Non, non, non, les femmes ne retourneraient pas 60 ou 70 ans en arrière.

À cette époque pas si lointaine, une enseignante montréalaise était carrément forcée d’arrêter de travailler dès qu’elle avait un enfant. Ouste, à la maison ! Elle ne pouvait même pas utiliser comme bon lui semble l’argent qu’elle avait accumulé dans son propre compte de banque sans l’autorisation de son mari.

À la veille de la Journée internationale des droits des femmes, il faut dire merci à nos mères et nos grands-mères qui ont brassé la cage. Mais il faut aussi reconnaître qu’il reste du chemin à faire, malgré les pas de géant des dernières décennies.

Depuis 30 ans, le taux de participation des Canadiennes au marché du travail est passé de 76 % à 86 %, et même à 89 % au Québec, grâce à l’implantation des garderies subventionnées, un beau legs de l’ancienne première ministre Pauline Marois.

Sauf que l’écart salarial entre les hommes et les femmes persiste, même si les femmes sont plus scolarisées, constatent Florence Jean-Jacob et Kari Norman, économistes au Mouvement Desjardins qui publient ce jeudi une étude fort instructive sur la question.

Encore aujourd’hui, les Canadiennes gagnent 17 % de moins que les hommes, un écart nettement plus large que la moyenne des pays de l’OCDE (12 %). Ce n’est pas glorieux.

Environ le tiers de l’écart salarial est attribuable au choix de profession des femmes qui s’orientent dans des secteurs où la rémunération est plus faible, même si leurs meilleurs résultats scolaires leur ouvrent davantage de portes.

Mais le reste de l’écart dépend du fait qu’une femme gagne moins qu’un homme qui occupe le même poste, dans la même entreprise, à compétences égales. Tout ça parce que l’on confie aux hommes des tâches différentes.

Claudia Goldin, qui a remporté le prix Nobel d’économie en 2023, a décortiqué ce phénomène⁠1.

Selon elle, l’écart salarial est beaucoup plus large dans les secteurs qui exigent de faire de longues heures à des moments précis. Vous savez, ces bureaux d’avocats ou ces firmes de consultation qui vous envoient un dossier urgent un vendredi soir, vous obligeant à travailler jour et nuit toute la fin de semaine…

Dans ces milieux, le prix à payer pour avoir un horaire flexible est très élevé, ce qui est moins le cas dans des emplois où il est plus facile d’être remplacé lorsqu’on s’absente temporairement (par exemple celui de pharmacien).

La réduction des longues heures de travail et des heures atypiques pourrait donc grandement modifier les choix des femmes et les écarts salariaux sur le marché du travail, comme le souligne un récent ouvrage québécois sur le sujet⁠2.

Il est primordial de s’attaquer à cet enjeu, car la diversité est essentielle à notre prospérité. Avec le vieillissement de la population qui crée une rareté de main-d’œuvre chronique, il faut aller chercher le meilleur de ce que les femmes peuvent apporter au marché du travail.

La diversité de genre, c’est payant pour les entreprises et pour l’économie. Les études démontrent que la mixité favorise l’innovation, la productivité, la prise de décision, la qualité des services, alouette.

Voilà pourquoi de nombreuses entreprises ont mis en place des programmes pour favoriser l’équité, la diversité et l’inclusion (EDI). Il est regrettable que ces initiatives fassent l’objet d’un ressac, particulièrement aux États-Unis où une vague de poursuites intentées par des militants conservateurs a déferlé cette année⁠3.

Il reste pourtant fort à faire pour rendre le marché du travail plus égalitaire. Comment y arriver ?

1. Encourager les femmes à s’orienter vers les sciences, les technologies, le génie et les mathématiques. Seulement 16 % des Canadiennes ont un diplôme dans ces domaines, contre 41 % chez les hommes. Si la tendance se maintient, les femmes risquent de rater les occasions de l’économie verte et numérique. Et l’écart salarial pourrait même augmenter.

2. Compléter le réseau de garderies où il manque quelque 32 000 places. Devant la facture salée au privé, bien des mères restent à la maison pour s’occuper de leurs enfants, au détriment de leur carrière. La « taxe maternelle » coûte déjà cher aux femmes : l’arrivée d’un enfant creuse un fossé de revenu de 20 % et cet écart persiste tout au long de leur carrière.

3. Développer des soins à domicile de qualité pour les aînés afin qu’ils puissent vivre heureux dans leur maison sans épuiser les proches aidants… le plus souvent des femmes qui réduisent leur horaire de travail.

4. Réparer « l’échelon brisé » qui fait que les femmes n’obtiennent pas autant de promotions en début de carrière. Si on veut que les femmes brisent « le plafond de verre » et atteignent les plus hautes fonctions, il faut préparer la relève féminine en amont, avec du réseautage ou du mentorat, par exemple.

5. Favoriser l’entrepreneuriat au féminin, en luttant contre les biais inconscients qui peuvent nuire au financement. Une étude de la Havard Business Review démontre que 70 % des investisseurs en capital de risque – majoritairement des hommes – préfèrent les argumentaires présentés par des hommes… même s’ils sont identiques à ceux soumis par des femmes.

6. Mais on n’arrivera nulle part si on n’offre pas davantage de flexibilité pour permettre aux femmes une meilleure conciliation travail-famille. Mais attention : le télétravail est une arme à double tranchant. D’un côté, elle permet aux femmes de combiner les tâches. De l’autre, elle les garde à la maison, loin des discussions informelles et des cercles d’influence. Là aussi, il y a un risque de recul.

1. Consultez l’étude de Claudia Goldin (en anglais) 2. Consultez l’étude « La sous-scolarisation des hommes et le choix de profession des femmes » 3. Lisez « DEI backlash has companies quietly changing their programs to avoid wave of lawsuits alleging discrimination » (en anglais)