Évidemment que la pandémie a exposé toutes sortes de failles dans l’organisation de la société. Prenez les hôpitaux : ça fait 30 ans qu’ils craquent de partout par manque d’organisation, de ressources et de considération pour les employés… 

La COVID-19 a exposé les failles de nos hôpitaux, les poussant au bord du gouffre, nous forçant à d’immenses sacrifices.

Donc, oui, la pandémie a exposé des failles. Je veux bien. Mais des fois, je trouve que la pandémie a le dos large comme la toile du Stade olympique.

Prenez la sortie d’un syndicat de profs de cégep1, lundi. Je cite le président de la Fédération de l’enseignement collégial (FEC-CSQ), Youri Blanchet : « On sent une baisse de qualité du métier d’étudiant. »

Effet pervers de la pandémie, selon le syndicat, les cégépiens auraient de la misère à étudier, à faire des recherches, à être attentifs en classe, à prendre des notes… 

Euh, permettez un bémol gros comme la Lune : y a rien de nouveau là-dedans.

Ça fait des années que des profs de tous les niveaux – du primaire à l’université – constatent que les jeunes Québécois ont par exemple de la difficulté à écrire et à lire. La base, tsé…

Ça fait des années que j’écris ponctuellement sur l’école, depuis bien avant la pandémie. Et je ne sais plus combien de fois j’ai écrit2 sur le phénomène du maquillage des notes3, pour faire « passer » des élèves4.

Qu’une prof arrondisse à 60 % la note d’une élève qui a eu 55 % dans une matière l’année où son père s’est suicidé, c’est une chose. Ça appartient à la prof, je n’ai pas de problème avec ça…

Mais que des directions d’école exercent de la pression sur des profs pour faire passer des élèves pour que ça n’ait pas trop l’air fou dans le fichier Excel de la commission sc… – pardon, du centre-de-services-scolaire –, ça, c’est autre chose. Et ça fait des années que ça existe, et ça existe encore, même si c’est officiellement interdit.

Ça arrange tout le monde, de maquiller les notes.

D’abord, ça arrange le centre de services scolaire. Il ne se fera pas emmerder par le ministère de l’Éducation du Québec, si ses taux de « réussite » sont comparables à ceux du centre de services scolaire voisin.

Ensuite, ça arrange les directions d’école : si le nombre d’élèves qui échouent est réduit au minimum avec un maximum de rouge à lèvres, elles ne se feront pas emmerder par le centre de services scolaire.

Ça arrange aussi un peu les profs – pas tous, il y en a qui se battent – parce qu’en gonflant les notes, ils ne se font pas emmerder par des parents de plus en plus quérulents… 

Cette pression pour maquiller les notes, ce n’est pas un secret dans le milieu de l’éducation. Ça donne un portrait artificiel de la « réussite » scolaire.

Dans le réel, ça donne quoi ?

Ça donne une École qui remet des diplômes à des analphabètes fonctionnels. Des jeunes qui savent lire, mais qui ne savent rien lire de trop compliqué.

Et des fois, ils arrivent au cégep. Pourquoi ? Parce que les cégeps et les universités se financent en grande partie avec les admissions et que si on n’admettait que des élèves qui savent bien lire, écrire et compter, eh bien, je vous le donne en mille : on fermerait la moitié des cégeps et universités de la province… 

Fin 2018, une enseignante de la couronne nord m’a accordé une entrevue extraordinaire5, où elle a montré combien le roi est nu, dans nos écoles. Je dis que l’entrevue était « extraordinaire », non pas parce que Kathya Dufault a expliqué comment on fabrique la saucisse de la sous-scolarisation des diplômés, mais parce qu’elle l’a fait à visage découvert. Son nom, son visage, dans La Presse.

Elle enseignait le français en deuxième secondaire. Elle m’avait montré la liste détaillant le dernier niveau réussi, en français, par certains de ses 30 élèves…

Certains n’avaient pas réussi un cours de français depuis la sixième année, depuis la cinquième année, depuis la quatrième année…

Et dans un cas : depuis la troisième année.

Comment se sont-ils ramassés en deuxième secondaire ?

Je vous l’ai expliqué, plus haut : ça arrange tout le monde de « faire passer » la majorité de ceux qui ne devraient pas passer. Ça évite les emmerdes.

Eh bien, un jour, ces élèves qui échouent, ils « réussissent » jusqu’au prochain niveau, jusqu’au cégep. Et si je fais le calcul, les élèves carencés de deuxième secondaire de Mme Dufault en 2018, ils sont rendus où, en 2022 ? Eh oui, certains arrivent probablement au cégep ces jours-ci… 

Diplômés du secondaire ? Oui.

Un peu illettrés ? Oui.

Trois devinettes, en terminant.

Première devinette – Qu’est-ce qui cloche dans cette phrase : « Pour chaque achat effectuez… » ?

Réponse : il faut écrire « effectué », bien sûr. Pas « effectuez ». On apprend ça en troisième année. La base, tsé.

Deuxième devinette – Qui a écrit cette phrase ?

Réponse : la directrice d’une école primaire de Montréal, le 29 juin dernier, dans une lettre envoyée aux parents. Ce n’était pas la seule erreur. C’était la plus grossière.

Troisième devinette – Qu’est-il arrivé à Kathya Dufault, après qu’elle a expliqué à La Presse les rouages de la diplomation d’analphabètes fonctionnels dans nos écoles ?

Réponse : elle a été congédiée par la commission scolaire de la Seigneurie-des-Mille-Îles6. Parmi les motifs invoqués par la commission scolaire, à l’époque : elle aurait « miné le lien de confiance des parents envers l’école publique… ».

C’est pas parce qu’on rit que c’est drôle, comme disait l’autre.

1. Lisez le texte de Marie-Eve Morasse 2. Lisez « Si l’école était importante (13) » 3. Lisez « Si l’école était importante (14) » 4. Lisez « Maquillages » 5. Lisez « Le jour où Kathya Dufault a craqué » 6. Lisez « Congédier la messagère »