Donald Trump ne mâche pas ses mots pour diaboliser la transition verte qui ne serait rien de moins qu’une « transition vers l’enfer ».

Des paroles en l’air ? Oh non.

Alors que la planète suffoquait l’été dernier, les républicains planifiaient soigneusement leur « Projet 2025 » qui passera à la déchiqueteuse les programmes pour l’énergie verte et mettra la pédale au fond sur la production d’énergies fossiles, s’ils reprennent le pouvoir1.

Ce climat politique n’augure rien de bon pour la COP28 qui s’ouvrait cette semaine à Dubaï, alors que les élus du monde entier remettent en question les mesures de lutte contre changements climatiques.

Royaume-Uni, Allemagne, France… Même la Scandinavie n’échappe pas à cet inquiétant ressac. Sous la pression de l’aile droite du gouvernement de coalition, la Suède a réduit sa taxe sur l’essence, déchiré son plan de train à grande vitesse et utilisé l’argent pour les routes2.

Au Canada, Justin Trudeau, qui s’est fait doubler dans les sondages par Pierre Poilievre, a lui-même saboté la taxe carbone qui était pourtant un de ses plus beaux legs. En exemptant le chauffage à l’huile pour plaire aux électeurs de l’Atlantique, il a déclenché la colère de l’Alberta et de la Saskatchewan qui crient à l’injustice en réclamant une exemption sur les modes de chauffage davantage utilisés dans l’Ouest.

Résultat de cette opération ratée : Trudeau a exacerbé la division déjà trop grande au pays et miné sérieusement la crédibilité de la taxe carbone qui sera désormais perçue comme une mesure qu’on peut écarter quand elle devient trop dérangeante, au lieu de modifier les comportements nocifs pour la planète.

Comment expliquer le recul mondial dans la lutte contre les changements climatiques ?

Après l’immigration, la transition énergétique est en train de devenir le nouvel épouvantail des populistes. Certains nouveaux élus nient carrément le réchauffement climatique, comme Javier Milei et Geert Wilders, deux autres populistes à la chevelure hors du commun fraîchement élus en Argentine et aux Pays-Bas.

D’autres politiciens moins à droite y croient, mais ne veulent pas faire de sacrifices si les voisins n’en font pas… à commencer par la Chine qui accélère l’ouverture d’usines au charbon polluantes3. Il est vrai que la Chine est responsable de près du tiers des émissions de GES de la planète. Mais n’oublions pas que les émissions de CO2 par habitant sont presque deux fois plus élevées au Canada4. Alors, il n’y a pas d’excuse pour l’inertie.

L’invasion de l’Ukraine a aussi changé la donne en donnant une justification à la relance du forage pour sécuriser l’approvisionnement national. Cet été, le premier ministre britannique, Rishi Sunak, a justement accordé une centaine de nouveaux permis d’exploration en mer du Nord.

Sauf qu’en voulant réduire leur dépendance énergétique envers les dictatures, les démocraties vont accroître la production mondiale d’énergies fossiles. On les entend répondre que, de toute façon, c’est la consommation qu’il faut réduire. D’accord, mais ce n’est pas simple d’imposer des sacrifices à la population qui se serre la ceinture avec l’inflation, les taux d’intérêt et la récession à l’horizon.

Rappelez-vous les gilets jaunes qui scandaient : « Les élites parlent de fin du monde, quand nous, on parle de fin du mois5. »

C’est ce credo que reprend le chef conservateur Pierre Poilievre quand il dénigre « l’obsession idéologique de Trudeau de taxer la classe ouvrière, les personnes âgées et les familles qui souffrent ».

Cette récupération politique de la part de M. Poilievre est de la pure démagogie, car la taxe carbone, dans laquelle il promet de « donner un coup de hache », est en réalité une redevance qui rapporte davantage aux moins nantis qu’elle ne leur coûte.

Pour rendre la transition énergétique plus facile à avaler, le président américain, Joe Biden, mise sur la technologie, à coups de centaines de milliards, ce qui a déclenché une surenchère planétaire, y compris au Québec avec l’usine de Northvolt.

Tout ça va coûter une fortune.

Le Fonds monétaire international estime qu’une stratégie fondée sur les subventions va augmenter la dette publique d’un pays riche trois ou quatre fois plus qu’une stratégie orientée davantage sur une taxe carbone6.

En ce moment, les décideurs sont confrontés à un triple dilemme : ils doivent atteindre les objectifs climatiques sans mettre les finances publiques en péril ni franchir la ligne rouge politique.

On voit à quel point Ottawa marche sur des œufs, reportant sans cesse son plan pour plafonner les émissions de GES de l’industrie pétrolière qui fera assurément ruer l’Alberta dans les brancards.

Québec aussi refuse de déplaire. Il fallait entendre cette semaine le patron d’Hydro-Québec, Michael Sabia, dire que les tarifs d’électricité résidentiels n’augmenteraient pas d’ici 2035, alors qu’il pensait le contraire tout récemment. En adoptant le message électoraliste de la Coalition avenir Québec, qui est allergique à toute mesure d’écofiscalité, il endosse un rôle qui n’est pas le sien et envoie le mauvais message.

Ce n’est pas en subventionnant la consommation des ménages que le Québec rendra la consommation plus efficace, comme on peut et on doit le faire. Après tout, consommer moins d’énergie, c’est bon pour notre portefeuille et pour l’économie qui sera plus productive.

Mais il faut être réalistes : la transition ne se gagnera pas uniquement grâce aux progrès technologiques. Et elle aura un coût, en particulier pour ceux qui verront leur gagne-pain disparaître. Le trumpisme nous a appris qu’il ne faut pas négliger ceux à qui on impose un programme qui les désavantage, sinon ils reviendront hanter le paysage politique comme ceux qui ont fait les frais de la mondialisation.

Pour éviter le ressac contre la transition qu’on voit déjà poindre, il faudra un savant mélange de sensibilité, d’écoute, de transparence, de pédagogie et de leadership. Souhaitons-nous-en une bonne dose cette semaine à la COP28.

La position de La Presse

Pour éviter le ressac contre la transition, il faudra un savant mélange de sensibilité, d’écoute, de transparence, de pédagogie et de leadership.

1. Lisez « A Republican 2024 Climate Strategy: More Drilling, Less Clean Energy » (en anglais ; abonnement requis) 2. Lisez « Sweden’s climate policy is off the rails » (en anglais) 3. Lisez « China ramps up coal power while pushing for renewables » (en anglais) 4. Lisez « Un graphique qui dit tout : qui pollue le plus, un Chinois ou un Québécois ? » 5. Lisez « “Gilets jaunes” : “Les élites parlent de fin du monde, quand nous, on parle de fin du mois” » (abonnement requis) 6. Lisez « Countries Must Contain Global Warming While Keeping Debt in Check » (en anglais)