Christian Dubé ne manque pas de détermination pour mener à bonne fin son essentielle réforme de la santé, ce qui est tout à son honneur. Si une chose est claire pour l’ensemble des Québécois, c’est que le statu quo ne peut plus durer.

Mais ces jours-ci, le ministre de la Santé fait penser à quelqu’un qui a voulu accrocher un cadre sans sortir son ruban à mesurer… et qui fait beaucoup de trous dans le mur avant de réussir à placer le tableau au bon endroit.

Heureusement, le ministre est à l’écoute. Il a apporté des dizaines d’amendements à son copieux projet de loi 15 – une brique de 1180 articles – en s’ajustant aux commentaires des médecins, des pharmaciens, des étudiants ou encore des universités.

Jusqu’à cette semaine, il a géré la résistance au changement dans le calme. Il a mis de l’eau dans son vin, sans édulcorer sa réforme.

Mais la grogne a monté d’un cran avec la sortie commune des six anciens premiers ministres du Québec pour dénoncer l’impact de la réforme sur les établissements phares comme l’Institut de cardiologie de Montréal ou l’hôpital Sainte-Justine.

Certains pourraient être tentés de dire aux membres de ce « club des ex » de se mêler de leurs affaires, eux qui n’ont pas réussi à soigner les maux du réseau de la santé lorsqu’ils étaient au pouvoir.

Mais avec cette rarissime intervention transpartisane, les « ex » ont mis le doigt sur un important angle mort de la réforme.

En effet, l’intégration des grands établissements au sein de la nouvelle agence Santé Québec nuirait à leur capacité à récolter des dons et à poursuivre leurs activités de recherche, pourtant essentielles au développement de meilleurs soins pour l’ensemble de la population.

M. Dubé a donc accepté que leur conseil d’administration garde les coudées franches dans ces domaines… mais pas pour la gestion des soins à la population, qui sera coordonnée par Santé Québec. Or, dans la pratique, il n’est pas si simple de dissocier la recherche des soins. D’où la grogne persistante.

Devant ce bras de fer plutôt technique, les patients sont en droit de se demander ce que cette énième réforme va changer pour eux.

En tant que citoyen, il est désespérant de payer la facture d’impôts la plus élevée en Amérique du Nord et d’être obligé de payer à nouveau pour consulter un médecin ou subir une opération au privé parce qu’on n’en peut plus de languir sur une liste d’attente.

Quand on est malade, on veut de l’accessibilité. Pas un rebrassage dans la bureaucratie.

N’empêche, la création de Santé Québec est une bonne chose. En confiant la gestion quotidienne du réseau à cette nouvelle agence, on dépolitisera la santé. Et on permettra au ministre de se concentrer sur les grandes orientations, plutôt que de gérer la moindre crise en direct de l’Assemblée nationale.

Pour le patient, la nouvelle agence permettra notamment d’uniformiser la liste d’attente des chirurgies à l’échelle provinciale. Les patients sauront où ils se situent sur la liste et pourront être opérés dans une autre région où il y a moins d’attente, promet le ministre. Cela sera plus équitable que de laisser souffrir les patients en fonction de leur code postal, comme en ce moment.

La mise en place d’un employeur unique est également prometteuse. En coupant dans le spaghetti de 134 conventions collectives, Québec permettra à une infirmière d’aller travailler dans une autre région sans perdre son ancienneté, ce qui mène actuellement à des situations aberrantes.

Combinée à des primes, cette plus grande agilité permettra d’amener du renfort aux établissements qui traversent une crise, comme on l’a vu à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont. Sauf qu’il ne faudra pas oublier les leçons de la pandémie où les déplacements forcés ont poussé des employés à démissionner. Du roulement, c’est bien. Trop de roulement, non.

Christian Dubé veut aussi réembaucher des centaines de gestionnaires de proximité dont le poste avait été supprimé avec la réforme Barrette, laissant les équipes sans points de repère. Les CHSLD étêtés ont payé le prix de cette centralisation durant la pandémie.

Ramener des gestionnaires sur le terrain est donc une excellente nouvelle. Mais encore faut-il que Santé Québec leur laisse une marge de manœuvre.

Quand il a présenté son plan préliminaire en 2022, le ministre plaidait pour une « vaste décentralisation » du réseau où les établissements bénéficieraient d’un « large degré d’autonomie » avec des gestionnaires capables de « prendre davantage d’initiatives et de trouver des solutions adaptées à leur réalité ».

Mais on ne retrouve pas cet esprit dans le projet de loi 15, qui semble plutôt écrit par des fonctionnaires amateurs de microgestion que par des gens de terrain qui ont le pouls des patients.

Que Québec veuille améliorer la coordination du réseau avec Santé Québec est louable. Mais il faut éviter que les directives venant d’en haut freinent l’initiative locale, limitent les innovations répondant aux besoins du milieu et poussent les employés désenchantés à quitter le navire.

Ce n’est pas avec davantage de centralisation qu’on guérira le réseau de la santé.

La position de La Presse

Au-delà du brassage de structures, la réforme de la santé aura des effets positifs pour les patients. Mais il faut éviter le piège de la centralisation.