Les conservateurs répètent depuis des mois qu’ils élimineraient la taxe sur le carbone s’ils étaient élus. Ils comptent en faire l’enjeu de la prochaine campagne électorale. Mais comment lutteraient-ils contre les changements climatiques s’ils formaient un gouvernement ?

Qu’adviendrait-il de l’accord de Paris ?

« On ne propose pas ça », a répondu le chef Pierre Poilievre lorsque La Presse lui a demandé en mêlée de presse mercredi dernier si un éventuel gouvernement conservateur se retirerait de l’accord de Paris sur le climat. Ce traité international vise à limiter le réchauffement climatique sous la barre des 2 °C, et si possible à 1,5 °C.

Quelques semaines auparavant, il avait évité de dire s’il conserverait la cible de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) de 40 % sous les niveaux de 2005 d’ici 2030.

« Voyons à quel point le désastre de la taxe carbone de Justin Trudeau va permettre d’atteindre cet objectif », avait-il répondu sans se commettre. « À ce jour, il n’a pas réussi à respecter une seule cible de réduction des GES. »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Pierre Poilievre a dit la semaine dernière qu’advenant l’élection d’un gouvernement conservateur, il ne proposerait pas de se retirer de l’accord de Paris sur le climat.

Le plan du gouvernement libéral permettra de réduire les émissions de 34 % par rapport à 2005, soit un peu plus que l’ancienne cible fixée par le gouvernement conservateur de Stephen Harper. Elle était alors de 30 % sous les niveaux de 2005, d’ici 2030. Les libéraux l’avaient d’abord conservée, avant de la hausser à 40 % en 2021 – avec l’ambition d’atteindre 45 %.

Le commissaire à l’environnement a récemment constaté que le plan actuel du gouvernement est insuffisant pour y parvenir. Le ministre de l’Environnement, Steven Guilbeault, croit pouvoir y parvenir, entre autres, avec un règlement pour plafonner les émissions du secteur pétrolier et gazier dont on ne connaît toujours pas les détails.

Remplacer la taxe carbone par quoi ?

« Notre plan de gros bon sens utilise la technologie et non les taxes pour réduire à la fois les émissions et le coût de la vie », a affirmé M. Poilievre en mêlée de presse le 6 novembre. Il a décliné notre demande d’entrevue, tout comme son porte-parole en matière d’environnement, Gérard Deltell.

Dans son discours lors du congrès de son parti en septembre, le chef conservateur avait indiqué qu’il ferait « diminuer les prix des alternatives sans carbone », contrairement aux libéraux qui « font monter le prix de l’énergie traditionnelle ».

Les conservateurs voudraient donner le feu vert à des projets comme des petits réacteurs nucléaires modulaires, des barrages hydroélectriques et d’autres qui utiliseraient l’énergie des marées pour créer « un boom massif dans le secteur de l’énergie propre ».

Ils veulent également « accélérer l’approbation » pour de nouvelles mines de lithium, de graphite et de cobalt « nécessaires pour l’avenir électrique ». « Cela n’est possible que si vous écartez le gouvernement et accélérez l’approbation des projets verts », a-t-il plaidé. On ne sait pas, pour l’instant, combien de tonnes de GES ces propositions permettraient d’éliminer.

Est-ce qu’il appuierait une tarification sur les émissions émises par l’industrie ou non ? « Notre plateforme électorale traitera de toutes ces questions », a indiqué M. Poilievre. Quand verrons-nous ce plan ? « Quand l’élection sur la taxe carbone aura lieu », a-t-il répondu du tac au tac. Cette taxe fédérale s’applique dans huit des dix provinces canadiennes. Le Québec et la Colombie-Britannique ont leur propre tarification sur le carbone.

Est-ce que ce serait suffisant ?

Pas selon le ministre de l’Environnement, Steven Guilbeault. « Si on enlève [la taxe sur le carbone], je ne vois pas comment le Canada peut atteindre ses objectifs de 2030 », a-t-il affirmé lundi. Le gouvernement estime que l’ensemble de cette tarification, y compris celle qui est aussi imposée à l’industrie, est responsable du cinquième, voire du tiers des réductions des émissions de GES.

« Mettre une taxe sur le carbone si ça n’amène pas de changement, c’est un flux monétaire, point », souligne en entrevue le directeur scientifique de l’Institut de l’énergie Trottier à Polytechnique Montréal, Normand Mousseau. Il estime que la taxe est actuellement peu efficace parce que son prix n’est pas assez élevé pour inciter les consommateurs à se tourner vers des véhicules ou du chauffage moins polluants.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Normand Mousseau, directeur scientifique de l’Institut de l’énergie Trottier.

Mais les propositions des conservateurs ne seraient pas efficaces non plus pour réduire les émissions.

Les petits réacteurs modulaires, chaque année leur prix augmente et chaque année leur capacité de livrer diminue, donne-t-il en exemple. Ce n’est pas une solution.

Normand Mousseau, directeur scientifique de l’Institut de l’énergie Trottier à Polytechnique Montréal

Le problème est que la proposition des conservateurs ajoute des énergies renouvelables sans enlever de combustibles fossiles, selon le titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal, Pierre-Olivier Pineau. « Ce qu’il faut, ce n’est pas juste un plan d’ajout, c’est aussi un plan de soustraction et ça, les conservateurs ne l’ont pas », fait-il valoir. M. Pineau considère que la taxe sur le carbone, même si elle n’est pas optimale, vise à « aider les gens à se soustraire de l’essence ».

Le chef conservateur propose plutôt d’augmenter la production de pétrole et de gaz naturel liquéfié. M. Poilievre avait affirmé que le Canada « pouvait produire des barils [de pétrole] plus propres qu’aucun autre pays » grâce au captage et au stockage du carbone, dans son discours lors du congrès de son parti en septembre. Or, il s’agit d’une technologie coûteuse dont l’efficacité reste à être démontrée par la recherche, selon l’International Institute for Sustainable Development.