Une « désillusion », une « défaite », de la déception et de la colère : après avoir pris connaissance de l’entente de principe conclue entre leur syndicat et Québec, des profs de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) vivent des lendemains de grève difficiles.

Ce qu’il faut savoir

  • L’entente de principe conclue entre la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) et le gouvernement est présentée ces jours-ci aux membres du syndicat d’enseignants.
  • Plusieurs déplorent que l’enjeu central de cette négociation, la composition de la classe, ne soit pas réglé par cette entente.
  • Les 66 500 enseignants de la FAE ont été en grève générale illimitée pendant 22 jours. En comparaison, ceux qui étaient représentés par le Front commun ont tenu huit jours de grève.

« Je suis très déçu. »

Orthopédagogue dans une école secondaire de Montréal, Martin Verrette travaille auprès d’élèves qui ont des difficultés d’apprentissage.

Jeudi dernier, il a pris connaissance de l’entente de principe conclue par son syndicat au terme de plus d’un mois de grève. Pour que les profs puissent souffler, cette entente prévoit des « mesures d’atténuation » qui sont mises en place selon le nombre de plans d’intervention qui sont faits pour les jeunes en difficulté.

PHOTO FOURNIE PAR MARTIN VERRETTE

Martin Verrette, orthopédagogue

Au primaire, quand 60 % des élèves d’une cohorte ont un tel plan, de l’aide est prévue, par exemple par l’ouverture de classes. Au secondaire, ce seuil est fixé à 50 %.

« Je suis orthopédagogue : c’est moi qui les fais, les plans d’intervention. Ça va surcharger mon travail, et je ne serai pas capable de faire de service à l’élève pendant cette période-là », dit M. Verrette, qui s’attend à réaliser le double ou le triple de ces plans.

L’entente de principe prévoit qu’au secondaire, des techniciens en éducation spécialisée soient embauchés quand trop d’élèves sont en difficulté. Au primaire, il est aussi prévu que des primes soient versées aux enseignants s’il est impossible d’ouvrir de nouvelles classes, par exemple.

Je voulais être en mesure de faire mon travail comme il faut. Ce qu’on me dit, c’est : continue de travailler trop fort et tout croche pour réussir à aider des élèves, mais t’en fais pas, on va te donner 4000 $ à la fin de l’année.

Martin Verrette, orthopédagogue

Sa déception, dit celui qui compte 12 ans d’expérience, est partagée par la plupart de ses collègues.

L’enseignante au primaire Marisa Thibault en a aussi contre cette mesure négociée par son syndicat.

« Au niveau de la composition de la classe, cette formule-là, c’est n’importe quoi », dit l’enseignante.

« Un déclenchement à 60 %, ça ne peut pas être viable ! dit Mme Thibault. C’est ridicule. Tu acceptes qu’il n’y ait que 40 % des élèves qui sont réguliers ? »

Dans sa classe de 5année du primaire, actuellement, 12 élèves sur 20 sont en échec.

« Ma moyenne en français, c’est 54 %. J’en ai qui n’ont même pas les acquis de 3année. Ça n’a pas de sens », dit la prof, qui aurait souhaité l’ouverture de classes spéciales.

Elle se dit « déçue, fâchée, de plus en plus prête à quitter l’enseignement rapidement ».

Comme l’orthopédagogue Martin Verrette, elle fait le calcul qu’une fois divisés entre les nombreuses écoles où enseignent les membres de la FAE, les millions mis sur la table par Québec seront dilués au possible.

Le gouvernement Legault montré du doigt

Les 66 500 enseignants de la FAE ont été en grève pendant 22 jours, sans revenu. Marisa Thibault était en faveur de la grève générale illimitée, mais pense maintenant qu’il aurait fallu y aller « plus doucement ».

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Manifestation d’enseignants affiliés à la FAE dans les rues de Montréal, le 22 décembre dernier

« On avait confiance en nos négociateurs et j’ai peur qu’on ne voie plus jamais un mouvement aussi important pour l’école publique », dit l’enseignante, qui entend voter contre cette entente de principe.

« Est-ce que l’entente va être acceptée ? Peut-être, mais je peux vous dire que sur le terrain, on est très déçus », poursuit Mme Thibault.

C’est aussi l’avis d’une enseignante d’histoire de Montréal qui a préféré ne pas être nommée.

À son école secondaire, dit-elle, on ne parle que de ça. Ses collègues voient l’entente comme « une défaite ».

« On est allés au front et on s’est fait avoir », dit l’enseignante, qui parle de « désillusion ».

Elle refuse néanmoins de jeter la pierre à la FAE.

« Le syndicat a fait ce qu’il pouvait avec les conditions que le gouvernement lui a données. Le gouvernement a voulu jouer au bras de fer et j’ai peur qu’on remette en doute la crédibilité de la FAE », dit l’enseignante, qui estime néanmoins qu’il faudra que le syndicat rende des comptes sur sa stratégie d’aller en grève générale illimitée.

« Déconnecté » de la réalité

L’orthopédagogue Martin Verrette se dit pour sa part « mi-figue, mi-raisin ».

« On s’était fait dire que l’objectif, c’était d’améliorer la composition de la classe et que c’était le point numéro un dans notre négociation, et on vient nous présenter quelque chose qui ne correspond pas à ça », dit M. Verrette, qui estime néanmoins que la grève générale illimitée était nécessaire.

Il ajoute que si l’éducation était aussi importante pour le gouvernement Legault qu’il ne le dit, « ça n’aurait pas duré un mois ».

Le ministère de l’Éducation est « déconnecté » de la réalité du terrain, dit-il.

On ne comprend pas que pour réussir à avoir une composition de classe adéquate, il faut augmenter le nombre de classes d’accueil, de classes d’adaptation scolaire, pour améliorer le service aux élèves en difficulté. On va pouvoir les réintégrer plus tard.

Martin Verrette, orthopédagogue

Actuellement, « on oblige [les élèves] à vivre de l’échec jusqu’à ce qu’ils lâchent l’école ».

C’est dès mercredi et jusqu’au 25 janvier que les syndicats affiliés à la FAE tiendront des assemblées générales pour se prononcer sur l’entente de principe.

Le syndicat a recommandé l’adoption de cette entente, estimant qu’elle « contient des particularités qui répondent aux priorités de négociation identifiées par les membres ».