Le gouvernement et les syndicats de l’enseignement sont au cœur d’un sprint de négociations décrit comme crucial. Y aura-t-il, ou pas, une entente avant Noël ?

Je sais, la question se pose pour tous les syndicats. La question se pose pour les Québécois : nous sommes tous tannés.

La question de l’école se pose autrement. Des médecins pédiatres réclament le retour immédiat des enfants à l’école, cette semaine, au nom de leur progression scolaire et de leur bien-être général1. Ils soulignent l’évidence : les enfants qui ont des difficultés d’apprentissage souffrent plus que les autres des jours d’école perdus.

J’en suis, j’approuve.

Sentez-vous venir le « mais » ?

Le voici…

Mais j’ai cette crainte que cette négo ne règle aucun des maux fondamentaux de l’école.

Il finira par y avoir une entente. La grève ne peut pas durer éternellement. Les deux côtés sont épuisés.

D’un bord, des enseignantes (celles de la FAE) n’ont par exemple pas de fonds de grève. Certaines vivent de la charité2. Ça les fragilise, comme groupe. Elles piquettent au froid.

De l’autre bord, le gouvernement est loin de gagner la bataille de la sympathie du public. Chaque jour, il est dépeint comme sexiste, sans cœur. Ces grèves couronnent l’automne de toutes les débâcles pour François Legault, comme en font foi les sondages.

Plus la grève perdure, plus les deux parties ont intérêt à régler.

J’ai peur qu’entre les enjeux salariaux et de flexibilité, cette négo n’ait que peu d’effet sur les maux fondamentaux de l’école publique. Ces maux touchent à la fameuse « composition des classes ».

Je rappelle ce qu’est la « composition des classes », avant d’aller plus loin : il y a de moins en moins de classes ordinaires. Les enseignantes du « régulier » doivent composer avec de plus en plus d’élèves ayant des difficultés scolaires, diagnostiquées ou non.

Si votre classe compte 10 élèves sur 26 qui sont aux prises avec de la dyslexie, un trouble de l’attention ou de la dysorthographie, vous n’enseignez pas au régulier. Mais le centre de services scolaire considère que oui, fidèle à sa vision en « petites cases ».

Si votre classe compte 10 élèves vivant avec un trouble d’apprentissage, vous devez comme enseignante faire ce qu’on appelle de l’« adaptation scolaire ». Un enseignement adapté à ces élèves : ça fait des miracles, quand c’est bien appliqué. Voir l’école Vanguard, à Saint-Laurent.

Cette négo entre l’État et les syndicats d’enseignantes ne pourra pas inventer des profs disponibles là, tout de suite, pour créer des classes plus petites, ce qui soulagerait les enseignantes actuelles.

On ne pourra pas inventer des orthopédagogues, là, tout de suite, pour appuyer les enseignantes en classe. Celles qui se sont fait écœurer successivement par les gouvernements du PQ et du PLQ sont très bien au privé et elles ne reviendront pas.

On ne pourra pas non plus inventer des enseignantes en adaptation scolaire pour les élèves TDAH : il y a des signes de pépins de recrutement dans les facultés d’enseignement, comme le rapportait Le Devoir il y a quelques mois3.

On ne pourra donc pas inventer des classes en adaptation scolaire pour mieux servir ces élèves TDAH et mieux servir les élèves réguliers en classes régulières : on manque de bras là aussi, comme le rapportait La Presse en août dernier4.

Autre préoccupation : le gouvernement Legault a d’ores et déjà envoyé le signal qu’il ne touchera jamais à l’école à trois vitesses, un autre mal qui pourrit la vie de l’école publique. La question de l’école à trois vitesses ne fait même pas partie des négos.

Qu’est-ce que l’école à trois vitesses ?

Prenez un échantillon de 100 élèves. Auparavant, vous en aviez une poignée dans les écoles privées. Une autre poignée aboutissait dans les programmes particuliers (sport-études, programme international) du public. Ça laissait une masse critique d’élèves de tous niveaux dans les classes ordinaires.

Aujourd’hui, les écoles privées et les nombreux programmes particuliers écrèment l’école publique ordinaire.

Ça donne l’école à trois vitesses. Deux beaux écosystèmes, celui du privé et celui du public particulier. Puis, la troisième vitesse : le public « régulier », un fourre-tout de qualité variable (souvent selon le code postal).

Résultat des courses : les classes régulières du public comptent souvent désormais une masse critique d’élèves à besoins particuliers. Ça rend la classe ingérable, ce qui épuise les profs.

Bref, je suis d’accord avec les pédiatres : les élèves en difficulté sont les grands négligés de cette grève… Je dis seulement qu’ils sont toujours négligés, grève ou pas, pandémie ou pas, année après année.

Pour toutes ces raisons, je suis pessimiste quant à l’effet concret en classe de cette négo entre l’État et les enseignantes, sprint de négo ou pas, entente à portée de stylo ou pas.

J’espère me tromper.

1. Lisez la lettre ouverte « Dites-nous que l’école rouvre cette semaine » 2. Lisez « Collectes de dons pour les professeurs de la FAE : “Les besoins sont là” » 3. Lisez l’article du Devoir « Faute d’inscriptions, l’UQAM suspend son programme en adaptation scolaire au secondaire » 4. Lisez « Enseignants non qualifiés en adaptation scolaire : “Les élèves n’ont pas les services auxquels ils ont droit” »