La grève arrive à un très mauvais moment pour les jeunes dont la santé mentale est en chute libre. Il s’agit d’une véritable crise de santé publique que l’on doit prendre plus au sérieux.

Au Québec, la moitié des jeunes de 17 à 25 ans ont des symptômes d’anxiété ou de dépression sévère à modérée1. Les prescriptions d’antidépresseurs chez les 17 ans et moins ont pratiquement triplé depuis 2014.

Partout, c’est le même constat. Peu importe le pays, peu importe les indicateurs, la santé mentale des jeunes pique du nez depuis 2010, soit le moment où s’est imposé le téléphone mobile… et les médias sociaux qui viennent avec.

La pandémie n’a pas aidé. Et la grève pourrait avoir le même effet, avec tous les enfants qui se tournent les pouces.

Le fait d’être cloué à la maison exacerbe l’utilisation des écrans chez les jeunes. Ce phénomène a été bien documenté durant le confinement2. Au Québec, plus du quart des ados passaient cinq heures ou plus quotidiennement devant un écran, le temps pour les travaux scolaires non compris.

C’est trop. C’est dangereux. Au-delà de trois heures par jour sur les médias sociaux, les adolescents courent deux fois plus de risques de souffrir de problèmes de santé mentale.

C’est le médecin en chef des États-Unis qui le dit3.

En mai dernier, celui-ci a lancé un signal d’alarme très clair pour pousser les gouvernements et les entreprises privées à mieux encadrer l’utilisation des médias sociaux chez les jeunes.

Ailleurs, ça bouge.

En octobre, par exemple, le Royaume-Uni a adopté l’Online Safety Bill pour rendre l’internet plus sécuritaire pour les enfants, après le suicide d’une jeune fille de 14 ans influencée par du contenu sur le suicide et l’automutilation sur Instagram et Pinterest.

Au Canada, un garçon de 12 ans, victime de cyberextorsion à caractère sexuel, vient de mettre fin à ses jours en Colombie-Britannique. Malheureusement, on attend toujours le projet de loi contre la haine en ligne que le gouvernement Trudeau promet depuis 2019.

Au moins, la sénatrice Julie Miville-Dechêne a réussi à faire adopter, cette semaine, un projet de loi pour limiter l’accès des jeunes à la porno.

Il est urgent d’en faire plus. Les géants du web ont prouvé qu’ils ne pouvaient pas s’autoréguler. Un exemple ? En théorie, plusieurs plateformes acceptent les jeunes seulement à partir de 13 ans. Mais elles font peu d’efforts pour faire respecter leur règle.

Au contraire, les médias sociaux font tout pour rendre les jeunes dépendants, comme l’allègue une poursuite contre Meta lancée en octobre par une quarantaine d’États américains qui allèguent que Facebook et Instagram ont sciemment nui à la santé mentale des jeunes.

C’est que les adolescents ont besoin de modèles. Ceux qu’ils trouvent sur les médias sociaux sont des idéaux inatteignables. À cause du sentiment de ne jamais être à la hauteur, les jeunes développent de l’anxiété, une perte d’estime de soi, une dépression. C’est encore plus vrai pour les filles, qui disent qu’Instagram accentue leurs pensées suicidaires et leurs troubles alimentaires, selon une étude dont Meta avait connaissance.

Autre problème.

Dans l’univers du capitalisme cognitif, les médias sociaux et les jeux vidéo nourrissent les jeunes de gratifications instantanées qui deviennent autant de petites décharges de dopamine. Pourtant, ce n’est pas ce qui procure le véritable bien-être, qui s’atteint plutôt en utilisant ses compétences et en déployant des efforts pour atteindre son objectif. Autrement dit, il faut mériter sa récompense4.

Mais ce qui pose problème avec les médias sociaux, c’est aussi tout ce que les jeunes négligent lorsqu’ils sont devant leur écran : dormir, faire de l’exercice, socialiser, rencontrer un amoureux.

Ce n’est pas un hasard si les jeunes sont beaucoup moins actifs sexuellement depuis une dizaine d’années5. Pendant qu’ils regardent de la porno en ligne, avec une facilité déconcertante, les jeunes ne développent pas la capacité de nouer des liens intimes.

Tout cela peut créer un cercle vicieux où les jeunes, inaptes à socialiser, se replient encore plus vers les médias sociaux comme stratégie d’évitement.

Pour briser ce cercle, les parents ont un rôle important à jouer. Un rôle de modèle, pour commencer (message aux parents eux-mêmes accros à leur cellulaire). Un rôle aussi pour baliser l’utilisation des écrans.

Comment ?

On peut retarder le jour où on dote son enfant d’un cellulaire, lui acheter un flip ou opter pour un forfait sans données qui force l’enfant à utiliser le WiFi… qu’on peut couper au besoin. Il est d’ailleurs conseillé de réserver les écrans aux aires communes et d’éviter leur utilisation avant de dormir où après le réveil.

De leur côté, les écoles peuvent apporter leur contribution en utilisant les écrans avec parcimonie dans le cadre des activités pédagogiques ou en faisant de la prévention en santé mentale, à l’image de l’Ontario, qui va instaurer un programme obligatoire l’année prochaine.

Au Québec, on peut se réjouir du fait que le cellulaire sera interdit dans les classes à partir de janvier. Enfin, s’il y a des classes.

La position de La Presse

La génération Z vit une grave crise de santé mentale. Élus, écoles et parents doivent agir pour mieux encadrer l’utilisation des écrans et des médias sociaux.

1. Consultez le rapport 2023 Enquête sur la santé psychologique des 12-25 ans 2. Consultez l’étude Regards sur l’utilisation des écrans chez les adolescents montréalais en contexte de pandémie 3. Consultez l’article « Surgeon General Issues New Advisory About Effects Social Media Use Has on Youth Mental Health » (en anglais) 4. Consultez l’article « PERMA™ Theory of Well-Being and PERMA™ Workshops » (en anglais) 5. Consultez l’article « Changes in Penile-Vaginal Intercourse Frequency and Sexual Repertoire from 2009 to 2018 » (en anglais)