Si Justin Trudeau exauçait les vœux du Nouveau Parti démocratique (NPD), les Canadiens auraient un régime national d’assurance médicaments flambant neuf pour Noël. Mais il existe des moyens moins compliqués et moins coûteux de répondre aux objectifs fort louables des néo-démocrates.

Leur idée de nationaliser à 100 % l’assurance médicaments au Canada, car c’est de cela qu’on parle, n’est pas le meilleur remède aux problèmes actuels. Et les effets secondaires risquent de faire mal.

Rien ne prouve que le système sera mieux géré par une gigantesque bureaucratie que par des compagnies d’assurance qui, malgré tous les reproches qu’on peut leur faire, ont le mérite d’être en concurrence.

Si le passé est garant de l’avenir, le lancement d’un régime national d’assurance médicaments pourrait bien virer au cauchemar.

Parlez-en aux fonctionnaires fédéraux qui manifestaient à travers le pays, lundi. Tout va de travers depuis la transition vers un nouvel assureur, Canada Vie, il y a quatre mois. C’est sans compter les déboires du système de paye Phénix qui peine encore à régulariser 242 000 dossiers huit ans après son implantation.

Alors, imaginez si le fédéral prenait le contrôle de l’assurance médicaments de 40 millions de Canadiens ! Ça fait peur.

Au-delà de la logistique, il faut aussi parler de la facture d’un régime national qui pourrait coûter au public 13,4 milliards de dollars en 2027-2028, selon le Directeur parlementaire du budget (DPB)1. Le Canada n’a pas les moyens de payer la note, dans un contexte où la hausse des taux d’intérêt gonfle ses déficits et l’oblige à se serrer la ceinture.

Et même si Ottawa avait les moyens, n’oublions pas que les provinces ont déjà leur système d’assurance médicaments. Pourquoi le fédéral viendrait-il piétiner leur champ de compétence ? On n’a pas besoin d’une autre querelle constitutionnelle.

Surtout qu’on le disait dès le départ : il existe des manières plus simples et moins coûteuses d’atteindre les objectifs du NPD.

On s’entend sur le fait que tous les Canadiens devraient avoir accès aux médicaments dont ils ont besoin, sans mettre leur santé financière en péril. Présentement, 2 % des Canadiens ne sont pas assurés et 10 % ne le sont pas suffisamment.

Mais au Québec, l’assurance médicaments est obligatoire pour tous. Ceux qui n’ont pas accès à un régime privé sont couverts par le régime public de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ). La prime annuelle est de 731 $ maximum et les assurés ne déboursent jamais plus que 100 $ par mois (moins pour ceux qui ont de faibles revenus).

Première suggestion. Au lieu de créer un nouveau régime de toutes pièces, Ottawa pourrait rendre l’assurance médicaments obligatoire pour tous, comme c’est le cas au Québec et dans d’autres provinces, en prévoyant des conditions uniformes qui permettraient aux moins nantis de ne pas être étouffés par les sommes à payer.

Par ailleurs, les partisans d’un régime national font valoir que la création d’un organisme unique permettrait de négocier de meilleurs prix pour l’ensemble des Canadiens. Ces économies d’échelle que le DPB chiffre à 2,2 milliards par année ne sont pas à dédaigner. Mais il n’est pas nécessaire de créer un régime national pour y parvenir.

Deuxième suggestion. Ottawa pourrait simplement centraliser la négociation du prix des médicaments pour l’ensemble des régimes au Canada, tant privés que publics. Cette force de frappe permettrait de faire baisser les prix pour tous.

Cela serait une belle avancée au Québec, puisque le système actuel est injuste. En théorie, le prix des médicaments (de la molécule) est le même pour tout le monde. Sauf que le gouvernement profite de sa force de négociation pour conclure des ententes secrètes avec les sociétés pharmaceutiques qui lui ont versé des ristournes de 924 millions de dollars, l’an dernier, selon le rapport annuel de la RAMQ2.

C’est inéquitable pour les assurés du privé qui n’ont pas droit à ces juteux rabais.

Parlons d’un dernier enjeu extrêmement important : le coût astronomique des médicaments d’exception.

Les traitements à un demi-million de dollars par année ne sont plus si rares et mettent une pression énorme sur les régimes privés. Certains assurés se retrouvent à devoir payer une prime de plus de 3000 $ par année, quatre fois plus élevée que celle de la RAMQ. Encore une fois, ce n’est pas équitable.

Troisième suggestion. Le fédéral pourrait étatiser la couverture pour les médicaments très coûteux de manière à répartir le risque sur l’ensemble des Canadiens.

Non, le régime actuel n’est pas parfait. Mais il existe plusieurs façons de le bonifier et de l’harmoniser à travers le pays.

À l’heure actuelle, le gouvernement fédéral n’a ni les ressources financières ni le capital politique pour imposer une solution à l’emporte-pièce aux provinces qui couvrent déjà 44 % des médicaments au pays, alors qu’Ottawa n’a pratiquement pas d’expertise dans le domaine3.

Soyons réalistes. Notre système de santé craque de partout et la pression va s’accroître avec le vieillissement de la population. Dans ce contexte, réparons ce qui ne fonctionne pas, au lieu de rêver à des nouveautés qui coûtent cher pour rien.

1. Consultez l’« Estimation des coûts d’un régime d’assurance-médicaments universel à payeur unique » 2. Consultez l’énoncé sur les ententes avec les sociétés pharmaceutiques du rapport annuel de la RAMQ 3. Lisez « National Pharmacare – Time to Get On With It » (en anglais)

La position de La Presse

Au lieu d’une solution nationale à l’emporte-pièce, Ottawa devrait agir de façon chirurgicale pour s’assurer que tous les Canadiens soient couverts par une assurance médicaments sans vider leur portefeuille.