Ce n’est que le 7 février prochain qu’on saura si l’entente conclue par la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) sera entérinée par les membres. Les membres de la FAE sont nombreux à dire bruyamment leur grogne face à cette entente.

Est-ce que cette grogne bruyamment exprimée signifie que l’offre du gouvernement sera rejetée ? Répondre à cette question est l’équivalent de prétendre voir l’avenir dans des entrailles de poisson.

Ce qui est clair : la grogne des profs ne s’articule pas autour du cash, elle est focalisée sur la « composition de la classe », ce concept qui s’est imprimé dans les consciences avec la grève automnale en éducation.

La composition de la classe au Québec est souvent très lourde : si vous avez un noyau dur d’élèves en difficulté dans votre classe, l’enseignement y devient extrêmement compliqué et exténuant. C’est dénoncé par les profs depuis des années. D’où la « composition de la classe » comme enjeu clé des négos profs-gouvernement.

Il est manifeste que plusieurs profs sont archidéçus des « gains » sur la composition de la classe. Ça explique en partie pourquoi trois syndicats affiliés (sur neuf) ont recommandé à leurs membres de rejeter l’entente (deux recommandent de l’accepter).

Mercredi, mon camarade Paul Journet1 a bien décortiqué les ententes entre l’État et les deux grands syndicats de l’enseignement, la FAE et la FSE-CSQ. Paul explique les différences de « mécanismes » quant à la façon de gérer les élèves en difficulté, dans les ententes conclues par les deux syndicats.

Je le cite : « La FAE exigeait de créer de nouvelles classes. Cela requérait des enseignantes qui n’existaient tout simplement pas. »

Donc, pour la FAE, les enseignantes pourront toucher une prime oscillant entre 4000 $ et 8000 $ si leur classe croule sous les « P. I. », les élèves à plans d’intervention. Sur le papier, les montants sont attrayants. Dans le réel, ce n’est pas une question d’argent : ajouter chaque semaine de 75 $ à 150 $ brut à la paie d’une prof à boutte ne va pas lui faciliter la tâche.

L’idée de répartir la tâche entre un nombre plus grand d’enseignantes – en ajoutant des classes, spéciales ou régulières – est en effet une solution… Si on a des enseignantes. Et de l’espace dans des écoles souvent vétustes.

C’est d’ailleurs une critique face aux syndicats de l’enseignement qui revenait souvent dans mes messageries, pendant l’automne turbulent dont on vient de sortir : Le gouvernement ne peut toujours bien pas cloner des enseignantes !

C’est tout à fait vrai, mais on ne peut pas reprocher à un syndicat d’essayer d’imposer une solution viable dans des négociations avec le patron, en l’occurrence le gouvernement.

À la mi-décembre, j’expliquais ma crainte dans La Presse sur des négos déchirantes qui n’auraient pas d’effet dans le réel, dans les classes2.

Un mois plus tard, ce qui m’apparaît clair, c’est que les maux de l’école moderne n’auront pas été réglés par cette négociation.

On verra comment, dans le réel, certaines mesures d’aide offertes par l’État vont se déployer. La question des « aides à la classe » est intéressante pour certains profs, moins pour d’autres. On jugera l’arbre à ses fruits, comme on dit.

Mais le mal principal demeure le même : l’écrémage des élèves de l’école publique par la concurrence des programmes particuliers (au public) et de l’école privée fait en sorte que les élèves en difficulté sont surreprésentés dans les classes dites « régulières » au public.

Cela finit par épuiser les profs qui doivent apporter beaucoup d’attention au noyau dur d’élèves en difficulté… aux dépens des élèves réguliers. Inquiets, les parents de ces élèves négligés décideront, s’ils en ont les moyens, d’envoyer leurs enfants au privé…

C’est un cercle vicieux sans fin.

Vous aurez beau payer les profs 150 000 $ par année, si elles se sentent submergées et abandonnées, elles ne seront pas plus heureuses. Elles ne se sentiront pas moins épuisées.

Un mot sur la CAQ et l’éducation.

La CAQ est au pouvoir depuis 2018. Elle a hérité d’un réseau scolaire mal-aimé, négligé par des décennies de reculs et de compressions déguisées sous des slogans comme « austérité » et « déficit zéro ».

Un exemple de compression : les commissions scolaires ne pouvaient pas mettre des profs à pied. Quand il fallait couper quelques millions, où coupaient-elles ? Chez celles qu’on pouvait sacrer dehors, comme les psychologues, les orthopédagogues, les orthophonistes.

Aujourd’hui, l’État veut ramener ces professionnelles dans les écoles, pour appuyer les profs. Devinez quoi ? Elles ont découvert qu’elles peuvent très bien pratiquer au privé, sans se faire suer au public…

Un exemple de recul, maintenant : la réforme de l’éducation amorcée par les péquistes et scellée par les libéraux, un effort de sorcellerie complètement fou qui a fait mal à l’école pendant des années.

La CAQ a hérité de ces maux, elle ne les a pas créés. Elle a ses torts, notamment sur cette stupide réforme qui a aboli les commissions scolaires… Pour les transformer en centres de services scolaires qui font exactement ce que faisaient les commissions scolaires.

La leçon ?

Quand on néglige un système pendant des années, il faut des années pour le remettre sur le droit chemin…

Si on y parvient.

Le système scolaire, lui, toujours rusé, va continuer à faire ce qu’il fait depuis des années pour masquer ses ratés : il va continuer à forcer les écoles à faire « passer » tous les élèves au prochain niveau.

Ça va donner des élèves de secondaire III qui n’ont pas réussi leurs maths depuis la 4e ou la 5e année, ça va donner des cégépiens qui ne maîtrisent pas le français3 et qui ont de la misère à comprendre un texte modérément complexe4. Ça va aussi donner des directrices d’école qui écrivent des messages pleins de fautes aux parents5

Et quand une enseignante osera dénoncer ce nivellement par le bas, on va la congédier6.

Bref, du primaire au cégep et même à l’université, les profs vont continuer à subtilement baisser la barre, incités en cela par le système : On ne peut pas faire couler tout le monde, quand même !

Ça, ça ne changera pas, qu’importe le résultat des votes des syndiqués sur les ententes collectives en éducation.

1. Lisez la chronique de Paul Journet « Ce que disent les ententes de la FSE et de la FAE » 2. Lisez la chronique de Patrick Lagacé « Pour l’école, je suis inquiet » 3. Lisez l’article « “Urgent d’agir” » pour améliorer la maîtrise du français au collégial », sur le site de Radio-Canada 4. Lisez l’article « Les lacunes des cégépiens en français soulèvent l’inquiétude des enseignants », sur le site du Devoir 5. Lisez la chronique de Patrick Lagacé « Pour chaque achat effectuez (sic)… » 6. Lisez la chronique de Patrick Lagacé « Congédier la messagère »