Tout ça pour ça ! Malgré des augmentations de salaire substantielles, beaucoup de professeurs déchantent. Certains syndicats ont carrément rejeté l’entente de principe (à Laval, dans Lanaudière), tandis que d’autres l’ont acceptée de justesse (à Montréal, en Estrie).

Même si l’entente finit par être acceptée, ce qui nécessite l’appui d’une majorité de syndicats et d’une majorité de membres, ces résultats déchirants n’augurent rien de bon pour la suite des choses.

Les enseignantes espéraient que la grève permettrait d’accoucher d’une véritable solution pour la prise en charge des nombreux élèves en difficulté, ce qu’on appelle la « composition de la classe ».

Il était illusoire de croire qu’on réglerait dans ces négociations tous les maux de l’école qui exigent une réflexion dépassant le cadre du renouvellement d’un contrat de travail.

Reste que le gouvernement a envoyé un très mauvais signal en offrant une prime de 4000 $ ou 8000 $ aux enseignantes qui ont plus de 60 % d’enfants en difficulté dans leur classe au primaire ou 50 % au secondaire.

Voyons donc ! La moitié de la classe en difficulté ! Ce n’est pas une prime qui rendra une telle situation plus acceptable. Ni pour les enseignantes ni pour les jeunes. Voilà la recette de l’épuisement professionnel et du décrochage scolaire.

Et ça risque de pousser le surdiagnostic, alors que le nombre d’élèves en difficulté a déjà explosé de 103 000 en 2000 à 258 000 aujourd’hui.

Ces primes sont comme un diachylon sur une fracture ouverte.

La solution est ailleurs. Où ? Partout, à travers le Québec, il y a des écoles qui font des miracles avec les élèves en difficulté. Ce sont des modèles à suivre, à multiplier.

C’est le cas de l’école Vanguard, à Saint-Laurent, qui accueille 1200 élèves avec des troubles importants, au primaire et au secondaire.

Les parents vous diront qu’ils ont vu leur enfant « revivre » depuis qu’ils fréquentent l’établissement qui cultive leurs forces, alors qu’on les avait toujours définis en fonction de leurs faiblesses. Finie l’intimidation. Bonjour, les ressources adaptées. L’enfant retrouve confiance et motivation.

Les résultats sont impressionnants : un taux de réussite de 96 % à la fin du secondaire. Tout ça avec le même budget que le public. À titre d’école « privée d’intérêt public », Vanguard est entièrement financée par l’État et elle se débrouille avec le même montant qu’un centre de services scolaire recevrait si le même élève fréquentait l’école de quartier.

Comment est-ce possible ? Au lieu d’éparpiller les rares ressources parmi les écoles, on concentre les spécialistes-orthophonistes, psychologues, éducatrices spécialisées, psychoéducatrices, travailleuses sociales, etc. – qui agissent en complémentarité – sous le même toit.

Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, cette centralisation dans des écoles et des classes spécialisées est une bonne façon d’alléger la composition des classes ordinaires, tout en offrant aux jeunes l’aide qui colle à leurs besoins.

Le centre de services scolaires Marguerite-Bourgeoys, qui sert plus de 70 000 élèves dans l’ouest de Montréal, a une autre approche pour pallier le manque de personnel spécialisé.

Il a développé des partenariats avec les centres de pédiatrie sociale dans la communauté, les bibliothèques, le réseau de la santé et les chercheurs universitaires pour répondre aux défis de sa clientèle qui provient de 156 pays et dont les deux tiers n’ont pas le français comme langue maternelle.

Ces précieuses ressources viennent à l’école former les enseignantes qui prennent parfois de l’avance en suivant une formation volontaire, dès la mi-août, afin de mieux répondre aux besoins particuliers des jeunes qu’ils auront dans leur classe à la rentrée.

Tous ces efforts portent leurs fruits : le taux de diplomation et de qualification de ses jeunes atteint 90,9 %, neuf points au-dessus de la moyenne provinciale du réseau public. Ses élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (HDAA) réussissent à 76 %, 14 points au-dessus de la moyenne provinciale.

Il y a de quoi être fier.

Mais pour alléger le réseau public, il faut que le privé, qui compte seulement 19 % d’élèves HDAA au secondaire, apporte sa juste contribution en accueillant la même proportion qu’au public, soit 33 %.

L’école secondaire Nouvelle-Frontière, à Gatineau, y arrive. Le tiers de ses 1050 élèves ont des plans d’intervention et leur taux de diplomation dépasse 97 %, notamment grâce à des orthopédagogues qui épaulent les enseignants.

Pour les jeunes qui éprouvent davantage de difficultés, l’établissement a même créé le programme Victoria, qui regroupe 20 élèves dans une même classe. En leur apprenant des stratégies pour mieux s’organiser et gérer leur impulsivité, on leur permet de réintégrer les groupes ordinaires après deux ans. Dans la première cohorte qui vient de terminer sa 5secondaire, aucun élève n’a échoué.

Chapeau !

Tous ces exemples prouvent que c’est en innovant qu’on parviendra à résoudre l’enjeu de la « composition de la classe ».

Le Québec est mûr pour une réforme en profondeur de l’adaptation scolaire. Le ministre de l’Éducation doit s’y engager rapidement s’il veut regagner la confiance des enseignantes et s’assurer que les jeunes obtiennent l’accompagnement essentiel à leur réussite.

Une recension de la recherche sur les meilleures pratiques en adaptation scolaire et sur les modèles à succès, ici comme ailleurs, devrait figurer en haut de la liste de priorités du nouvel Institut d’excellence en éducation qui verra le jour en 2024.

Il est temps de penser l’éducation autrement, en s’appuyant sur des données probantes. Ce n’est pas en perfectionnant le cheval qu’on a inventé l’avion, aimait répéter en conférences le pionnier des écoles alternatives Charles Caouette.

Nos jeunes ont besoin d’un avion. Pas d’un cheval.