La retraite ? Pas question ! À 81 ans, le président américain Joe Biden se bat pour conserver le poste le plus exigeant de la planète. À 89 ans, le créateur italien Giorgio Armani n’a aucune intention de céder les rênes de son empire de la mode. Et à 93 ans, le légendaire investisseur Warren Buffett gère toujours avec brio son entreprise de 870 milliards US.

Et vous ? Gageons que vous n’avez pas envie de travailler jusqu’à votre dernier souffle, ce qui est fort légitime. Mais la planification de la retraite reste un grand défi, un peu comme l’ascension d’une montagne.

Toute notre carrière, on grimpe en amassant de l’argent dans notre sac à dos pour la retraite. Une fois au sommet, on espère avoir assez d’économies pour redescendre sur l’autre versant de la montagne.

Depuis une quinzaine d’années, les gouvernements ont déployé beaucoup d’efforts pour ouvrir la route qui mène en haut de cette montagne, notamment avec la création du CELI ou les améliorations au Régime de rentes du Québec (RRQ).

Le hic, c’est qu’une fois au sommet de la montagne, beaucoup de retraités sont abandonnés à leur sort. Pas de guide. Pas de sentier. Difficile de savoir si leur sac à dos est assez rempli ou combien de temps la descente va durer.

Ça donne le vertige.

L’enjeu est de taille. D’ici 20 ans, la population âgée de 75 ans et plus aura plus que doublé. Et les aînés de demain n’auront pas droit à une rente garantie par leur employeur jusqu’à la fin de leurs jours. Dans le secteur privé, seulement 1 employé sur 10 peut encore compter sur ce type de régime à « prestations déterminées »1.

Et les autres ? Beaucoup ne participent à aucun régime de retraite, selon Retraite Québec2. En fait, 41 % des Québécois qui gagnent entre 30 000 et 50 000 $ ne se sont pas constitué d’épargne-retraite. Et parmi ceux qui épargnent, certains ne font que des cotisations modestes. À ce rythme, ils devront réduire considérablement leur niveau de vie à la retraite.

Même ceux qui accumulent de l’argent dans un régime à « cotisations déterminées » avec leur employeur ou dans un REER ne sont pas sortis du bois. Une fois à la retraite, ils doivent se débrouiller seuls, avec tous les risques que cela comporte.

Des risques d’erreur de gestion ou de fraude, surtout quand les capacités cognitives diminuent. Des risques de décaisser trop vite ses épargnes en sous-estimant son espérance de vie (saviez-vous qu’une femme de 60 ans a une chance sur quatre de vivre jusqu’à 96 ans ?). Ou, à l’inverse, des risques de se priver de dépenser outre mesure, de crainte de manquer d’argent plus tard.

Ce n’est pas seulement un problème de finances personnelles, c’est aussi un enjeu de finances publiques. On parle de gros sous : les Canadiens ont accumulé 1500 milliards de dollars dans des REER et d’autres régimes d’accumulation3.

Il est temps que les gouvernements balisent davantage l’étape cruciale du décaissement de ces actifs de retraite. Comme société, nous avons le devoir de trouver des solutions dès maintenant, pour ne pas laisser les futurs retraités vivre dans le stress financier.

Pas besoin de réinventer la roue. Un modèle a déjà fait ses preuves à l’Université de Colombie-Britannique. Depuis plus de 50 ans, le régime de retraite permet d’acheter une rente viagère à paiement variable (RVPV)4, aussi connue sous le vocable moins rébarbatif de « rente dynamique ».

À la retraite, l’employé peut utiliser l’argent qu’il a accumulé dans son régime pour se procurer une rente qui lui sera versée sa vie durant. Le montant n’est pas coulé dans le béton : le paiement fluctue en fonction de l’espérance de vie du groupe et des rendements obtenus. Mais grâce à cette mise en commun, les frais de gestion sont très faibles, ce qui maximise l’argent qui se retrouve dans les poches des retraités.

Plus souple qu’une rente conventionnelle. Moins volatile que des placements qu’on gère soi-même. La rente dynamique est un heureux compromis qui mérite d’être élargi à l’ensemble du pays pour aider les retraités à décaisser leur régime de retraite et même leur REER, à l’image de l’Australie qui vient d’adopter un principe semblable à large échelle.

Au Québec, des changements réglementaires sont en cours. On espère que le fruit sera mûr en 2024. Mais si on ne veut pas que le produit reste sur les tablettes, il faudra s’assurer de bien le faire connaître. Là est le plus grand défi.

Même chose pour le report des rentes gouvernementales, un outil qui existe déjà, mais qui reste sous-utilisé. Plus on attend, plus c’est payant. Par exemple, en demandant les rentes à 70 ans, au lieu de l’âge normal de 65 ans, on obtient 42 % de plus du RRQ et 36 % de plus de la Sécurité de la vieillesse (PSV).

Il est essentiel de mieux informer les retraités sur les avantages de reporter leur rente, quitte à utiliser leurs épargnes personnelles pour vivre durant les premières années de leur retraite, afin de se procurer une paix d’esprit pour leurs vieux jours. Une rente bonifiée. Garantie à 100 % par l’État. Pleinement indexée. Ça vaut de l’or, non ?

Les efforts de Retraite Québec en ce sens semblent déjà porter leurs fruits, puisque les Québécois ont demandé leur rente à 62,7 ans en 2023, presque un an plus tard qu’en 2020 (61,9 ans).

À ceux qui hésitent, on pourrait même offrir de couper la poire en deux. En prendre une moitié du RRQ plus vite et l’autre plus tard. Une approche graduelle pourrait être moins déchirante qu’un choix binaire.

Une autre idée à explorer pour aider les retraités à redescendre la montagne. Sans vertige ni dérapage.

1. Lisez « Running out of time : an urgent call to fortify Canada’s private retirement pillars » (en anglais) 2. Lisez la consultation publique sur le Régime de rentes du Québec 3. Lisez « Affordable Lifetime Pension Income for a Better Tomorrow » (en anglais) 4. Consultez le site de l’Université de Colombie-Britannique (en anglais)