C’est un affreux paradoxe qui montre à quel point le Québec fait fausse route face à l’immense défi du vieillissement de la population.

D’une part, une centaine de personnes âgées seront bientôt éjectées de leur logement à cause de la fermeture de la résidence du Jardin botanique à Montréal. Mais d’autre part, la Maison des aînés qui vient d’être construite à Magog reste complètement vide.

À travers le Québec, 77 résidences privées pour aînées (RPA) ont fermé leurs portes en 2023, effaçant 2700 places, selon une compilation de La Presse⁠1. Mais pendant ce temps, presque un millier de places sont inoccupées dans des Maisons des aînés flambant neuves, construites au gros prix.

Partout, c’est le même défi : il manque de monde pour offrir les soins. Et les prix des services explosent. Certaines RPA font grimper la facture jusqu’à 111 000 $ par année. Mais qui a assez d’argent pour payer ça ?

Pour stopper les fermetures de RPA, la ministre responsable des Aînés, Sonia Bélanger, vient d’annoncer des subventions de 200 millions qui permettront de financer les services de santé dans les petites résidences privées. Tant mieux si cela évite à d’autres locataires de se faire jeter dehors à 97 ans. Mais il faudra bien plus que cette réaction à la hâte pour régler les problèmes.

Un changement de paradigme est nécessaire.

Au lieu de dépenser de l’argent à la pelle dans la brique et le béton pour construire des Maisons des aînés, il faut prendre un grand virage vers les soins à domicile qui permettra à la population de vieillir chez elle. C’est ce que la très vaste majorité des gens souhaitent, à moins d’avoir une incapacité lourde. Et ça coûte beaucoup moins cher.

Mais pour l’instant, les soins à domicile sont le parent pauvre de la santé, la cinquième roue de la charrette d’un système hospitalo-centriste.

Alors que les résidants des CHSLD reçoivent 99 % des soins requis, ceux qui vivent dans leur maison ou dans une résidence privée obtiennent à peine 10 % des heures de services nécessaires, selon la commissaire à la santé, Joanne Castonguay, qui présentait un rapport très sévère, la semaine dernière⁠2.

Si vous pensez que ça va mal maintenant, attendez de voir tout à l’heure ! Le pire est à venir. D’ici 2040, le nombre de personnes qui auront besoin de soins de longue durée va augmenter de 70 %.

Pour répondre à la demande, la commissaire estime qu’il faudrait construire 2500 places en Maisons des aînés, chaque année, d’ici 2040. Chaque année ! C’est irréaliste.

Songez seulement que la Coalition avenir Québec, qui avait promis la construction de 46 Maisons des aînés dotées de 2600 places en 2018, n’en a livré que 26 depuis six ans, comptant 2040 places, selon la Société québécoise des infrastructures.

Or, seulement 1060 résidants y sont installés à ce jour, selon le ministère de la Santé et des Services sociaux. Cela laisse donc 980 places vacantes. Évidemment, il faut laisser le temps aux maisons fraîchement livrées d’aménager les lieux et de recruter le personnel. Mais ça reste long.

Quand les délais s’étirent, les coûts grimpent. La facture, qui devait s’élever à 1 milliard de dollars au départ, se chiffrait à 2,8 milliards au printemps 2022, date de la dernière estimation disponible. Si vous comptez bien, ça fait plus de 1 million de dollars par place, un montant qui fait sourciller.

Imaginez s’il fallait en construire 2500 par année ! Ce n’est pas raisonnable. Surtout pendant que les soins à domicile restent sous-développés. C’est comme s’acheter une Porsche quand on a de la misère à rouler à bicyclette.

Il est vrai que Québec s’est aussi engagé à développer les soins à domicile. En cinq ans, le budget a grimpé de 72 %, pour atteindre 3,2 milliards en 2020-2021. Mais les résultats n’ont pas été à la hauteur.

Le système reste complexe et peu performant. Les services sont éparpillés et difficiles d’accès. L’équité n’est pas au rendez-vous (p. ex. : 85 % des sommes versées en crédit d’impôt sont dirigées vers les RPA qui n’hébergent que 31 % de la clientèle potentielle).

Il faut un plan. Un vrai. La nouvelle agence Santé Québec doit en faire une priorité. Elle devrait s’inspirer du Danemark qui consacre aux soins à domicile presque les trois quarts de son budget de soins de longue durée, contre environ le tiers au Québec.

Mais l’idée n’est pas de tout centraliser à l’agence. Au contraire. C’est en décentralisant les services qu’on parviendra à motiver les travailleurs et à recruter de nouveaux employés. Mais encore faut-il confier à des unités régionales comme les CLSC le mandat de mieux coordonner les services, au lieu de laisser tout le monde agir en vase clos, comme à l’heure actuelle.

Vieillir n’est pas une maladie. Prenons tous les moyens pour prolonger l’autonomie des aînés. Pour les garder actifs. Pour qu’ils soient partie prenante de leur communauté. Tout ça garde en santé.

Abandonner les aînés n’est pas digne d’une société avancée comme la nôtre.

1. Lisez le dossier « Résidences pour aînés : la vague d’évictions se poursuit » 2. Consultez le rapport Bien vieillir chez soi – tome 4 : une transformation qui s’impose

La position de La Presse

Au lieu de pelleter de l’argent dans la brique et le béton, il faut miser davantage sur les soins à domicile. C’est la meilleure option sur le plan financier et ça correspond au souhait de la vaste majorité des aînés qui veulent rester chez eux.