plus en plus pertinent dans le contexte actuel où il y a des catastrophes naturelles, des épisodes de chaleur accablante, des inondations. » C’est notamment sur la base de ces observations que la Fête du voisinage (ou des voisins) a été relancée au Québec au début des années 2010.

Consultez la fiche « Confiance à l’égard du voisinage » de Statistique Canada

Une constante : les jeunes

Des analyses plus fines devront être menées pour tirer des conclusions. Mais déjà, quelques tendances se dessinent. Entre mai et décembre 2023, les jeunes Québécois de 18 à 24 ans étaient toujours les plus nombreux à ressentir de la solitude. « Les jeunes adultes vivent des transitions de 18 à 24 ans, ils vivent souvent des changements importants dans leur vie, par exemple, le départ du nid familial, la poursuite d’études, un déménagement, un emploi », dit Mme Lévesque. « Toutes ces transitions provoquent parfois des changements rapides qui modifient nos liens sociaux et engendrent un sentiment de solitude. » Il s’agit cependant d’un phénomène qui n’est ni nouveau ni exclusif au Québec.

Pas une question d’éducation ni d’argent

Les données récoltées jusqu’ici semblent aussi montrer que le niveau d’éducation n’a pas d’impact sur la prévalence de la solitude, pas plus que la situation financière. Qu’on soit riche ou pauvre, la proportion de personnes qui se disent esseulées est la même. Les Montréalais sont souvent plus nombreux que les autres à dire se sentir seuls, mais pas toujours : c’est l’Outaouais qui a compté le plus d’esseulés dans le sondage de décembre.

À deux, c’est mieux

Par contre, le nombre de personnes qui vivent ensemble sous un même toit est un indicateur. « Ce n’est pas parce qu’une personne vit seule qu’elle souffrira de solitude, nuance Mme Lévesque. Mais on sait que les gens qui vivent seuls sont plus susceptibles d’être isolés. » Paradoxalement, si la maisonnée compte plus de deux personnes, le sentiment de solitude va en augmentant. « Les gens sont étonnés de découvrir que, parfois, des personnes entourées se sentent seules. Mais ce n’est pas, par exemple, parce qu’une personne vit dans une résidence de personnes âgées où il y a beaucoup de monde que cette personne ne souffrira pas de relations sociales insatisfaisantes. »