Tests et diagnostics douteux, traitements empirant les symptômes, experts au parcours discutable… La microbiologiste et infectiologue Mirabelle Kelly invite à se méfier de certaines références américaines en matière de maladies transmises par les tiques, dont la maladie de Lyme et la babésiose.

« C’est pas parce que ça coûte quelque chose que c’est meilleur, il y a des précautions à avoir », a souligné la Dre Kelly à l’enquête publique sur le suicide d’Amélie Champagne, une étudiante montréalaise de 22 ans affligée depuis des années de symptômes ressemblant à ceux de la maladie de Lyme.

Médecin microbiologiste aux hôpitaux de Granby et de Cowansville, la Dre Kelly a parlé de ses expériences avec des patients qui, jugeant que « les tests au Québec sont pas bons », ont reçu des résultats positifs de laboratoires américains.

Un de ces rapports exigeait une confirmation d’un gros sous-traitant américain… qui a dit n’avoir jamais reçu l’échantillon. Le labo où la patiente avait acheté son test a admis qu’il n’avait « jamais été envoyé pour confirmation » et que le résultat avait été obtenu « par un test maison qui n’a jamais été validé ».

« Je ne dis pas que c’est un processus généralisé, mais c’est un exemple. Il faut se poser des questions. »

Lorsqu’un autre patient lui est arrivé avec un résultat positif pour le parasite Babesia odocoilei, elle a contacté le labo américain, T Lab, par téléphone et par écrit. « Je n’ai jamais eu de réponse, donc c’est difficile de me prononcer sur la valeur de ça et de vraiment y croire. »

Des tests « fiables »

Les tests utilisés dans le système de santé québécois « sont fiables, validés, vérifiés, sujets à des contrôles de qualité et utilisent le même algorithme que les laboratoires universitaires ailleurs dans le monde », a plaidé la Dre Kelly, qui a également fait partie d’un comité consultatif de l’Institut national d’excellence en santé et services sociaux (INESSS).

Ce n’est pas le cas de certains tests américains « maison », qui appartiennent à des laboratoires comme IGeneX. Ils utilisent un algorithme « différent de celui qui est utilisé dans les centres universitaires américains », prévient la microbiologiste.

L’Ontario et la Nouvelle-Écosse ont émis des avertissements par rapport à l’utilisation des tests non standardisés puisque ça peut mener à des conclusions erronées.

La Dre Mirabelle Kelly, microbiologiste et infectiologue

Même la Food and Drug Administration américaine qui, historiquement, ne se mêlait pas trop des tests développés par des labos (LDT), a décidé de s’attaquer à leur « prolifération » et aux « inquiétudes grandissantes au sujet de leur sécurité et de leur efficacité ». Elle a récemment publié un projet de règlement pour mieux les encadrer.

« Ces diagnostics douteux, on peut le dire, peuvent mener à des traitements [qui] peuvent avoir des effets secondaires », a expliqué la Dre Kelly en citant le Mepron (nom commercial de l’atovaquone, un traitement utilisé contre la malaria et la babésiose).

Dans plus de 10 % des cas, le Mepron peut causer des maux de tête, de l’insomnie, de la dépression, de la douleur ou de la faiblesse, qui peuvent s’ajouter aux symptômes chroniques dont souffrent déjà ces « patients vulnérables en quête de réponses ».

Quant aux traitements prolongés aux antibiotiques, ils « peuvent avoir des effets secondaires, de la toxicité, entraîner le développement de la résistance [aux antibiotiques] et l’altération de la flore digestive ».

Croyances populaires

La Dre Kelly ne s’est pas prononcée sur le cas de Mme Champagne, mais sa présentation a recoupé plusieurs éléments entendus durant l’enquête publique.

La jeune femme avait reçu trois résultats négatifs pour la maladie de Lyme au Québec, mais des médecins au privé avaient suggéré qu’elle avait cette infection, ainsi que la bartonellose et la babésiose. Elle avait aussi passé un « test de recherche » américain et commencé des traitements avec du Mepron et des antibiotiques. Accablée de multiples symptômes et convaincue d’avoir la forme chronique de la maladie de Lyme, l’étudiante montréalaise avait fait énormément de lectures en ligne sur le sujet.

La Dre Kelly a recadré certaines références populaires dans sa présentation.

L’endrocrinologue Henry Lindner, qui fait des présentations sur la bartonellose et la babésiose chroniques, est « en situation de poursuite pour mauvaises pratiques » pour avoir « prescrit des doses faramineuses de cortisone pour la babésiose chronique, qui ont causé la perforation intestinale et de l’ostéoporose avancée chez une patiente ».

Raphael Stricker, qui a déjà présidé l’International Lyme and Associated Diseases Society (ILADS), a vu un de ses articles retiré par le New England Journal of Medicine (NEJM) en 1991 après qu’on eut découvert qu’il avait falsifié des données.

Quant à la babésiose, rarissime chez l’humain au Canada mais présente dans certaines régions américaines, elle vient surtout du parasite Babesia microti. Un article scientifique de 2021 affirme que Babesia odocoilei est aussi responsable de la babésiose chez l’humain, mais c’est « le seul que j’ai trouvé », a indiqué la Dre Kelly.

Un tel article peut amener des patients à penser qu’ils souffrent d’une babésiose indétectable parce que causée par un autre parasite que celui dépisté par les tests courants. Il a été publié dans une revue scientifique dont la cote d’influence (3,9) est bien en deçà de celle du Lancet (148) ou du NEJM (129), a relevé la Dre Kelly, ajoutant que son éditeur scientifique était Raphael Stricker.