Les institutions menacent la démocratie lorsqu’elles isolent délibérément les individus, comme dans le cas des postiers britanniques.

Mais des individus peuvent, eux aussi, menacer la démocratie dans leur quête d’appartenance si la société ne favorise pas suffisamment les liens sociaux. « Lorsque nous ne sentons pas que nous avons une place dans la société, nous allons chercher ce sens de l’appartenance ailleurs, dit la sociologue Kim Samuel. Et c’est ce qui peut entraîner les gens dans une mauvaise direction. »

Cette « mauvaise direction », c’est le « côté sombre du sentiment d’appartenance », décrit-elle dans son livre On Belonging : Finding Connection in an Age of Isolation, paru en 2022. « Nous sommes prêts à tout pour combler ce vide […], pour éviter d’être coincés seuls au fond du puits. » Ce besoin fondamental d’appartenance peut pousser une personne vers des comportements qui vont, paradoxalement, accentuer son isolement.

Comme l’adhésion à des idées ou des groupes radicaux. « L’isolement est un facteur de vulnérabilité important dans le processus de radicalisation », observe aussi Louis Audet Gosselin, directeur scientifique du Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence.

Si la société n’arrive pas à fournir ces sentiments d’appartenance, certains iront les chercher dans des mouvements extrémistes.

Louis Audet Gosselin, directeur scientifique du Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence

« Beaucoup de gens qui sont radicalisés, ou qui sont passés à l’acte violent, étaient déjà passablement isolés. Ils avaient coupé les ponts avec leur entourage ou vécu des difficultés dans leurs relations interpersonnelles, dit-il. Quand on cherche à comprendre leur parcours, on découvre qu’il y avait souvent déjà des fossés qui s’étaient creusés. La radicalisation vient sceller des ruptures avec l’entourage. »

« C’est un peu un paradoxe », poursuit M. Audet Gosselin. Une personne cherche un tissu social plus solidaire, plus serré, qu’elle aura le sentiment de trouver auprès d’une communauté… qui renforcera son isolement, en marge de la société. « On l’a vu avec les mouvements complotistes ou parmi les personnes qui s’étaient mobilisées contre les mesures sanitaires », dit-il.

La joie, le bonheur d’appartenir enfin à une communauté d’esprit est bien réel. « Par exemple, ce qui était frappant dans le convoi d’Ottawa, au-delà de toutes les tensions, c’était à quel point les participants étaient très heureux d’être là. C’était la première fois qu’ils participaient à un grand mouvement. Ils se sont fait des amis, ont noué des liens. »

La marge, l’exclusion, n’est pas nécessairement une fatalité. « Mais il faut être là pour accueillir ces moments de doute et proposer des portes de sortie, dit M. Audet Gosselin. Ça peut être simplement d’échanger avec la personne, de l’aider à trouver un emploi, de comprendre ses besoins et de voir comment on peut y répondre autrement que par des idées extrémistes. Des trucs très basiques, mais qui sont importants pour retrouver un sens à la vie. »