La patronne de la FTQ qui s’envole pour Dubaï afin d’assister à la COP28 tandis que ses membres gèlent dans la rue. La FAE qui sort l’arme nucléaire de la grève illimitée même si les négociations se poursuivent.

Sérieux ?

À voir la tournure récente des négociations dans la fonction publique, on dirait que les dirigeants des syndicats ne mesurent pas pleinement l’impact de cette grève historique qui paralyse le Québec.

Pourtant, les conséquences sont graves.

Pour les patients qui voient leur opération reportée.

Pour les cégépiens qui stressent à l’idée de rater leur fin de session, eux dont la santé mentale s’est déjà tellement détériorée avec la pandémie.

Pour les élèves du primaire et du secondaire qui se retrouvent une fois de plus à la maison, alors que la COVID-19 avait fait piquer du nez leur réussite scolaire.

Pour leurs parents qui sont forcés de prendre congé ou de se fendre en quatre pour les faire garder.

Et pour les syndiqués eux-mêmes qui sont privés de salaire.

Alors que le Front commun des centrales syndicales (CSN-CSQ-FTQ-APTS) annonçait de nouvelles journées de grève, mardi, il était donc surréaliste d’apprendre que la dirigeante de la FTQ, Magali Picard, avait tout bonnement pris l’avion pour aller discuter d’environnement à la COP28.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Magali Picard, présidente de la FTQ, le 6 novembre dernier

D’accord, les changements climatiques sont un enjeu crucial pour la planète. Mais quelle différence la présence de Mme Picard fera-t-elle à cette grand-messe de 70 000 participants ? Sa place est au Québec. Son énergie doit être investie à 100 % à faire aboutir les négociations au plus vite.

Heureusement, Mme Picard l’a compris, annonçant son retour précipité. Ironiquement, son aller-retour n’aura servi qu’à augmenter les émissions de GES. Et à démontrer qu’il n’y a pas que la Coalition avenir Québec (CAQ) qui est déconnectée de la réalité, avec ses subventions de sept millions de dollars pour deux matchs de hockey à Québec.

Pendant ce temps, la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) a déclenché une grève illimitée. Cette approche « tout ou rien » fait aussi sourciller.

Pourquoi sortir la massue, alors que le Front commun annonce les journées de grève à la pièce et accepte l’aide d’un conciliateur que la FAE refuse ? Pourquoi tout bloquer, alors que le premier ministre François Legault vient de dire qu’il est prêt à mettre davantage d’argent sur la table, permettant d’espérer une accélération des négociations ?

On n’a pas le choix : il faut se parler.

Historiquement, au Québec, le gouvernement avait l’habitude de laisser traîner les grèves jusqu’à ce que la population soit excédée. Puis, il déposait une loi spéciale ordonnant le retour au travail et déterminant les conditions de travail.

Mais depuis l’arrêt Saskatchewan, en 2015, ce n’est plus si simple. La Cour suprême a déterminé que la grève est un droit constitutionnel protégé par la Charte. Si le gouvernement peut imposer des services essentiels, il ne peut pas décréter unilatéralement les conditions de travail comme dans le passé.

Voilà qui ajoute une couche de difficulté dans une négociation où les enjeux sont déjà colossaux.

Les syndiqués revendiquent des augmentations de salaire pour maintenir leur pouvoir d’achat face à une poussée inflationniste jamais vue en 40 ans. Ils réclament aussi de meilleures conditions de travail, alors que la pénurie de main-d’œuvre et l’alourdissement de la clientèle mettent une pression sans précédent sur le réseau, en santé comme en éducation.

Le défi est de taille. L’avenir de nos services publics est en jeu. La solution passe par une réorganisation du travail. Mais comment arriver à une entente satisfaisante ? Est-il possible de sortir de la logique d’affrontement pour favoriser un mode de résolution de conflit alternatif ?

C’est le pari que l’Ontario a fait dans ses récentes négociations avec les enseignants.

Le premier ministre conservateur Doug Ford partait de loin, lui qui avait brandi la disposition de dérogation pour suspendre le droit constitutionnel de ses employés à négocier leurs contrats de travail, l’an dernier. Cet odieux coup de force lui était revenu au visage, en soulevant des protestations monstres.

Toujours est-il que le gouvernement et les syndicats d’enseignement ont accepté de mettre en place un nouveau mécanisme prévoyant que les questions restées en litige, après une période déterminée de négociation, seraient tranchées par un arbitre.

De part et d’autre, cette stratégie comporte des périls.

Le gouvernement court le danger que l’arbitre coupe la poire en deux, sans tenir compte de la capacité de payer des contribuables.

Et les représentants syndicaux courent le risque que leurs membres se demandent un jour pourquoi ils leur versent des cotisations si élevées – quelque deux milliards de dollars par année au Québec – si c’est l’arbitre qui fait tout le boulot.

Mais justement, cette menace pousse les deux parties à trouver des solutions ingénieuses pour régler le maximum d’enjeux avant que l’arbitre tranche à leur place. Plus l’échéance approche, plus les négociations sont productives.

Si on a réussi à enterrer la hache de guerre en Ontario, on peut aussi faire la paix au Québec.

La position de La Presse

Alors que le Québec s’enfonce dans une grève historique, l’entente entre l’Ontario et ses professeurs grâce à une méthode alternative de résolution de conflit peut nous redonner espoir.